Notes bibliques

1. Points importants du texte dans son contexte
La situation d’écriture du 4ème évangile (fin du 1er siècle) est une situation critique : les « chrétiens » ont été exclus de la synagogue (Jn 16.2), et les communautés johanniques sont elles-mêmes tenues en marge (ou elles s’y tiennent) des autres communautés chrétiennes (cf. Jn 21 rajouté plus tard à l’évangile, et qui témoigne du rapprochement ultérieur avec ce qu’on appellera la « Grande Église » autour de Pierre ). « Les chrétiens johanniques dépouillés de leur identité sociale et religieuse (juive ndlr), probablement déjà décimée par les abandons… se voient proposer par l’école johannique le livre de la foi, le livre destiné à les affermir dans leur conviction et à les faire progresser dans la connaissance de leur Seigneur » (Jean Zumstein La communauté johannique et son histoire p 371)
La question de l’absence de Jésus pour la communauté chrétienne. « La seconde partie de l’évangile de Jean, dit Jean Zumstein (op cit. p 371) aborde la question post-pascale par excellence : comment celui qui part peut-il nous être rendu ? Ou, en d’autres termes, comment l’absent est-il présent ? »
Jn 16.12-15 est sous l’onde de choc de la parole provocante de Jésus : « Il vous est avantageux que je m’en aille ». Sinon le Paraclet ne viendra pas à vous.
Le Souffle de Dieu (c’est le mot en grec -pneuma- comme en hébreu -ruah), ou St-Esprit (mais en français aussi il y a un lien entre esprit et inspiration, et on parlera du souffle qui traverse une œuvre), porte dans le 4ème évangile deux appellations spécifiques que nous trouvons associés dans ce ch. 16 : le « Paraclet » et « l’Esprit de vérité ».

L’Esprit de vérité
On trouve l’expression dans le judaïsme ; la vérité dont il s’agit unit morale, connaissance de Dieu et sagesse. Le souffle vient de Dieu, fait connaître Dieu et crée l’obéissance parfaite. Elle prend chez Jean une signification précise : le Souffle prend le relais de celui a été le révélateur de la vérité d’en haut, parce qu’il est la vérité. Pour que cela soit clair, Max-Alain Chevallier propose de traduire : le souffle de la vérité (Souffle de Dieu t 2 p 473)).

Le Paraclet
Consolateur est une mauvaise traduction. C’est plutôt le défenseur dans un débat ou un procès, mais le sens paraît être plus large chez Jean, où le « paraclet » enseigne (14.26), accuse (16.7-11) et dans notre texte il est identifié à l’Esprit de la vérité et a donc un rôle dans la révélation de la vérité.

2. Notes exégétiques
V12 Bien sûr, pendant son ministère terrestre, Jésus n’a pu tout dire, être complet. Les disciples au temps de Jésus n’étaient pas capables de comprendre ce que l’auteur de l’évangile découvre et comprend maintenant, à la fin du 1er siècle. Sans parler de la suite : il y a encore beaucoup à découvrir, beaucoup que nous ne connaissons pas ni ne pouvons encore comprendre.
V13a C’est la fonction du Souffle de nous conduire dans toute la vérité. La vérité est un chemin : se découvre, se révèle, dans l’histoire, la pertinence de l’Évangile, l’étendue, la hauteur et la profondeur de la Parole portée, incarnée par Jésus.
« On peut faire confiance au souffle pour maintenir vivant l’enseignement du Christ, mais aussi pour découvrir des points restés dans l’ombre » (M-A Chevallier op. cit. p 494)
V13b il ne parlera pas de sa propre initiative : pointe polémique, « mise en garde contre ceux qui voudraient donner à la prophétie chrétienne un autre contenu » que l’Évangile. (M-A Chevallier, op. cit. p 494)
V13c ce qui est à venir : la prophétie chrétienne (comme celle de l’Ancien Testament) n’est pas d’abord prédiction mais Parole de Dieu portée dans une situation historique donnée : regard lucide, clairvoyant sur la situation, ses risques, ses tendances catastrophiques, mais aussi ses promesses, son avenir si la Parole est entendue et reçue. Les situations à venir sont des situations où le Souffle fera voir cet avenir.
Annoncer dans le quatrième évangile se rapporte toujours à Jésus-Christ (cf. 4.25) : il y a toujours conformité du message de l’Esprit avec la révélation de Dieu en Jésus-Christ.
V14 « Le Paraclet…actualise, prolonge et perpétue par l’entremise de la communauté chrétienne le ministère révélateur… du Christ. » (Claude F. Molla Le quatrième évangile p 216). C’est ainsi qu’il glorifiera Jésus
Il n’y a rien d’autre à annoncer que l’Évangile, le Christ comme Parole de Dieu incarnée (Jn 1.14), dans la situation de la vie terrestre de Jésus, comme dans la situation de la fin du 1er siècle, comme dans la situation du début du 21e siècle.
V15 Et il n’y a pas à chercher Dieu ailleurs, au-delà que ce que nous avons vu et entendu, ailleurs et au-delà de ce que le Souffle de vérité nous fait découvrir de l’Évangile, à la fois toujours nouveau, surgissant dans une situation, et toujours le même.

 

Prédication
Ah si Jésus était là ce matin au milieu de nous !
Au lieu d’écouter un prédicateur incertain, une prédication dont on n’est pas sûr qu’elle soit fidèle, tout serait beaucoup plus clair, plus simple, plus direct. Il nous enseignerait, il nous inventerait de nouvelles paraboles merveilleuses, il éclairerait pour nous l’actualité, il nous dirait ce qu’il faut croire, ce qu’il faut faire. Si Jésus était là, nous pourrions nous appuyer en toute confiance et sans hésitation sur sa clairvoyance et nous laisser enthousiasmer par son dynamisme. Nous n’aurions dans l’Église qu’une seule prédication : son Évangile.
Ainsi les paroisses peuvent-elles rêver en cette époque difficile de mutations accélérées pour les Églises comme pour le monde : ah ! si Jésus était là…

Mais supposons. Rêvons.
Une lecture attentive des évangiles devrait nous faire réfléchir. Tant que Jésus était là, on ne peut pas dire que ça se passait comme dans notre rêve. Les disciples écoutent, sont séduits, suivent Jésus, mais comprennent la plupart du temps de travers ; ne parlons pas des juifs. À tel point que le malentendu entre Jésus et ses auditeurs est un leitmotiv de l’évangile de Jean. Jésus interpelle, choque et braque contre lui les gens les plus religieux. Ce n’est pas facile d’entendre, de recevoir ce que Jésus dit, ce n’est pas aussi clair qu’il y paraît, ou alors c’est trop clair et cela heurte de front le confort religieux, la paresse intellectuelle et morale de ses interlocuteurs, cela révèle trop crûment leur mauvaise foi et leur mauvaise volonté.
Pensons-nous honnêtement que nous ferions mieux maintenant ? Ce serait bien présomptueux.
Or Jésus vient de dire à ses disciples quelque chose de provoquant : « il vous est avantageux que je m’en aille ». Tant que je suis là, vous êtes des disciples, des élèves. C’est très bien, c’est un passage obligé. Mais ce n’est qu’une étape. Il va vous falloir voler de vos propres ailes. Devenir témoins, apôtres, ou selon le mot magnifique de Paolo Ricca, théologien vaudois italien, il va vous falloir devenir acteurs de la Parole, acteurs de l’Évangile.
Le grand malentendu du disciple c’est de croire que Jésus va répondre à sa place aux questions qui se posent à lui. Jésus ne répond pas à toutes les questions possibles, passées et à venir, il nous donne les outils pour répondre nous-mêmes aux questions auxquelles nous sommes confrontés. Il nous donne les moyens, le courage d’apporter notre réponse personnelle, adulte, aux questions qui se posent à nous.
Si Jésus était là, on irait l’entendre prêcher, et ce serait comme avant : on écoute, on s’étonne, on s’émerveille, on est séduit, on comprend à moitié, on applaudit. Et qu’est-ce que ça change ? On reste élève toute sa vie ; on forme des paroisses écoles, mais dans quel but, pour quoi faire ? Pendant ce temps, le monde continue selon ses propres lois, l’histoire se déroule selon le droit du plus fort, la loi de la jungle. On reste élève, on ne commence jamais l’apprentissage de la vie à la suite de Jésus. On reste bête parce qu’on ne fait pas l’expérience concrète de l’Évangile.

Heureusement que Jésus n’est pas là !
Parce que Jésus est absent nous sommes confrontés à la question : quand et comment allons-nous nous approprier le projet de Jésus ? Quand et comment allons-nous essayer, expérimenter l’Évangile ?
Mais mettre en pratique l’Évangile ce n’est pas appliquer des recettes. Quel Esprit a inspiré Jésus ? Où Jésus a-t-il été puiser son inspiration, sa force, sa détermination, sa lucidité, son espérance, son courage ? Car cette source d’inspiration, de clairvoyance et de courage, c’est de cela que nous avons besoin. Pour faire face à la réalité des situations inédites, des questions qui nous sont posées aujourd’hui et appellent de nous des réponses.
Il y a un moment où il faut sortir du temple, sortir de l’Église, se plonger dans le monde et l’histoire d’où Jésus est absent, s’incarner dans la réalité, affronter des situations inédites et des problèmes sans solutions toutes faites. Alors souffle l’Esprit. Que Jean nomme ici l’Esprit de vérité, j’espère que vous l’avez remarqué. C’est alors qu’on s’éveille à la vie, qu’on devient responsable, intelligent. Ce n’est pas dans l’enthousiasme d’un culte que se manifeste vraiment ni surtout l’Esprit, c’est dans l’action, la vie, la mise en pratique. Car c’est là l’épreuve de vérité : Jésus est absent, vous êtes là seul avec votre Évangile face à une situation nouvelle, à laquelle il vous faut donner une vraie réponse. Vous avez besoin de vérité, de l’Esprit de vérité. Et, dit Jésus : l’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité. C’est l’expérience même de l’auteur de l’évangile ; il l’atteste.
Car toute situation nouvelle est à voir, analyser, lire dans sa vérité, pas à partir de grilles de lecture a priori.
Il nous faut affronter les questions qui nous sont posées dans leur vérité, pas les réduire à des questions d’école, ni leur donner des réponses toutes faites.
Nous-mêmes devons nous tenir en vérité, adulte, responsable, pas nous abriter derrière un pouvoir supérieur ou une réponse apprise.
Nous avons donc absolument besoin de la vérité de l’Évangile, de l’Esprit de vérité, de l’inspiration même de Jésus, pas de la lettre.
Il s’agit de vivre de l’Évangile en vérité et de le faire vivre en vérité dans notre 21e siècle. Il nous faut donc quitter tous nos abris, y compris nos temples, pour nous offrir au vent du monde, de l’histoire et de l’Esprit de vérité ; et tenir la barre.
C’est pour ceux qui prennent ce risque qu’est la promesse, la découverte ; c’est alors qu’on reconnaît la vérité de l’Évangile et la puissance de l’Esprit. Jésus est encore plus présent dans son absence que s’il était là ; et nous ne sommes plus des élèves, mais des acteurs de l’Évangile, nourris de son Esprit.
Dans notre histoire, toutes ces réponses « en vérité » données en paroles et en actes par des hommes et des femmes aux questions qui se posaient à eux, forment une chaîne de témoignages inspirés qui attestent de la vérité profonde de l’Évangile à chaque époque et dessinent le chemin de la vérité de l’histoire et du monde. Des jalons d’une vraie histoire de l’humanité et du salut du monde.
A chaque génération cette vérité de l’Évangile se révèle toujours plus et nous réjouit toujours à nouveau. C’est chaque fois retrouver la force vive de l’Évangile dans son surgissement au milieu de nous.