Notes bibliques

Cette péricope est l’extrait du premier discours d’adieu de Jésus.
Jésus parle à ses disciples à un moment clé de sa vie et de son ministère. Il sait l’heure de la mort proche. Comme pour chaque être humain qui arrive à ce tournant de son existence, Jésus réunit ses proches et leur laisse un testament. On connaît dans la Bible d’autres Testaments :
– Le testament de Jacob à ses fils (Genèse 49)
– Le testament de Moïse (Deutéronome 33)
– Le testament de Paul (Actes 20, 17 – 38)

Un testament s’adresse en priorité aux intimes. Celui qui l’établit fait le point sur son vécu tout en ouvrant sur l’avenir. Le testament a pour but de faire sens et donner du sens non seulement à la vie vécue et qui s’achève ou la vie (tout court avec ceux qui sont appeler à la poursuivre) mais aussi du sens à la mort. Le lieu et le moment choisis pour transmettre l’ultime parole prennent un relief tout particulier. C’est lors d’un repas que Jésus prononce ce discours d’adieu. Tous ses disciples sont réunis autour de lui. On ne va pas s’attarder sur la nature de ce repas pour sortir de ce débat que nous ne pouvons pas trancher. Repas pascal comme l’indiquent les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) ou simple repas d’adieu comme semble le proposer le quatrième évangile ? Il convient, pour notre part, de laisser de côté cette recherche historique pour privilégier le message pour les disciples et pour nous aujourd’hui.
Le repas sert donc de cadre à cet ultime entretien que veut Jésus avant son arrestation et sa mise à mort. Il s’y passe des choses : l’enseignement reste le fil rouge. Jésus lave les pieds de ses disciples. Il révèle la trahison dont il est l’objet. Le moins que l’on puisse dire à propos de ce repas, c’est qu’il n’est de tout repos pour personne. Jésus prépare ses disciples et se prépare la passion. Le doute et l’incompréhension planent dans la pièce. La culpabilité et le sentiment de culpabilité envahissent le groupe autour de Jésus qui leur dit : « L’un de vous me livrera. » 13, 21. « Seigneur qui est-ce ? » rétorquent les disciples.

S’ils se réunissent à 13, le groupe va très vite se restreindre. Judas quitte ses amis. Il sort à un moment stratégique et ne les rejoindra plus. Si Jésus a lavé les pieds de tous, s’il a mangé avec tous, c’est aux onze qu’il prononce son discours d’adieu. Juda n’a pas entendu les paroles fortes et ultimes de Jésus. Il s’est retiré de lui-même.
Dans notre texte quatre temps forts :
1. Le Père et le Fils font cause commune et sont dans un même destin. V. 22 – 24.
2. Jésus passe la main à l’Esprit Saint et à l’action de celui-ci.
V. 25 – 26.Enseigner, aider la lutte contre l’oubli…
3. Le don effectif de la paix pour toujours et quelles que soient les épreuves. V. 27 – 28. Une paix qui est toute autre et qui s’écarte de la paix du monde.
4. Exhortation à la foi et remarques conclusives. V. 29

À noter :
Il nous est proposé de lire les versets 23 à 29. Je suggère de commencer un verset plus haut et d’inclure ainsi le verset 22. Ce qui donne, à mon avis, une certaine cohérence. Jésus dans son discours est relancé par Jude, l’un de ses disciples (v.22). « Seigneur comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non au monde ». Cette question me semble capitale pour comprendre la suite. Le texte qui suit donc est en quelque sorte la réponse à l’interpellation de Jude et rend ainsi le discours de Jésus vivant. Thomas (v.5) et Philippe (v. 8) l’ont fait plus haut. Jésus écoute et répond aux préoccupations de ses amis. Son testament prend des allures dynamiques. Il se laisse encore bouger et interpeller à ce stade de sa mission.
Il n’y a pas de difficulté particulière à ce texte où l’on retrouve quelques thèmes chers à Jean : – l’amour ; – l’unité entre le Père et le Fils. C’est le Père qui envoie le Fils et c’est lui qui enverra son Esprit à la demande du Fils ; – le monde et – le croire ou la foi.

Pistes de prédications
Le calendrier liturgique nous place entre Pâques et Pentecôte. C’est une période propice pour prêcher ou méditer sur la promesse du Saint-Esprit que Jésus nous fait. Jésus laisse la place à un successeur qu’il désigne. Il a achevé sa mission et en même temps, l’œuvre est inachevée. C’est au Saint-Esprit de conduire cette œuvre à l’achèvement pour chacun. C’est aussi l’occasion de montrer combien l’œuvre de Salut est une affaire qui s’inscrit dans la durée et de ce fait a besoin d’un indicateur permanent, qui quitte le registre du visible, du palpable pour être le lieu de tous les ressourcements possibles. Il est à noter qu’à la résurrection, il est encore question de toucher Jésus pour croire : cf. Thomas et ses amis en Jean 20. L’Esprit Saint ou le paraclet comme l’appelle l’évangéliste Jean. Du verbe grec «parakalew» parakaléo qui signifie appeler auprès de…. Consoler, encourager et réconforter sont aussi les sens qu’on prête à ce verbe. Du coup, le paraclet, celui qui est appelé et qui vient au secours, est aussi le défenseur, le consolateur, l’intercesseur. Chez Jean, le paraclet est l’interprète de Jésus. Il vient à la suite et à la demande de ce dernier pour poursuivre l’enseignement et lutter contre le naufrage de l’oubli. On peut donc axer sa prédication sur l’attente. Une attente nourrie par la promesse. Tous nos lieux d’attentes deviennent alors des lieux riches où l’on est finalement pas seul parce que, justement, porteur ou au bénéfice de la promesse tenue.
Prêcher le thème de la paix. Une préoccupation qui traverse tous les temps et tous les lieux et qui reste la quête de l’humanité tout entière. C’est la piste que j’ai choisie de développer ci-dessous.

Prédication
La Paix est une des grandes préoccupations que chacun de nous peut partager avec les autres et avec le monde entier. Notre actualité nous conduit à nous souvenir que voici quatre ans déjà que dure la guerre en Irak. La question du Darfour interpelle et les signatures se multiplient en faveur de la cause des populations dans ce coin de la planète. L’Afghanistan reste un grand foyer de tension. Nos yeux sont toujours fixés vers Israël et les territoires palestiniens. Et les autres situations conflictuelles ici et là. Et tout près de nous ! Ne nous arrive-t-il pas, lorsque la magie de la télévision s’y met, de vivre quasiment en direct des bombardements, des mouvements de populations en quête d’un lieu calme et sûr ? En temps de guerre, nous entendons des invectives et autres propos qui traduisent les difficultés des hommes à vivre en parfaite harmonie et en bonne intelligence. Chaque nouvelle guerre, chaque foyer de conflits nous renvoie toujours à d’autres guerres antérieures que les médias taisent ou ne relayent plus sans que le calme ni la paix n’y soit vraiment revenus. Tous ces conflits au loin comme au plus près de nous : dans nos familles, dans nos Églises, dans nos entreprises ou au-dedans de nous, suffisent pour nous convaincre, si besoin était, que la paix est ce qu’il y a de plus précieux et de plus irremplaçable pour l’humanité et que la paix reste la soif de notre monde. Est-il nécessaire de plonger dans une méditation profonde pour nous rendre compte que nous sommes tous des affamés de paix ?

Les organismes que nous créons sont là pour promouvoir cette paix entre les peuples. Je pense à l’ONU (l’Organisation des Nations Unies) qui multiplie des initiatives en faveur de la paix. La décennie de la culture de non-violence et de paix (2001 – 2010) avec chaque année une journée consacrée à la paix. Je pense aux Églises. Le COE (Conseil Œcuménique des Églises) a aussi lancé un programme intitulé « Vaincre la Violence » qui appelle toutes les Églises à vivre entre autre dans la prière pour la paix, à promouvoir la paix entre tous etc. Nous connaissons certainement d’autres initiatives ici et là tout près de nous ou ailleurs. C’est la preuve, une fois de plus, que la paix reste pour l’humanité tout entière une vraie quête.
Jésus ne peut ignorer cette quête. Alors que l’heure de la croix est toute proche, alors que le monde est plein de vacarme, d’événements tumultueux, de guerre et disputes de toutes sortes, – comme c’est encore le cas aujourd’hui, – Jésus, de sa propre initiative, dit à ses disciples :
« Je vous laisse la paix. Je vous donne ma paix ». v. 27

Ce don de paix n’est pas sans lien avec la vie sur terre. C’est d’ailleurs pour cela que ce message nous atteint et nous parle encore aujourd’hui. Jésus n’a pas caché l’épreuve qui l’attendait ni le climat de violence ni l’irruption des forces du mal qui s’abattraient sur lui, encore moins le scénario de haine et de mort qui allait le conduire à un certain vendredi noir où tous les espoirs posés sur lui allaient se briser au-dessus d’une croix. Tel est le contexte dans lequel se trouvaient aussi bien les disciples que tous ceux qui avaient suivi Jésus et qui avaient mis leur confiance en lui. Un contexte qui pourrait être rapproché de nos propres situations de détresses, de déceptions, d’illusions brisées et de coups durs qui nous atteignent dans notre quotidien. C’est dans ces contextes difficiles que la parole de Jésus et sa promesse viennent se dire. C’est là le message apaisant et réconfortant de l’Évangile. Il reste que ce message a du mal à être reçu, et pour cause.

Au moment où il se prépare à quitter ses disciples pour affronter la mort, Jésus sait déjà que la tourmente de ses disciples ne sera pas de courte durée. Nous savons aujourd’hui que même la résurrection n’a pas suffit pour dissiper tout le désarroi des disciples. C’est pourquoi, au soir de sa résurrection, quand Jésus apparaît à ses disciples, ses premiers mots sont : la paix soit avec vous. Une parole qui rejoint celle du discours d’adieu pour répondre à l’affliction des disciples comme à notre affliction. Jésus ne se contente pas de simples paroles, mais il donne sa paix. Ce don va au-delà d’un simple souhait comme nous pouvons le faire les uns pour les autres. La paix du Christ, comme un vrai héritage, nous est donnée au cœur de nos chaos comme une force libératrice : « Que votre cœur ne se trouble pas ». v. 27. Nous pouvons lire dans d’autres traductions « Que votre cœur cesse de se troubler » (la TOB par exemple). Une manière pour signifier, encore mieux, l’apaisement effectif opéré en chacun de nous. Une paix dont Jésus précise qu’elle constitue une toute autre réalité. En tout cas, une réalité différente de ce que les hommes ou le monde désigne par « la paix ». La paix du monde, telle que nous tentons de la construire à travers les différentes initiatives des uns et des autres, est une paix fragile. Et, c’est d’ailleurs ainsi que l’on qualifie de nombreux cessez le feu suite à des guerres récurrentes qui minent notre monde. Une paix fragile du monde est loin d’être la paix du Christ. S’il convient de ne pas négliger tous les efforts qui conduisent au dépôt des armes, cette paix que nous négocions sera toujours fragile parce que, à tout moment, tout peut basculer dans l’horreur ou l’oubli, ici ou là. Ceci dit, une question s’impose à nous : Qu’est-ce donc que la paix du Christ qui nous est donnée ?
Qu’il est difficile, vous vous en doutez, voire impossible d’être exhaustif. Mais nous pouvons tout au moins en esquisser quelques caractéristiques.

Relevons-en trois :
1 – La paix du Christ est communion. Elle n’est pas à confondre avec une vie tranquille qui souvent ne vise qu’à sauvegarder nos égoïsmes. Elle a toujours à voir avec l’intériorité, car c’est du dedans de soi qu’elle doit surgir et rayonner. Elle assume les conflits parce qu’elle assume le visage de l’autre et ne se contente pas d’un simple confort de vie. La paix du Christ nous donne de risquer et désirer toujours la rencontre de l’autre quel qu’il soit. Dans la rencontre, il y a forcement un échange, une écoute, des compromis et aussi des situations plus ou moins conflictuelles et difficiles. Ainsi donc la paix du Christ nous donne de voir dans le visage de l’autre, non pas une menace, mais bien la chance d’une nouvelle communion.
2 – La paix du Christ est une affaire de Dieu. Elle a son origine absolue en Dieu. Elle dépasse de loin la simple réconciliation entre les hommes qui serait le fruit d’une habile diplomatie. Elle n’est pas à confondre avec un ordre mondial qui ne reposerait que sur la concertation des intérêts des individus et des groupes mis en jeu. La paix du Christ, si elle a son origine absolue en Dieu, elle demeure pour tout Homme qui croit un combat spirituel. Spirituel, parce qu’elle est, d’abord et avant tout, la paix du cœur. De ce fait, elle devient le fruit d’une lutte victorieuse contre les passions et toutes sortes de tentation qui nous guettent.
3 – La paix du Christ enfante la douceur. Une douceur qui va de pair avec l’humilité pour nous mettre en accord avec nous-mêmes, avec autrui et avec Dieu. Cette triple réconciliation, trouve sa source à la croix du Christ. Christ sur la croix a porté nos souffrances et nos blessures. Il s’est chargé de nos douleurs, comme l’a annoncé le prophète Ésaïe (Es 53, v. 4ss) en parlant par avance du serviteur souffrant de l’Éternel. « Il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. » Aujourd’hui, nous reconnaissons aisément que cette prophétie désigne Jésus. Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’une telle déclaration d’Ésaïe fut inaudible pour la plupart des gens et surtout qu’elle l’est encore pour bon nombre d’entre nous. Comment comprendre et faire comprendre que la croix du Christ est source de paix pour tous, alors que visiblement tout indique le contraire ?
La question que pose Jude est nourrie par cette même réalité d’incompréhension et de doute.
« Seigneur demande-t-il à Jésus, Comment se fait-il que tu doives te manifester à nous (les disciples) et non au monde ? » v. 22

Jude laisserait-il entendre que le message évangélique est restrictif ? Jésus s’est montré pourtant toujours intéressé au monde et c’est d’ailleurs tout le sens de sa mission. C’est au monde qu’il doit faire connaître son Père et c’est ce monde qui a vocation à croire. D’où vient alors que Jude pose une telle question ? La réponse de Jésus est hautement édifiante. En répondant à son disciple, Jésus met l’accent sur la situation présente que vivent des disciples, et leur ouvre un avenir inédit. Il les sait surexposés. Alors, il leur parle d’amour. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon père l’aimera ; nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui. » Esquive-t-il la question ? On pourrait le penser, mais le conditionnel qu’il utilise n’autorise aucune restriction au dessein de Dieu. C’est bien tout homme et non pas le seul disciple qui est appelé à aimer le Christ afin d’éprouver l’immense tendresse du Dieu qui aime tous les hommes. Dieu aime le premier et en l’aimant en retour, du fait de cet amour réciproque, une véritable communion s’établit en nous. Nous devenons, chacun de nous, le lieu où le Dieu Père, source de tout amour, et le fils manifesté par sa parole, se rejoignent dans une vivante communion.

A la paix donnée effectivement, qui ne souffre d’aucune condition, la mention de la joie est sous la forme d’une proposition conditionnelle : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez. » L’amour proposé d’abord comme source et moteur de toute communion, comme je viens de le rappeler, devient une condition (sine qua non) pour accéder à la joie. Du coup, entre la paix donnée et la joie promise, le discours de Jésus creuse un espace ouvert à l’action de l’Esprit Saint. Nous pouvons encore mieux l’entendre en ce temps liturgique qui nous conduit à la Pentecôte. Le Saint-Esprit nous enseigne et nous défend contre notre défaut de mémoire et contre notre manque de foi en l’actualité vivante de la parole et des gestes de Jésus. Ce n’est pas un souvenir au sens intellectuel ou affectif, comme on se souviendrait d’un vieil ami d’école ; mais il s’agit d’une véritable actualisation de l’œuvre de Jésus dans ce monde et dans nos vies et au cœur de nos tourmentes et de nos paix fragiles. Ainsi, L’Esprit qui nous vient du Père entretiendra toujours en nous la vive mémoire du Fils ressuscité, qui nous assure la paix véritable : La paix du cœur.
Amen