Notes bibliques

Contexte

L’évangéliste Jean attache une importance particulière à cette rencontre entre Jésus et Pilate. Pour lui il s’agit d’un affrontement entre deux puissances, celle de ce monde et celle qui n’est pas de ce monde. La scène se déroule dans le prétoire, résidence officielle du procurateur romain.
Jésus vient d’être interrogé successivement par les Grands Prêtres Hanne et Caïphe durant la nuit et est conduit ligoté chez Pilate où il arrive au point du jour. La construction de ce récit est rigoureuse et soignée. Pilate va et vient, sort et entre (7 scènes se succèdent avec alternance de lieu – à l’intérieur – à l’extérieur). La foule devient de plus en plus violente et Jésus domine son procès avec un calme souverain. Lui l’accusé conduit le procès. C’est tellement vrai que Jésus ne répond pas à la dernière question de Pilate mais reprend le début de l’interrogatoire. Il revendique une autre royauté, une royauté qui n’est pas comme celle du monde. La royauté qui est la sienne ne peut pas être jugée par les puissants car elle ne relève pas des mêmes formes de pouvoir.

Les acteurs

Dans le passage qui nous concerne, il n’y a que Pilate et Jésus. Mais le texte doit tenir compte, -sans cela ce ne serait qu’un dialogue disons « philosophique » -, de la présence à l’extérieur, de ceux qui ont amené Jésus à Pilate. Selon les traductions, il s’agit des juifs ou des grands prêtres.
* Pilate est donc le gouverneur. Il se voit, comme dans les évangiles synoptiques, devant la responsabilité d’instruire la demande qui lui est faite. Comme chez Luc, Pilate ne subit pas la pression de la foule. Il doit donc vérifier que les accusations formulées contre Jésus (messianisme et donc prétention à monter sur le trône) sont fondées. Mais on peut supposer que Pilate n’a pas besoin d’être très perspicace, que sa police fonctionne bien et qu’il est au courant de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et qu’il a sans doute entendu parler des rassemblements qui apparaissent séditieux pour le pouvoir en place.

D’un point de vue politique, Pilate sait que le malfaiteur qu’on lui amène est un agitateur, potentiellement dangereux pour le pouvoir politique.
* Jésus : On dit qu’il est passif. Mais en fait, pas du tout… D’un point- de vue strictement des mots échangés, on peut même penser que Jésus « vient aux nouvelles », et c’est lui qui demande d’ailleurs quelles sont les sources d’information de Pilate : Est-ce de toi-même que tu dis cela ? Ou d’autres l’ont-ils dit de moi ?
Le discours qui était politique prend alors, une autre dimension. C’est Pilate, sans doute agacé par le fait que Jésus mène l’interrogatoire, qui repose à Jésus une question : « qu’as-tu fait » ? Et nous le savons bien : Jésus répond très peu aux questions directes. Nous voici maintenant sur un plan religieux ou théologique…. Mais Pilate ne prête pas attention au langage de Jésus, il ne s’interroge pas sur son origine, ni sur sa manière d’exercer la royauté, il en revient à sa première question. Es-tu donc roi ?
Il lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Cette question est formulée de la même manière par les quatre évangiles. Mais seul Jean l’intègre dans un dialogue qui a pour objectif d’éclairer le véritable sens de la Royauté de Jésus. L’évangéliste avait à plusieurs reprises déjà évoqué le malentendu politique entre Jésus et ses contemporains à ce sujet. Après le miracle des pains, la foule voulait l’enlever pour le faire roi mais lui s’est échappé seul dans la montagne. Ensuite, après la Résurrection de Lazare, à son entrée dans Jérusalem, le peuple de Jérusalem l’acclame comme son roi, avec des palmes en signe de victoire. Mais la victoire de Jésus se révèlera tout autre.

 

Pistes de prédication

La première que je suggère est d’orienter le sens de la prédication sur le thème bien souvent débattu (au sein du protestantisme) des rapports entre la religion et le monde. Classiquement, dans la théologie luthérienne, on parle de la doctrine des deux règnes (temporel et spirituel, séculier et religieux). On trouve sur les pages internet au moins deux textes intéressants. Celui de J.F. Zorn www.museedudesert.com et celui de J.F. Breyne sur la même adresse électronique.

La deuxième piste suggérée serait de centrer cette prédication, non pas sur cette séquence biblique mais sur le « roi » ou le « royaume » ou « royauté » chez Jean. On s’apercevra alors que Jean alors reprend ici un dialogue déjà esquissé en Jn 3 (l’entretien avec Nicodème) et en Jn 6. Ainsi, tout ce débat prend place avec ce que Jean a déjà esquissé auparavant. Et il le lit ici explicitement à « la Vérité ».

Enfin, nous pouvons réfléchir sur la vérité en voyant comment cette vérité est articulée avec cet autre élément présent chez Jean et qui est que la vérité rend libre (Jn 8, 31-32).

 

Prédication

La question de Pilate a souvent été interprétée comme impertinente. Question d’un homme que l’expérience a désabusé. Mais pourtant, c’est la question que nous portons tous au plus intime de nous-mêmes. Question qui nous fait vivre. Question qui nous caresse et nous blesse tout à la fois. Elle se trouve à l’origine de notre dynamisme. Nous la retrouvons aux sommets que nous gravissons. Il existe des milliers de vérités. Le savant voit la vérité dans la nature des choses que lui font connaître ses expériences scientifiques. Le philosophe proteste en affirmant que la vérité ne se trouve pas dans les objets, mais dans les liens qui les rapprochent les uns des autres. L’artiste reconnaît la vérité dans la beauté qui s’en dégage. Un autre la perçoit quand le dire et le faire sont ajustés l’un à l’autre, quand un homme ou une femme se tient debout, dans la transparence, sans duplicité. La vérité ne se possède pas; elle se cherche. Nous ne pourrons jamais clôturer son domaine. La vérité est mystère. Elle se dit, mais les mots ne peuvent la contenir totalement. Vous croyez la tenir, mais elle s’échappe et appelle ailleurs. Vaste comme l’infini, elle se loge pourtant au plus intime de nous-mêmes. Inaccessible et pourtant si proche. Mais la théologie chrétienne a repris cette conviction que Jean nous rappelle : la Vérité n’est pas un discours abstrait, philosophique, mais cette affirmation simple qui est que Jésus de Nazareth est la Vérité et qu’avec lui cette affirmation, somme toute simple, s’est réalisée : en lui, par lui, le Royaume de Dieu s’est approché, s’est fait voir.

 

La différence entre le christ et nous

Nous devons toujours mettre au centre de nos vies ce fait que c’est le Christ qui est la Vérité. Bien sûr le Christ ne nous est connu qu’à travers le témoignage des écritures. Il ne vient pas à nous seulement dans des rêves ou en parlant à notre inconscient. Mais nous ne pouvons pas mettre la main sur Lui. Et même si nous devons nous approcher de ce qui nous vient de Lui à travers le texte, nous devons fuir l’idée que le texte biblique serait la Parole de Dieu. La Parole de Dieu, comme le dit Jean dans son prologue, c’est le Christ dont témoignent les Écritures. Et le danger du christianisme, dans ses variantes catholique ou évangélique, c’est de substituer au fait que c’est le Christ qui est la Vérité d’autres éléments parasites. Et au risque de paraître irrévérencieux, il vaut mieux suivre le chemin de Pilate qui pose la bonne question au moins plutôt que de dire ce qu’est la Vérité. Les Églises ont la double tâche de présenter le christ et de rappeler en même temps que c’est le christ qui est le centre de ce qui fonde leur existence.

La démarche catholique (mais elle est présente dans toutes les Églises) est de substituer au christ la tradition, les doctrines, les dogmes, et c’est le combat entre Jésus et ceux que Jean appelle « les Juifs », les représentants religieux. Ils font appel à leur tradition qui remonte à Abraham, aux apôtres, aux conciles, aux Réformateurs… Ils ont ainsi la Vérité et n’ont pas besoin de se soucier des avancées, des questionnements. Le danger qui guette ceux qui s’appuient sur la tradition est de ne permettre aucune liberté et de faire de la Vérité une chose qu’on doit asséner. Et c’est finalement vouloir mettre la main sur Dieu lui-même.

La démarche évangélique (mais elle est aussi présente dans les autres Églises) est de faire de l’Évangile un « faire ». On confond ici le message et la personne. Pour être fidèle au christ, il faut accomplir ce que nous dicte l’évangile. On fait appel à la Bible, aux écritures, pour justifier des comportements. Bien sûr, l’Évangile nous mobilise pour être des hommes et des femmes qui annoncent et vivent de l’Évangile. Mais pas pour en faire l’accès normatif au salut. Le salut ne vient que de Jésus le christ et non de ce que nous accomplissons.
Il y a aussi, à l’extérieur des Églises une autre démarche qui est sans doute aujourd’hui très répandue et qu’on peut résumer sous le terme de l’ « indifférence ». Beaucoup de personnes suivent ce chemin et prennent par rapport à la question de la vérité un style de vie qui n’a pas besoin de se poser cette question. Ils vivent comme des êtres qui n’ont pas cette préoccupation. Et c’est seulement dans des circonstances existentielles (la mort d’un proche par exemple) qu’ils peuvent penser et poser cette question. Ces personnes combinent une dose de scepticisme de Pilate et un peu du dogmatisme des Juifs pour avoir toujours une réponse en demi-teinte.

 

Que nous dit Jésus quand il dit qu’  « Il est la Vérité » ?

Jésus, comme dans les synoptiques, revendique qu’il est, Lui, et pas d’autres qui pourraient parler en son nom, la Vérité, c’est-à-dire que Dieu est présent en lui, dans sa profondeur et son mystère qui devrait rester inaccessible. Jean met cela régulièrement en avant avec des formules comme « Qui m’a vu, a vu le Père »…. (Jn 6, 8, 14, …). Par là, il dit non pas qu’il est la Vérité parce que son message, sa prédication, son enseignement est vrai mais l’inverse, que son enseignement est vrai parce qu’il exprime la Vérité qu’il est lui-même. Et c’est de nouveau le danger qui nous guette tous, dans les tâches de catéchètes que nous endossons, de faire de l’enseignement de Jésus La Vérité. Les Églises font souvent de l’enseignement de Jésus une nouvelle Loi et on leur demande souvent de « dire » ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Jésus n’est ni un professeur de morale, et les pasteurs, les théologiens ne doivent pas présenter Jésus comme la nouvelle Loi. Les paroles de Jésus ne sont pas la vérité qui nous donne la liberté. On ne peut pas et on ne doit pas faire d’elles des préceptes infaillibles qui enseigneraient comment nous pouvons calquer nos vies sur celle de Jésus. Et l’histoire de l’Église nous apprend que bien souvent les Églises se sont servies des paroles de Jésus pour en faire des doctrines qui finalement n’éveillent pas à la liberté mais à la soumission. Il faut toujours que le mouvement prophétique surgisse pour rappeler que l’évangile lui-même nous oblige parfois à nous insurger contre le pouvoir des Églises.

 

Où et comment rencontrons-nous la Vérité ?

La réponse ne nous est pas donnée dans ce passage. Mais elle parcourt l’évangile de Jean. Comment l’atteindre ? « En la faisant » ! Cela ne signifie pas de devoir obéir à des commandements, de les pratiquer. Mais en « étant de la vérité », nous dit Jésus. Être « de la vérité », c’est être déterminé par la réalité du christ. Comment pouvons-nous être certains d’appartenir à la vérité ? Il n’y a pas de réponse possible à cette question. Personne ne pourra vous dire que vous appartenez à la Vérité. Mais si vous vous posez cette question qui met en jeu toute votre existence, alors vous savez que vous appartenez à la Vérité. Elle peut vous conduire sur des chemins inattendus, hors des formules à apprendre par cœur, hors des conventions. Elle sera présente dans un morceau de musique, dans une parole que quelqu’un(e) prononcera un jour pour vous. Elle peut se glisser dans une prédication. Ces mots entendus ne seront pas la Vérité elle-même, mais ils pourront vous emmener vers la Vérité. Comme Élie sur la montagne attend la venue du Seigneur, ces mots vous prépareront à cette rencontre décisive. Elle vient dans la lumière ou dans l’obscurité mais elle vient.