Prédications reprises

Pasteur Éric de BONNECHOSE

Marc 4, v. 35 à 41

 

Notes bibliques

Plusieurs passages

Toute explication d’un texte biblique est orientée par les questions propres à celui qui explique… Il n’y a pas d’explication neutre et objective, même si on peut essayer de s’affranchir d’une partie de ses présupposés et de ses œillères ! Dans les notes bibliques qui suivent, et dans l’espace assez court de cet exercice, je choisis de faire l’impasse sur un certain nombre d’aspects du texte. Ceci pour poser au texte une question principale : que faut-il – ou que peut-on – entendre dans l’invitation au passage adressée par Jésus à ses disciples (v. 35) ?

D’emblée en effet, une parole émane de la bouche de Jésus. « Passons sur l’autre rive » (T.O.B.). Cela donne à ce passage un poids particulier, qui n’apparaît pas par exemple chez Matthieu qui l’exprime au style indirect et utilise plutôt le verbe « partir » (Mt 8,18) [1]. Parole qui fait rupture, et qui semble en dire plus qu’un simple plan de route pour disciples fatigués. L’intention de Jésus n’est toutefois pas précisée. Peut-on la deviner ? Si l’on regarde le contexte narratif, la traversée de la mer fait passer le récit :

 

    • d’un jour à un autre jour (« le soir venu… » (v. 35).
    •  d’une séquence d’enseignement à une séquence de repos (v. 38) puis d’action
    •  d’une séquence de paraboles à une séquence de guérisons
    •  d’une séquence en terre de Galilée à une séquence en terre vraiment païenne (Gerasa)
    •  d’une séquence auprès des foules (qu’on retrouve au v. 21) à une séquence auprès d’un individu seul

 

           

Échos bibliques du verbe « traverser »

Chacun de ces types de passages possibles ouvre une piste d’interprétation originale. Est-il possible d’aller plus loin, en voyant si certaines pistes sont plus proches de l’intention du récit ? On peut s’intéresser à l ‘utilisation du verbe « passer », ou « traverser ». Le terme grec (diercestai) évoque une traversée géographique d’un lieu à un autre ; par extension : une expansion, un parcours ; et au figuré : un long exposé, donc une traversée du temps. Chez Marc on le retrouve seulement en Mc 10,25 (le chameau qui passe par le trou de l’aiguille…).

C’est en fait surtout Luc qui emploie ce verbe, dans une perspective missionnaire : la réputation de Jésus se répand (Lc 5,15), les disciples passent par tous les villages (Lc 9,6), Jésus traverse Jéricho (Lc 19,1), et enfin les disciples des Actes multiplient les traversées de pays pour annoncer la Bonne Nouvelle : Ac 8,4 ; 8,40 ; 9,32 ; 10,38 ; 11,19 ; 14,24 ; 15,3 ; 15,41 etc. Cependant, cet emploi ne semble pas familier à Marc. On peut donc penser que Marc vise autre chose, qui pourrait bien être l’écho de la traversée de la Mer Rouge (voir 1 Co 10,1, où le même verbe est employé).

On ne manquera pas en effet de voir les multiples échos de ce récit au passage de la mer par les hébreux dans le récit de l’Exode :

 

    • la présence de la mer, qu’il faut franchir
    •  la présence de la nuit (Ex 14,20-24)
    •  la menace d’engloutissement par les flots
    •  la peur et les cris du peuple, ainsi que le reproche au leader (Ex 14,10-12)
    •  la confiance demandée (Ex 14,13-14 et 31)
    •  l’intervention d’un leader par lequel les éléments naturels sont dominés
    •  la traversée d’un peuple avec son leader
    •    la reconnaissance d’autorité du leader (Ex 14,31)

 

 

Traversée de la mort

Si l’on comprend le parallèle, Jésus est en train de forger un peuple nouveau, peuple de disciples qui ont, avec lui, traversé la mer. Le récit évangélique se superpose au récit fondateur du peuple hébreu : on sait que le terme « hébreu », dans la langue hébraïque, est de la même racine que « traverser ». Le peuple hébreu est le peuple qui a traversé. De même, le peuple des disciples de Jésus sera un peuple qui aura traversé avec le maître. Mais quelle est cette mer que les disciples ont traversé ? Quel est le pays d’esclavage dont ils sont libérés, et la terre promise (la « rive » du v. 35) où ils accostent ?

Nous pouvons ici être guidés par les attitudes de Jésus. Sa passivité curieuse du v. 36 (on l’emmène, comme un enfant, comme un prisonnier) ne résonne-t-elle pas discrètement avec celle de sa Passion à venir ? Le motif central du sommeil n’est-il pas une image de mort, dans une barque qui pourrait figurer un cercueil ? Un sommeil dont Jésus est ensuite réveillé, ou ressuscité puisqu’en grec le réveil est l’un des termes employés pour la résurrection. Enfin son autorité finale sur les éléments ne fait-elle pas déjà penser à la puissance cosmique du Fils de l’Homme qui vient dans sa gloire ?

Si cette lecture est juste, on peut lire ce récit comme celui de la mort traversée par le Christ, la mort qui désormais peut être traversée aussi par le peuple de ceux qui le suivent. La mort qui peut être vaincue quelque soit la rive géographique du lac sur laquelle on se trouve, puisque le démoniaque de Gérasa sort de ses tombeaux (Mc 5,2) et que, une fois la barque revenue sur la première rive, la fille de Jaïrus est relevée de la mort (Mc 5,42).

 

Une barque qui relie à la croix

Il reste à se demander ce que fait ce récit de la mer-mort traversée à cet endroit de l’Évangile – on l’aurait bien imaginé au seuil de la Passion, comme une sorte de programme annonciateur ! Si l’on observe attentivement, ce qui fait le lien entre le récit de la mer apaisée, les paraboles qui précèdent, et les rencontres qui suivent, c’est la présence de la barque ! Ne nous hâtons pas de voir dans cette barque l’image de l’Église, qui deviendra classique plus tard dans la tradition chrétienne. Ici la barque est surtout chargée de faire la navette entre les textes.

Il est possible en effet que Marc ait regroupé là ces quelques épisodes parce que le motif de la barque leur était commun. Mais on peut lire cela de façon plus forte. La barque dit qu’il y a un lien entre la mort traversée, les paraboles, et les personnes relevées par Jésus. Sa fonction première, c’est de savoir faire traverser la mer (la mort). Alors si Jésus monte dans la barque lorsqu’il enseigne en paraboles, ce n’est peut-être pas seulement pour être bien audible, ou pour se tenir à distance d’une foule pressante. Au moment où il enseigne, Jésus parle à partir du lieu qui lui fera traverser la mer-mort. L’enseignement (comme les gestes) de Jésus prend tout son sens à partir de la croix et de la résurrection.

On pourrait dire encore : Jésus parle pour entraîner la foule des auditeurs dans une traversée de la mer-mort. Significativement, le texte mentionne d’ailleurs quelques barques qui se mettent à accompagner Jésus dans sa traversée (v. 36b). C’est ce que Luc déploiera activement. Les disciples d’après la résurrection traverseront le monde pour exprimer la traversée de la mer-mort qui les fait vivre. Et dans ces traversées souvent périlleuses, ils témoigneront de la confiance que leur a donnée celui qui, le premier, les a fait traverser la mer.

 

Pistes pour la prédication

Il y a plusieurs contextes auxquels on pourra être attentif : 1) un contexte ecclésial : ce texte de Marc est souvent utilisé dans les services funèbres, à cause des thématiques du passage, de la mort, de la tempête, de la foi…  2) un contexte liturgique : on reprend ce 25 juin la lecture de Marc après l’avoir abandonné au profit de Jean depuis le temps du Carême. 3) un contexte profane : l’approche des vacances d’été, où l’on « passe » à autre chose !  4) d’éventuels éléments de l’actualité.

Si l’on s’appuie sur des éléments du commentaire biblique ci-dessus, il pourra être opportun de choisir – à part Marc bien-sûr ! – d’autres textes bibliques que ceux indiqués. Par exemple un fragment d’Exode 14. Mais on peut aussi choisir de conserver les textes de la liste œcuménique, pour ne pas enfermer l’auditeur dans une seule piste d’interprétation ! En ce qui concerne Marc, on pourra aussi choisir de lire un ou deux versets avant, et un ou deux versets après, pour qu’on sente entre quoi et quoi se fait le passage de la mer.

Des pistes possibles pour la prédication seraient de reprendre l’un des passages que le texte opère (voir § 1 ci-dessus) :

 

    •  d’un jour à un autre jour (« le soir venu… » v. 35), invitation à donner du sens à la succession des journées…
    •  de l’enseignement au repos, puis à l’action, invitation à ne pas en rester aux mots, aux choses lues ou entendues…
    •  des paraboles aux guérisons, invitation à passer d’une transformation de soi à une transformation pour l’autre…
    •  de la Galilée à Gerasa, invitation à visiter les lieux qui nous sont étranges, où pourtant Dieu parle…
    •  des foules à l’individu seul, invitation à quitter le confort du groupe qui nous considère, ou notre parole est écoutée, pour aller vers des personnes plus marginales ou isolées ou réticentes à une Bonne Nouvelle…

 

Quelque soit la piste retenue, l’enjeu de la prédication serait de fonder l’invitation qui nous est adressée sur la traversée fondamentale dont l’Évangile parle : la traversée de la mort à la suite de Jésus, le Christ.

 

Prédication

Notre sommeil

 

Nous venons de passer le solstice d’été. Certaines religions païennes y auraient trouvé l’occasion de cultes solaires. Pour notre part, nous en restons souvent à ce qui touche très concrètement notre rythme de vie. Nous nous réjouissons de pouvoir longuement dîner sur la terrasse. Ou bien nous nous lamentons de nous réveiller si tôt avec la lumière du petit matin ! Tenez, par exemple, cette simple question qui pourrait faire l’objet d’un sondage de magazine : est-ce que l’été nous permettra de mieux dormir, avec l’arrivée des vacances ? Ou au contraire est-ce que les nuits plus courtes, et parfois la chaleur, réduiront notre temps de sommeil ?

Avec de telles questions, nous ne sommes pas nécessairement au cœur de la futilité. Le sommeil révèle un peu ce que nous sommes. Heureux celui qui peut dormir sur ses deux oreilles ! La qualité de notre sommeil est si importante pour notre humeur, pour notre équilibre ! Et les troubles du sommeil sont si fréquents parmi nous ! Pour toutes sortes de raisons, physiologiques, psychologiques ou environnementales, vingt pour cent de la population française souffre d’insomnie, ce qui est énorme. Cela veut dire qu’une personne sur cinq se présente au seuil de la nuit avec la question : « comment vais-je arriver jusqu’au matin ? comment vais-je traverser cette nuit ? »

Il est bien évident que nous n’allons pas faire ici un apprentissage de la relaxation, ni un cours sur les possibles médications, ni un exposé sur les thérapies de l’insomnie ! L’Évangile ne vient pas se substituer aux secours de la médecine ou des sciences humaines pour nous aider à mieux dormir. Secours souvent bien utiles d’ailleurs. Mais tout de même : l’Évangile n’aurait-il aucun lien avec nos traversées de la nuit ? Rien à dire à nos longues veilles ? Rien à dire à nos tentations inavouées ? Rien à dire à nos angoisses secrètes ?

 

Entre deux sommeils

L’Évangile de Marc n’ignore pas ce qui est en jeu dans le sommeil. Quelques versets avant ceux que nous lisons aujourd’hui, une parabole nous rappelle que le Royaume de Dieu est « comme un homme qui lance de la semence dans son champ ; puis il va dormir durant la nuit et se lève chaque jour, et pendant ce temps les graines germent et poussent sans qu’il sache comment ». Bienheureux sommeil du semeur qui a fait sa part de travail et laisse le soin à la terre de faire le reste. Bienheureux sommeil de celui qui sait que tout ne dépend pas de lui.

Mais voici encore un autre sommeil, dans l’Évangile de Marc. Celui-là se trouve juste après le récit de ce jour. A vrai dire, c’est plutôt une absence de sommeil, une insomnie maladive, et folle. Un homme, qui vit dans les tombeaux, accourt à la rencontre de Jésus. « Continuellement », nous dit l’Évangile, « la nuit comme le jour, il errait parmi les tombeaux et sur les collines, en poussant des cris et en se blessant lui-même avec des pierres. » Malheureux délire, qui prive cet homme du moindre répit. Malheureuse agitation intérieure, qui le fait souffrir et le mobilise à toute heure du jour et de la nuit.

C’est ainsi que la traversée de la mer prend place entre deux figures du sommeil. Entre un sommeil bienheureux, et un sommeil impossible. Ou plus exactement : entre le sommeil d’emblée plein de confiance du semeur, et l’absence de sommeil d’un homme qui va finalement être apaisé par Jésus. Qu’y a-t-il donc, entre ces deux histoires de sommeil ? Il y a une traversée, qui se passe elle-même de nuit. Les disciples accompagnent Jésus sur une barque qui va traverser la nuit, d’un jour à un autre jour. Et voilà que cette traversée, justement, met en scène l’opposition entre un sommeil bienheureux et un sommeil impossible !

Car les disciples sont dans l’angoisse, dans la tempête. Ils crient, comme l’homme insomniaque criera tout à l’heure au milieu des tombeaux. Pour eux aussi, tout sommeil est impossible. Et, de l’autre côté de la barque, Jésus dort, « la tête appuyée sur un coussin » précise Marc, comme pour narguer un peu plus le lecteur. Ici la peur des disciples, là le sommeil de Jésus. Ici l’inconfort des disciples, dans une barque qui prend l’eau, là le confort de Jésus, la tête sur le coussin. L’opposition est totale, presque provocante – et les disciples ne s’y trompent pas dans leur reproche : « cela ne te fait rien que nous allions mourir ? »

 

Où il est question de la mort de Jésus

Pour les disciples, la mort est proche. Alors cette mort qui menace les disciples doit nous alerter. Non pas seulement sur toutes les morts dont nous parlent les actualités, toutes les morts qui frappent, menacent, et parfois hantent nos existences. Mais la mort qui menace les disciples doit éveiller notre attention – car nous savons bien qu’il y a là un thème central de l’Évangile. Et là, en relisant attentivement ces lignes, en nous dégageant un peu de l’angoisse des disciples, c’est toute une évocation de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus que nous découvrons.

Relisons ensemble. « Ils quittèrent donc la foule, et les disciples emmenèrent Jésus… », nous dit Marc.  Pourquoi cette curieuse passivité de Jésus, alors même que c’est lui qui a donné l’ordre de passer sur l’autre rive ? A quel autre moment de l’Évangile trouverons-nous cette passivité, sinon lorsque la police religieuse et les soldats emmèneront Jésus vers la mort ? Marc nous parle ensuite d’une barque, dans laquelle Jésus dort, avant d’être réveillé par les disciples. Réveillé. C’est exactement l’un des termes employés pour parler de la résurrection. Jésus est réveillé de son sommeil par les disciples, tout comme il sera plus tard réveillé de la mort au jour de la résurrection. Enfin, l’autorité finale de Jésus sur les éléments déchaînés, ne fait-elle pas déjà penser à la puissance cosmique du Fils de l’Homme qui viendra dans sa gloire ?

Il y a donc dans ce petit récit de l’Évangile de Marc quelque chose de très poignant. Alors même que les disciples sont au cœur de l’insomnie et de l’angoisse, ils ne se rendent pas compte que Jésus vit quelque chose de sa passion et de sa mort. Il y a comme deux univers distincts, celui des disciples, enfermés dans leur peur, et celui de Jésus, enfermé dans son sommeil. On retrouvera d’ailleurs cette même distinction, mais inversée, au jardin de Gethsémané. Jésus sera pleinement éveillé, et en proie à l’angoisse de la mort qui approche. Et les disciples dormiront, inconscients du danger. Décidément, le sommeil de Jésus n’est pas notre sommeil, et ses veilles ne sont pas nos veilles !

Dans ces deux épisodes bibliques cependant, il y a un point commun : l’Évangile nous invite à sortir de nos peurs ou de nos inconsciences humaines, pour considérer la croix du Christ. Le sommeil du Christ, et la veille du Christ. La divine confiance du Christ, et sa fragilité humaine. Une confiance et une fragilité ordonnées à un même but : le don de soi-même pour le service de Dieu et des hommes.

Ainsi nos veilles et nos sommeils sont appelés à être évangélisés par le Christ. Si nous sommes capables de dormir sur nos deux oreilles, tant mieux pour nous ! Si nous sommes capables de veiller pour préparer une journée importante le lendemain : tant mieux pour nous aussi ! Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est dans le lien qui nous unit au Christ, et qui nous tend vers le Royaume de Dieu. Et ce lien n’est pas seulement en jeu dans l’activité de nos journées, mais aussi dans les temps nocturnes de nos veilles et de nos sommeils. Le Christ est le Christ de toute notre vie.

 

Le cri, expression du désir de la foi

On peut trouver différents témoignages qui expriment une découverte, ou un approfondissement de la foi à l’occasion du sommeil ou de l’insomnie. Telle personne se trouve profondément apaisée de pouvoir consacrer une partie de ses insomnies à prier. Telle autre, en prenant l’habitude de recopier quelques lignes d’un psaume avant de se coucher, trouve ensuite plus rapidement le sommeil. Telle autre avance dans un travail intérieur, en apprivoisant un peu sa peur de la mort grâce à la compagnie du Christ, qui a affronté et vaincu la mort. Telle autre clarifie, avec un frère ou une sœur qui sait l’écouter, les raisons troubles qui l’empêchent de se coucher à une heure raisonnable. Telle autre encore organise son mode de vie de façon à dormir moins lourdement et ainsi être un peu plus disponible à son conjoint le matin…

Ici ce qui compte n’est pas la recette de vie saine – il y a des tonnes de littérature para-médicale et parfois bio-écolo-spirituelle sur le sujet. Tout n’y est pas forcément absurde, d’ailleurs. Mais pour le disciple embarqué avec Jésus, ce qui compte est le désir sincère d’une vie plus en communion avec le maître. Ce désir qui, dans le récit de la tempête, prend la forme d’un cri : « maître, nous allons mourir, cela ne te fait donc rien ? »

Un tel cri est ambivalent. On le comprend généralement comme un manque de foi. Mais qu’est-ce que les disciples auraient bien dû faire, alors ? Auraient-ils pu eux-mêmes parler avec autorité aux vents et à la  mer, pour les calmer ?  Ou bien auraient-ils dû attendre paisiblement la fin de la tempête ? Ou encore auraient-ils dû couler paisiblement, en attendant un miracle de Jésus qui aurait fini par se réveiller pour les sauver ?…

Ne peut-on pas plutôt voir ce cri comme une expression de foi, expression nécessaire à partir de laquelle tout devient possible grâce à Jésus ? Ne pourrait-on pas entendre dans la réponse de Jésus le reproche, non pas d’avoir crié pour le réveiller, mais de l’avoir sollicité si tard, et d’avoir laissé tant de latitude à la tempête et à la peur pour s’installer ? « Pourquoi avez-vous si peur ? Pourquoi tardez-vous tant à me faire confiance ? »

 

Traverser la nuit avec le Christ

Ce soir, avant de nous coucher, nous pouvons penser à cette parole de Jésus, comme une parole qui nous est adressée personnellement : « passons sur l’autre rive ». Traversons ensemble. Allons ensemble jusqu’à l’autre bout de la nuit. Jusqu’au rivage de cette terre étrangère qu’est la journée de demain. Entendons cette parole comme le désir de Jésus, qui appelle en retour le cri de notre foi.

Dans la plupart des monastères, on chante le soir la liturgie des heures avec ces mots :

« Sauve-nous, Seigneur, quand nous veillons ; garde-nous quand nous dormons : nous

veillerons avec le Christ, et nous reposerons en paix ».

Le Christ est le Seigneur de nos nuits comme de nos jours.

Qu’il accompagne nos nuits, et nos jours en seront illuminés.

La paix du Christ nous est donnée.  Amen.


 

Pasteur Marcel Mbenga

Ps 107 / Marc 4, v. 35 à 41

 

Notes bibliques

Établissement du texte

Le texte de ce jour est un récit de miracle assez court que l’on retrouve aussi chez Matthieu ( 8 – 23 – 27) et chez Luc (8, 22 – 25). Il peut être intéressant de noter rapidement des écarts d’écriture entre ces trois évangiles dits synoptiques. Rappelons que c’est Marc qui écrit le premier et les deux autres ont connaissance de son texte et s’y inspirent pour écrire le leur.

Quelques écarts :

L’ordre de passer sur l’autre rive est commun aux trois mais la différence est dans la motivation et le moment où cet ordre est donné.

    • Chez Marc, l’ordre est premier. Il survient alors que la journée se termine et la traversée semble n’être motivée que par la seule volonté de traverser la mer.
    • Chez Matthieu, l’ordre est donné en Mt 8, 18 et il est motivé par la vue d’une grande foule. Ici, Jésus semble rechercher un lieu calme, loin de cette foule qui ne cesse de le suivre. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que Matthieu place entre cet ordre et le récit de la tempête apaisée, un autre récit qui met Jésus en présence des scribes qui veulent le suivre et à qui il donne des réponses assez étonnantes. Le moment de la journée n’est pas précisé.
    • Chez Luc, l’ordre n’intervient que lorsque les disciples et Jésus se trouvent dans la barque. Et cette traversée semble ici avoir eu lieu en pleine journée.

 

Les foules ?

    • Chez Marc, ce sont les disciples qui se chargent de renvoyer les foules nombreuses autour de Jésus. Puis, ils invitent Jésus dans la barque pour qu’enfin cette traversée puisse avoir lieu.
  • Matthieu ne nous dit plus rien au sujet de cette foule. Il signale sa présence, mais ne dit pas si elle est renvoyée ou non.
  • Et chez Luc, la foule est absente.

 

Combien de barques pour la traversée ?

    • Marc signale la présence d’autres barques qui font la traversée aux côtés de celle de Jésus et ses disciples.
    • Ni Matthieu ni Luc ne reprennent cette mention d’autres barques.

 

La requête des disciples.

Les trois évangiles signalent que Jésus s’est endormi pendant la traversée et au moment où la barque est malmenée par les vents, Jésus dort et il faut le réveiller.

    • Pour Marc, les disciples s’adressent à Jésus en terme de reproche : « Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons ? »
    • Pour Matthieu, les disciples appellent explicitement au secours : « Seigneur, sauve-nous, nous périssons »
    • Et Luc note simplement que les disciples informent Jésus de ce qui se passe : « Maître, nous périssons »

 

L’Action de Jésus.

    • Chez Marc, Jésus se réveille – calme le vent et seulement ensuite – s’adresse aux disciples.
    • Chez Matthieu, Jésus se réveille – s’adresse à ses disciples – et seulement après calme le vent.
    • Quant à Luc, il garde le schéma de Marc.

Ces écarts peuvent nous permettre de comprendre les étonnements que suscite le texte de Marc qui nous est proposé pour ce dimanche.

 

Étonnements du texte.

  1. Le premier étonnement : Pourquoi cette traversée et surtout pourquoi une traversée le soir ? La mer encore appelée le Lac de Tibériade n’est pas si petite que cela. Les dimensions sont 12 km de large dans la partie la plus large d’est en ouest, et on sait que les barques étaient de qualité modeste. La longueur du lac peut atteindre les 21 km
  2. Marc signale la présence d’autres barques et au moment de la tempête, il n’en fait plus allusion. Si les foules ont été renvoyées, force est de constater qu’à nouveau Jésus est entouré jusque dans le large par d’autres barques. Qu’est-ce à dire ? A-t-il vraiment du mal à se retrouver seul avec ses disciples ? Quel rôle la présence de ces barques peut-elle bien jouer ? Peut-on finalement penser Jésus sans le compagnonnage de ces gens qui le suivent partout où il se rend ? De plus, qu’est donc advenu à ces barques au moment de la tempête ? Certainement que c’est pour éviter ce type de questions que Matthieu et Luc ont corrigé Marc en supprimant la mention des autres barques. Mais, il me semble important de ne pas négliger cette présence que nous signale Marc pour garder en tension nos questions.
  3. Jésus s’adresse au vent comme à une personne ou à un démon.
  4. On peut noter la crainte des disciples qui les gagne une fois le calme revenu. Ils avaient certainement peur, puisque Jésus le souligne mais cette peur est toute différente de la crainte qu’ils éprouvent après l’apaisement de la tempête.
  5. Au moment de la tourmente, que fait Jésus ? Il dort ! Et il semble dormir profondément. Que signifie ce sommeil ?
  6. Jésus est réveillé sans ménagement. Les disciples ne s’expliquent plus ce sommeil au moment critique de la traversée. Il y a de l’amertume dans les propos. La critique est vive. Ce que nous ne retrouvons ni chez Matthieu ni chez Luc qui sont beaucoup plus et beaucoup mieux installés dans une tradition d’une Église qui a déjà connu une certaine évolution.
  7. La réaction des disciples montre qu’ils ne connaissent pas encore celui qu’ils ont suivi, ils ne connaissent pas encore vraiment celui pour qui ils ont tout laissé.

 

Découpage du texte.

Bien que très court, ce texte peut être subdivisé en trois parties.

  1. Marc 4, 35 – 36 : Introduction. Mise en place du décor. Les personnages sont nommés : Jésus – Les disciples – les foules. Le lieu est indiqué : La mer et ses rivages. Le temps : le soir. L’action : Une traversée en barque.
  2. 4, 37 – 39 : La traversée tumultueuse et l’apaisement. Ici tout est indiqué sur le déroulement de l’action digne d’un grand scénario de film qui montre une fin plutôt heureuse.
  3. 4, 40 – 41 : Dénouement, on pourrait aussi dire épilogue : Ici, parce que certainement, ce n’est pas un film, la fin heureuse de l’action n’est pas vraiment la fin. Elle ouvre à une autre dimension, beaucoup plus existentielle. La crainte naît une fois le calme revenu et le questionnement conduit à la meilleure connaissance ou reconnaissance du Maître.

 

Analyse du texte.

Le récit relate un miracle. Dans le Nouveau Testament, on rencontre des miracles de différentes natures.

Des miracles dits de guérison : Des personnes malades sont guéries de leur mal de manière inattendue alors que rien ne permettait jusque là de le soulager. Dans ce type de miracle, il est très souvent question de hâter la venue du Règne de Dieu à travers la personne de Jésus.
Il y a aussi l’exorcisme. C’est une autre forme de miracle où il convient de chasser ou expulser le ou les démons (esprits impurs) qui possèdent une personne.
Des miracles de la nature. Ce sont des miracles qui touchent aux éléments de la nature. Dans le cas de notre texte c’est une grande tempête qu’il faut calmer. Ce type de miracle vise beaucoup plus à définir l’identité de Jésus.
 
35 : « Passons sur l’autre rive » : Une suggestion de Jésus met en évidence la dimension du passage. Il est à noter que ce texte accompagne souvent des faire-part de décès pour illustrer la mort comme un passage d’une vie à une autre, d’un rivage à l’autre. On peut donc aisément développer à partir de ce texte l’importance des rites de passage : tous les types de passage : d’un âge à l’autre (l’entrée à l’adolescence ; dans le monde du travail ; le changement de logement …) On peut aussi y voir la vie comme perpétuel passage, une marche, un mouvement. Rien n’est finalement figé… La question restera toujours à réfléchir que sont nos rives. D’où sommes-nous situés, Où allons-nous ? Comment y allons-nous ? Avec qui cheminons-nous ? Et dans ce cheminement la tourmente peut prendre place et l’apaisement est tout autant certain. Mais comment déceler ces grands tumultes et comment les abordons-nous : avec ou sans confiance ?
 
37-38 : Pendant la traversée, Jésus dort. Alors que la tempête met la vie des disciples en danger, Jésus reste profondément plongé dans le sommeil. Quelques éléments d’ordre général :

    • La mer et à fortiori les tempêtes et les naufrages faisaient peur aux juifs. Ils leur prêtaient des puissances maléfiques et menaçantes.
    • Le sommeil désignait la non-intervention de Dieu et allait jusqu’à signifier son absence.
    • Face à ces éléments, la foi permettait de proclamer non seulement la présence agissante de Dieu mais surtout sa victoire sur la mer et sur les forces et les esprits qui y habitent. On peut noter que le Psaume 107, qui est aussi proposé comme l’un des textes de ce dimanche, chante cette louange à Dieu ponctuée aux versets 8, 15, 21,31 par ce refrain : « Qu’ils célèbrent l’Éternel pour sa bienveillance et pour ses merveilles en faveur des humains ! » On trouve des traductions qui parlent de la bonté du Seigneur ou encore d’une louange pour ses actes étonnants en faveur des humains. Et parmi ces actes étonnants, il y a cette intervention pour calmer la tempête et conduire au port ceux qui, déjà, sombraient ( Ps. 107, 23ss.) « … Il (l’Éternel) parla et il fit lever un vent de tempête qui souleva les flots. Ils montaient au ciel, ils descendaient dans les abîmes, ils défaillaient dans le malheur ; saisis de vertige, ils titubaient comme l’ivrogne, et toute leur sagesse était engloutie. Dans la détresse, ils crièrent vers le Seigneur, et Il les fit sortir de leur désarroi. Il arrêta, calma la tempête, et les flots se turent… » Quand Jésus agit directement sur les éléments de la création, il se révèle comme Dieu et est autant digne de louange.

Le récit de la tempête dans les évangiles est souvent comparé à celui de Jonas. Sont-ils vraiment semblables ? Si sans conteste, il existe quelques ressemblances, il nous semble clair que ces deux récits n’ont pas vraiment la même fonction. Il est vrai qu’en pleine tourmente du bateau, Jonas dormait, Jésus aussi, l’un comme l’autre se fait réveiller, Jonas par le capitaine et Jésus par ses disciples. Hormis ces faits, tout les distingue. Jésus est d’emblée vu comme le Maître, celui qui va à coup sûr sauver les disciples de ce tourbillon, celui qui peut agir sur les événements et qui peut faire changer les choses avec autorité. Alors que chez Jonas, Dieu se sert du naufrage comme châtiment et Jonas n’a aucune autorité pour agir directement sur l’événement chaotique.

Il est question de foi. Il est question de crainte, la crainte du divin, ce récit vise quelque peu la révélation du divin qui comme dans l’Ancien Testament ne peut que susciter crainte et tremblement des personnes.

Il est question de l’identité de la reconnaissance du Christ. La question des disciples dépasse alors Jésus comme le Fils de dieu mais, plutôt Jésus comme Dieu lui-même. Dieu qui a la puissance sur les éléments de la création.

 

Pistes pour la prédication

à travers l’analyse de ce texte, plusieurs pistes peuvent être explorées pour y déceler un message de vie.

On peut imaginer ce que peut être pour nous aujourd’hui la barque dans laquelle nous, qui sommes à la suite de Jésus, sommes installés. La vie, nos vies ne sont-elles pas une sorte de traversée d’une rive à l’autre ? L’Église qui rassemble les fidèles appelés ne peut-elle pas  aussi être comprise ainsi ? Etc. L’idée est d’explorer quelle présence Jésus a-t-il dans nos différentes barques ? Et le signalement de nombreuses barques au départ, alors qu’une seule est évoquée pendant la tempête, n’est-ce pas une manière de dire ceci : certes, nous pouvons prendre le large à travers plusieurs barques, mais au fond, une seule nous rassemble tous, celle dans laquelle Christ a pris place avec nous ?

Vue sous un certain angle, la dimension de la foi domine ce texte. La foi serait-elle un rempart qui protégerait de tout découragement, de toute peur et garantirait une sérénité ? Ici on peut explorer le thème de la foi.

Si l’on considère l’invitation de Jésus à passer sur l’autre rive comme un passage de cette vie à une autre vie à travers la mort, ce texte est tout aussi bien indiqué pour un texte d’accompagnement lors des obsèques. Un passage qui peut mettre en évidence une grande tempête mais que la présence de Jésus apaise sans toute fois rien escamoter. On pourrait alors prêcher sur les rites de passage qui jalonnent nos vies, leur pertinence et leur apport pour la construction de l’être.

On pourrait aussi explorer la dimension de la Parole. Jésus parle aux éléments comme à des personnes. Et si Jésus leur ordonne de se taire, c’est bien que ces éléments parlent aussi. Ne dit-on pas souvent que telle chose ou tel élément me parle ou non ? Jésus parle ensuite aux disciples et il serait intéressant de voir à quel moment Jésus parle à ses disciples. Certes il y a un écart entre Marc et Luc d’une part et Matthieu d’autre part (voir plus haut en 1. e). Quel est le moment où cette parole peut devenir audible et pourquoi ? Quelle parole prononcer en pleine crise ou en pleine tempête ? On insistera alors sur la force de la Parole qui permet des résurrections. Dieu a tout fait par la Parole et son Fils en s’incarnant est tout autant resté pleinement Parole vivante de Dieu.

 

Prédication

Marc 4, 35 – 41 et Psaume 107

Le monde est secoué depuis l’automne dernier par ce que l’on pourrait qualifier de grande tempête. Les systèmes financiers qui semblaient solides et irréprochables se sont ébranlés obligeant tous les acteurs économiques à repenser leurs fondamentaux et mettant en première ligne les politiques pour fixer les règles d’une meilleure régulation. Dans ce grand tourbillon, ce sont de nombreuses familles qui crient, appellent au secours, se révoltent et risquent, si ce n’est déjà fait, de se retrouver dans la rue, sans rien.

Aux mois d’avril et mai dernier, une grippe frappait lourdement le Mexique, avec un risque de pandémie, obligeant là aussi tous les acteurs du monde à repenser l’interdépendance des humains. Ce n’était plus le Mexique seul qui était embarqué dans cette crise et cette galère, mais le monde entier s’est senti, tout à coup, logé à la même l’enseigne, dans une même et unique barque.

Ces deux événements ne sont qu’un petit aperçu du fait que l’humanité tout entière est transportée dans la même barque. Les problèmes qui touchent l’un peuvent avoir des conséquences très fortes sur l’autre. Une banque fait faillite aux États-Unis ! Une forte bourrasque s’élève et tout le système financier mondial risque de s’écrouler. Une maladie survient dans une petite localité ! Voilà que ce fait peut devenir planétaire. Plus que jamais, les concepts de globalisation ou de mondialisation rejoignent, avec plus en plus de force et de manière de plus en plus percutante, une réalité qui dépasse les premières « frontières » qu’on avait fixées. On avait d’abord utilisé ces concepts dans les domaines des relations marchandes  ou des échanges économiques.

Deux événements récents révélateurs, mais, à vrai dire, l’histoire de l’humanité nous a souvent donné de nombreux autres exemples. Nos mémoires sont simplement parfois si courtes que nous oublions très vite les enseignements reçus. Le temps balaye tellement les choses que nous aimerions tant garder. Mais, de tout temps, la preuve a toujours été donnée, si besoin était, que tous les humains sont logés à la même enseigne. Nous avons, tous, les mêmes fragilités et les mêmes limites. Le message évangélique nous révèle, fondamentalement, qui nous sommes et combien nous avons besoin de la grâce, de la paix et du pardon de Dieu pour vivre. L’une des questions que nous pose le texte de ce jour est non seulement : comment sommes-nous embarqués ? Elle a encore trait à la place qu’occupe le Christ dans la barque et surtout à la confiance que nous lui accordons-nous et à la relation que nous entretenons avec lui lorsque nous vivons des grandes tempêtes.

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Les tempêtes qui secouent le monde n’épargnent certainement pas l’Église. Il nous est plus que jamais difficile de nous penser, en tant qu’Église, en dehors du monde avec ses contraintes et ses réalités. La crise qui frappe le monde touche aussi l’Église. Les bouleversements sociaux touchent aussi les membres de l’Église. Les conflits sont aussi installés dans l’Église. Dans la situation de grandes bourrasques, lorsque tout se brouille en nous ou entre nous, quand nous traversons des périodes difficiles – perte de notre emploi, maladie, décès d’un proche…, quelle parole peut alors nous aider ? Comment une parole apaisante peut-elle être dite et surtout entendue ? Comment Jésus nous y aide-t-il ?

Le chrétien n’est donc pas épargné. Il est, tout comme les autres, logé à la même enseigne. Mais, il est conscient que dans la barque, Jésus a pris place. Ceci est d’autant plus vrai que c’est Jésus qui prend l’initiative du compagnonnage. Il a proposé à ses disciples cette traversée du lac de Tibériade. Mais, ce qui peut être surprenant, c’est qu’au moment de la tourmente, au moment où la vie s’assombrit et que tout semble tourner au drame, Jésus dort. Son sommeil semble être profond. On dirait qu’il ne mesure pas la gravité des faits qui pourraient avoir des conséquences pratiquement irréparables pour ses disciples et certainement pour lui aussi. C’est le sens de l’interpellation des disciples. Ils s’interrogent. Ils ne comprennent pas le sens de ce sommeil. Le corps humain exige un rythme qui combine temps d’éveil et temps de sommeil. Besoin physiologique. Pour mieux combattre la fatigue, pour une régénération des forces, bien dormir, n’est-ce pas ce qu’il y a de mieux ? Jésus avait, peut-être, simplement besoin de repos après une sacrée journée. Ne le faisons-nous pas nous-même ? Mais, on le sait aussi, « le sommeil de Dieu » disait tout autre chose. Il signifiait : la non-intervention de Dieu et même son absence. Du coup, le sommeil de Jésus, fils de Dieu, renvoie quelque peu à cet abandon de Dieu. «  Maître, tu ne te soucies donc pas de ce que nous périssons ? » Une interpellation empreinte de reproche. Les disciples sont secoués par ce qu’ils vivent, ils ne font pas qu’interpeller Jésus, ils le réveillent sans ménagement. Pourquoi cette attitude du Maître ? Alors que la barque est malmenée et que l’eau remplit la barque, Jésus semble ne rien ressentir. N’importe qui se serait réveillé, pourquoi pas lui ? C’est ce qui explique cette amertume dans les propos. La critique est vraiment vive.  Cette situation nous rappelle un tout autre événement que nous relate le quatrième évangile. Quand Jésus arrive auprès de la famille de Lazare, son ami est déjà mort ; les deux sœurs du défunt, Marthe et Marie, viennent à sa rencontre et lui disent l’une après l’autre : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort », Jean 11, 21 et 32. C’est la même tonalité de reproche que dans la barque. Jésus est-il vraiment conscient de ce qui arrive à ceux qui l’ont suivi ?

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Jésus entend cette critique. Il agit sur les causes du désespoir. Il calme la tempête, ressuscite le mort. Du coup, non seulement, il n’est pas indifférent au sort de ses disciples, mais  il a encore toute la capacité d’intervenir pour les sortir de l’impasse et les sauver de la mort. L’acte du salut est premier. Le compagnonnage avec Jésus suffit pour rétablir calme et paix. Son sommeil ne signifie donc en aucun cas une absence ou indifférence, mais il veut révéler aux disciples son identité profonde. Son action est une action directe. Il n’en appelle pas à Dieu, mais il s’adresse au vent et à la mer qui lui obéissent. Tel Dieu qui a remporté la victoire sur la mer et sur les forces et les esprits qui y habitent. Le Psaume 107 est l’un des beaux psaumes de louange. Il est ponctué par le refrain : « Qu’ils célèbrent l’Éternel pour sa bienveillance et pour ses merveilles en faveur des humains ! » Le psalmiste invite à louer Dieu pour sa bonté, pour ses actes étonnants en faveur des humains. Et parmi ces actes étonnants, il y a cette intervention pour calmer la tempête et conduire au port ceux qui, déjà, sombraient ( Ps. 107, 23ss.) « … Il (l’Éternel) parla et il fit lever un vent de tempête qui souleva les flots. Saisis de vertige, ils (les hommes) titubaient comme l’ivrogne, et toute leur sagesse était engloutie. Dans la détresse, ils crièrent vers le Seigneur, et Il les fit sortir de leur désarroi. Il arrêta, calma la tempête, et les flots se turent… » C’est exactement ce qui se passe avec Jésus en ce jour de la traversée du lac de Tibériade. Et la crainte des disciples qui naît de l’efficacité de l’intervention directe de Jésus sur les éléments de la nature suffit à montrer que Jésus est Dieu.

La confiance tout comme le courage naissent, du moins doivent naître, de la présence de Jésus dans nos vies. Au cœur des difficultés et souffrances de toutes sortes qui s’abattent sur nous, la parole de Jésus se déploie pour apaiser et réconforter. Il ne fait pas de reproche, mais nous invite à un peu plus de foi pour croire en sa présence agissante.

Amen

[1] Il préfère garder l’expression pour plus tard (Mt 16,5) !