Notes bibliques

Introduction
Le « miracle » de Jésus à Cana n’est pas comme les autres.
– Je mets le mot miracle entre guillemets, car il signifie « signe ».
Dans les autres évangiles, le mot miracle signifie « acte de puissance ».
Pourtant c’est un des miracles les plus célèbres, sinon le plus célèbre.
Imaginez en France : changer l’eau en vin…
Il a connu une multitude d’interprétations, sans doute parce qu’il déroute ; jusqu’à en détourner le sens :
Apologie de Marie, modèle de foi
Évocation de la Cène, avec la multiplication des pains – (pas de Cène chez Jean)
Allusion au baptême qui remplace les ablutions rituelles (les 6 jarres)
La Nouvelle Alliance (banquet de noces)
La tentation de Jésus au début de son ministère
et j’arrête là.

Jean se contente de commenter ce récit ainsi : commencement des signes de Jésus. Commencement = mot qui se place au début de la Bible (Genèse 1,1) et de l’Évangile de Jean (1,1)

Présentation du récit
Le chapitre 1 de Jean contient le célèbre prologue, suivi des paroles de Jean Baptiste sur Jésus et la rencontre avec cinq futurs disciples.
Sans transition (excepté la mention 3 jours après, qui indique la fin d’une semaine – le shabbat ?) Jean raconte une noce. L’Évangile commence avec (ou comme) une noce.
L’ensemble des exégètes et commentateurs sérieux sont d’accord pour dire qu’il ne s’agit pas du récit précis d’un événement, mais qu’il s’agit d’un conte symbolique :
exposition du cadre – manque à combler – vient le héros – récit de son action – victoire et louange.
D’autre part, il y a beaucoup d’invraisemblances pour un récit historique :
intervention de la mère de Jésus, simple invitée
discussion entre Jésus et sa mère
Rien n’est dit sur le passage de l’eau en vin
Que font des jarres de purification dans une noce ?
Rien n’est dit sur la mariée, et l’époux est celui qui organise.
A la fin le marié est félicité.
Les disciples qui n’ont rien vu croient, etc., etc., etc.
Tout cela se conclut en disant qu’ainsi, Jésus a manifesté sa gloire dès son entrée en scène. Or, chez Jean, la gloire du Fils, c’est la croix.

Notes détaillées
v.1 – La Mère de Jésus (jamais nommée) est évoquée avant Jésus. Elle est présente avant que son fils ne manifeste sa gloire, et elle sera là, à la fin (Jean 19, 25-26) au pied de la croix – la gloire du Fils.
v.2 – Jésus « aussi », est invité, avec ses disciples. A quel titre ?
v.3 – Le vin manque. Avarice ou pauvreté de la famille du marié, ou ivrognerie des convives ?
La mère de Jésus ne dit pas : « ils n’ont plus de vin. », mais « ils n’ont pas de vin. » Qu’est-ce qu’une noce sans vin en Israël ?
v.4 – Malgré tous les efforts des dévots de Marie, Jésus rembarre sa mère. Son heure est celle de la manifestation de sa gloire. Or chez Jean, c’est la croix.
v.5 – La mère de Jésus passe outre. Éblouie par son Fils, elle exprime la pleine confiance d’une vraie disciple, dit France QUERE.
v.6 – Les jarres de purification :
Éléments de la tradition juive orthodoxe, elles vont devenir les instruments de la fête et de la joie. Est-ce le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance ? Est-ce une contestation de l’ancienne alliance ?
Or, que font ces 6 jarres dans une noce ?
N’étant que 6, (et non 7) traduisent-elle l’inachèvement de la première alliance ? Sont-elles la représentation allégorique des 5 disciples appelés auxquels sont joints la mère de Jésus ? (cf. les Pères de l’Église) Remplis d’un vin nouveau et délicieux, ils abreuvent les convives de la noce…. 
v. 7-8 – Rien n’est dit sur ce qui se passe. Tout est laissé à l’imaginaire de l’auditeur (ou du lecteur).
« Remplissez et puisez » se contente de dire Jésus.
Pas besoin de pouvoirs surnaturels. La Parole suffit à réaliser pour celui qui l’écoute et la reçoit.
Et cela en surabondance : les 6 jarres pleines offrent 600 à 800 litres. A votre santé !
v.9 – C’est le maître de cérémonie qui constate et s’étonne.
Les serviteurs qui savent ne sont pas étonnés : est-ce par foi ou indifférence ? car que représentent les serviteurs ?
v.10 – Qui est l’époux ? Que vient-il faire à la fin du récit ? Est-ce lui ou son père qui est responsable d’un tel renversement se demande le maître de cérémonie ?
Pourtant tout se termine bien et joyeusement.
Tout se termine, ou tout commence ?
v.11 – La conclusion de ce petit récit est double :
C’est le commencement des manifestations de Jésus.
Sans rien savoir ni avoir rien vu, les disciples ont commencé à croire en Lui.
Mais que veut dire : Croire en Lui ?

Pistes de Prédication
Tous les auteurs que j’ai lus et que je cite dans la bibliographie ont des approches et des lectures différentes.
Louis Simon y voir un récit de combat contre les moralistes (boire du vin et faire la noce), contre les ritualistes (qui sont rassurés par les 6 jarres de purification) et contre les mystiques (qui s’enivrent de religion et drogue sacrée).
Alphonse Maillot note que ce récit se trouve à la place des récits de la tentation de Jésus au désert. Celui-ci manifeste sa gloire dans un geste dérisoire et ironique, mais plein de sens : un tonneau de vin ! Sa gloire est de n’avoir répondu que par un petit signe…en attendant le vrai.

France Quéré insiste sur le rôle de Marie (que Jésus ne nomme jamais) et qu’elle présente comme première à croire et à se comporter comme un disciple.

Le rapprochement eucharistique entre les noces de Cana et la multiplication des pains ne me paraît pas plausible. Les récits sont trop différents et le second sert d’introduction au discours de Jésus sur le pain de vie.

Le sens le plus vraisemblable pour ce récit surprenant, déroutant et donc difficile me semble être la manifestation réelle et concrète de la présence du Royaume de Dieu parmi les hommes réalisé par la présence humaine et vivante de Jésus.

 

Prédication

Le temps de Noël et de l’Épiphanie s’est terminé dimanche dernier, – nous parlons ici du calendrier liturgique bien sûr ; car le message de Noël, Dieu se révélant dans un être humain, Dieu venant planter sa tente, c’est à dire vivre avec les hommes, garde sa force et sa vérité chaque jour de l’année, chaque jour de notre existence.

Pour Jean l’évangéliste, cette présence de Dieu se manifeste lorsque Jésus, un homme d’âge mûr, survient, agit et parle. Pour inaugurer cela, Jean nous offre un récit aussi court que déroutant : le miracle des noces de Cana. Il ne l’appelle d’ailleurs pas miracle (ce qui veut dire : «acte de puissance» dans les autres évangiles) mais signe.
Pour Jean, Jésus ne fait pas des actes de puissance, il pose des signes de son passage parmi nous et de ce que ce passage signifie.
Jean ne nous rapporte que sept signes, alors que les autres évangiles sont beaucoup plus prolixes en récits de miracles et notamment de guérison.

Jean est méfiant et averti. Il s’est rendu compte qu’à trop évoquer des signes de puissance et des guérisons, on a vite fait de Jésus un guérisseur, un thaumaturge pour parler savant, c’est à dire un homme doté de pouvoirs ou de qualités exceptionnels comme il y en a eu beaucoup avant lui, en même temps que lui, et après lui.

Aussi ne relate-t-il que quatre guérisons et commence-t-il son évangile non par une guérison mais par un signe, opéré à Cana, au cours d’une noce.

Jésus à la noce. Jésus invité et participant à une noce. Jésus cautionnant par sa présence l’amour et l’union charnelle d’un homme et d’une femme, dont on ne sait rien par ailleurs. Est-ce bien convenable pour le Fils de Dieu qui se contentera de se présenter comme le Fils de l’Homme ?

Si encore il avait joué le rôle du pasteur (ou du rabbin), s’il célébrait une belle liturgie accompagnée d’une belle bénédiction, on comprendrait.

Or son rôle se limite à fournir une quantité invraisemblable de vin (700 à 800 litres) à des convives soit frustrés, soit déjà bien éméchés.
Et en plus il ne fait rien. Il se contente de demander aux serviteurs de remplir les jarres de purification rituelle (que font-elles là, dans une noce ?) avec de l’eau, et ensuite de puiser et de servir. C’est tout.

Les personnages actifs du récit sont d’abord la mère de Jésus (dont Jean ne prononce jamais le nom) qui s’agite, qui joue les utilités et qui tente son fils : « Ils n’ont pas de vin »
– sous-entendu : « Fais quelque chose ! »

Ensuite ce sont les serviteurs qui obéissent à Jésus (à quel titre d’ailleurs ?) Puis c’est le maître de cérémonie qui est à la fois surpris et dérouté par cette réserve inattendue de vin de première qualité et qui exprime son sentiment au marié. Enfin, sans rien savoir de ce qui s’est passé et sans trop savoir pourquoi, les disciples (et le texte ne précise pas s’il s’agit seulement des présents) se mettent à croire en Jésus.

Et pourtant c’est là que tout commence. C’est là que l’Évangile commence à se réaliser. C’est là que Jésus se manifeste comme le Fils de Dieu, comme celui qui vient accomplir le projet décisif de son Père : l’avènement du Royaume, c’est à dire d’un monde avec et pour les hommes, d’un monde où l’abondance, l’amour et la joie remplacent la misère, la haine et les rivalités, la tristesse et les frustrations.

Ne nous y trompons pas : Ce n’est pas à Cana que tout s’accomplit, mais c’est là que tout commence. Le signe de Cana est là comme un clin d’œil. Il faut savoir saisir le sens d’un clin d’œil : est-ce un simple signe de reconnaissance ? ou bien un signe de connivence ? Est-ce un signe de séduction complice ou peut-être de racolage trompeur ?

En lui-même, le signe n’est que peu de chose. Il renvoie à celui qui en est l’auteur, de même que la mère de Jésus dit aux serviteurs : « Faites ce qu’il vous dira. »

Le signe ne dit rien de précis sur celui qui l’accomplit, il invite à le reconnaître pour ce qu’il est réellement.
Jésus, le Christ, le Fils de Dieu, est-il parmi nous pour pallier nos manques et nos frustrations, pour résoudre nos problèmes et mettre fin à nos misères, ou vient-il pour nous inviter à entrer dans la joie du Royaume par une vie apaisée et confiante ? Est-il là pour faire à notre place ou pour nous appeler à faire avec lui, comme les serviteurs de la noce ? Est-il là pour se soumettre à nos demandes ou à nos exigences, ou est-il à notre écoute ? Vient-il pour nous subjuguer par des pouvoirs surnaturels ou pour nous appeler à une foi ferme et lucide ?

C’est à Cana que commencent les signes de Jésus. A la fin de son Évangile Jean écrit :
« Jésus a fait encore, en présence de ses disciples, beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. »

La foi n’a pas besoin de preuves, sinon elle n’est plus la foi. En revanche, elle a besoin de signes qui sans cesse nous permettent de discerner et de reconnaître la fidèle présence de Celui en qui le Père, nous a rejoint et par qui il nous appelle à entrer dès aujourd’hui dans la joie de son Royaume.

Commencement des signes de Jésus écrit Jean. Commencement des signes dont l’ultime et le décisif sera une croix plantée sur une colline de Jérusalem, une croix où se manifeste la gloire du supplicié aux yeux d’un monde aveugle comme à ceux des disciples découragés. Une croix qui resplendira dans la lumière de matin de Pâques, annonçant la défaite irrémédiable de la mort sous toutes ses formes et la victoire de la vie en abondance, dans la paix, la joie, la justice et l’amour.

Et croyez bien que cela réjouit infiniment plus que sept ou huit hectolitres du plus grand et du meilleur vin.