5e dimanche de Carême
Notes bibliques
1. Les Textes proposés par le lectionnaire
Ésaïe 43:16-21
Quelques généralités sur le livre d’Ésaïe
Le nom du prophète donne lui-même la signification globale de son message, dont il ne faut jamais se départir : Isaïe, Iesha’yahou en hébreu, signifie : « Yah sauvera » c’est à dire : « le Seigneur sauvera ». Ce futur est à comprendre à la lumière de la grammaire hébraïque. Ça ne veut pas dire : « Dieu finira par sauver » ; ça veut plutôt dire : « depuis toujours et jusqu’à la fin, Dieu n’en finira pas de sauver ». Ce simple rappel, aussi trivial qu’il puisse paraître, doit nous faire insister sur deux choses :
– Le judaïsme n’a jamais été la caricature qu’on en a faite, avec un Dieu créateur sévère et punisseur. Le nom même du prophète nous rappelle ce qu’une lecture soigneuse (c’est à dire libérée du classique mais faux schéma « création-chute-salut-retour ») de l’AT ne cesse de nous dire : le but de la création, c’est le salut, et le but du salut, c’est la création.
– C’est au travers de cette promesse que déjà le salut est à l’œuvre que nous devons toujours interpréter les déclarations d’Ésaïe. Il ne faut jamais l’oublier.
Selon les commentateurs, on distingue deux ou trois livres dans ce qu’il est convenu d’appeler Ésaïe : les chapitres 1 à 39 forment le premier Ésaïe, les chapitres 40 à 66 sont soient réunis en un second ouvrage, soit découpés de 40 à 55 en un second Ésaïe et un « trito Ésaïe » de 56 à 66. Notre texte appartient donc au second Ésaïe. Contrairement à ce que pourrait laisser penser nos conceptions contemporaines quant à la propriété d’auteur, si ces versets n’ont vraisemblablement pas été écrits par Ésaïe en personne, il n’y dans l’esprit biblique aucune supercherie, aucune usurpation à les lui attribuer. C’est fait pour rattacher ce texte à l’annonce « Ya sauve(-ra) » ! C’est le salut qu’on annonce !
Les versets qui nous occupent sont pris dans un ensemble plus vaste. En particulier, doit-on les rapprocher ou les séparer des versets 14 et 15 ? Il faut se souvenir que les manuscrits nous sont parvenus sans ponctuation, sans versification, sans numérotation. De sorte qu’il est difficile d’isoler des versets sans les replacer dans un ensemble textuel plus vaste, quitte à les en dissocier de manière volontaire et responsable dans un second temps (c’est là la responsabilité du prédicateur).
Pour ma part, j’aime bien rattacher nos versets aux précédents qui, justement, en 14 rappellent que Celui qui parle au travers du prophète, c’est le « racheteur » d’Israël, qui est en même temps (verset 15) le créateur D’Israël.
Et qui introduisent nos versets qu’il faut entendre comme la réalisation de cette promesse. Ils le font en évoquant le passage dans la mer Rouge et l’engloutissement des chars de Pharaon. La violence de ces versets ne doit pas nous troubler dans une lecture « historicisante ». Que nous disent-ils ? Que Dieu engloutit, réduit à néant les forces de la mort et l’oppression qui nous poursuivent et refusent de nous lâcher.
Si vous décidiez de prêcher sur ce texte d’Ésaïe, je vous suggère cette « pointe » comme cœur de votre message : il n’y a de vie qu’en consentant à mourir à ce qui fait mourir. Et c’est Dieu lui-même qui va engloutir ces forces, les anéantir. Dans une perspective de prédication chrétienne, on pourrait ajouter qu’en Christ Dieu va prendre sur lui cette force destructrice, va l’entraîner au fond de l’eau, la noyer pour nous permettre d’accéder à la liberté. N’est-ce pas exactement ce qu’on appelle le baptême ?
Si vous voulez lier ce texte à celui de Jean, on peut souligner que le fait que Jésus prenne la défense de cette femme, en retournant la loi contre la loi, va, lui, l’entraîner dans la tourmente, (déjà à la fin du chapitre en 8:59, avant même la croix, «ils saisissent des pierres pour le lapider ») Et dans ce cas, il faut insister sur la promesse faite ici par Ésaïe : Dieu fait chemin, Dieu engloutit les forces qui nous « tuent » (je parle ici comme Paul, quand il dit « j’étais mort ». Il ne s’agit pas de la mort biologique, mais de la mort « intérieure » de ce qui fait que nous sommes prisonniers de nos égoïsmes, de nos peurs, de nos culpabilités, de nos mal-être etc.…).
Ces versets ont aussi une suite, notamment les versets 22 et suivants : c’est moi qui engloutis les forces de morts qui te poursuivent, et pourtant, ce n’est pas à moi que tu fais confiance ! Dit Dieu à son peuple. Il serait possible de prendre ces versets 22 à 24 comme texte de loi ( à placer, dans ce cas, avant la confession du péché, ordre liturgique n°2) : si seulement tu savais que c’est moi qui te sauve ! Si seulement c’est à moi que tu faisais confiance ! Le péché, ce n’est pas le mal que l’on fait. Le péché, c’est d’accorder sa confiance à des dieux qui ne sauvent pas… On peut bâtir une liturgie là-dessus. En inversant l’ordre du texte : La loi = Es 43:22-24
Confession du péché : reconnaître que nous avons de Dieu une vision culpabilisante, plus à l’image de notre désir de vengeance qu’à celle d’un Dieu qui sauve. Reconnaître que nous plaçons notre espoir, plus dans le bien que nous faisons que dans le bien que nous attendons de Dieu…
Annonce de la grâce : Es 43:14-21 Dieu sauve. Son salut est à l’œuvre, aujourd’hui. Il sauve même de l’absence de confiance ou de la confiance mal placée. Il a foi pour nous !
Jean 8:1-11
Ces versets attribués à Jean par l’ordre canonique ne seraient pas johanniques mais de la plume de Luc (plusieurs manuscrits lucaniens l’insèrent après Luc21:38). De fait, les plus anciens manuscrits de Jean ne comportent pas ce passage. Pourtant, la rédaction (mais c’est peut-être justement-là une trace de ce remaniement secondaire) imbrique le dernier verset 53 du chapitre 7 en une seule phrase avec le premier du chapitre 8 ! Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, le texte nous est présenté comme intégré et partie prenante de l’évangile de Jean. Et qui plus est, inclus à cet endroit, et pas à un autre. Comme s’il s’était agi, pour le rédacteur d’illustrer son propos général par un apport extérieur. De sorte qu’il nous faut commenter Jean 8 pour Jean 8, à l’emplacement de Jean 8 !
Après le chapitre 7, la foule est partagée : oui, il est vraiment le messie. Non ! Il méprise la torah, répondent les religieux. Le chapitre 8 arrive pour préciser le débat : messie pour qui ? usurpateur pour qui ? Quel est l’enjeu de cette querelle ? La suite du chapitre 8 le dira de façon discursive, polémique, presque « dogmatique » : c’est la compréhension même de Dieu, c’est la compréhension de ce que veut dire « père » qui est en jeu. Le père des religieux (de toute religion ?), c’est le diable. Le père du pécheur (et on l’est tous) c’est le pardon incarné. Ces 11 premiers versets nous disent la même chose, mais sous forme narrative. Une mise en scène qui prépare le développement qui suit. C’est sans doute pour ça que le rédacteur le place ici. Du moins, c’est une cohérence possible.
On a bien compris que c’est pour tendre un piège à Jésus qu’on lui amène cette femme.
De quel côté es-tu ? Es-tu, toi qui parles si bien, es-tu du côté du Dieu de Moïse ?
On voit bien la mauvaise foi. Tout est là, dans la mauvaise foi. Il n’y a pas d’autre péché que la mauvaise foi : foi dans ce qui a les apparences irréprochables de la loi, mais qui ne fait que masquer la haine, la vengeance, le désir de domination, la soif de se sentir parmi les privilégiés, les élus, les « du bon côté ». Le piège : de quel côté es-tu ? Du bon ou du mauvais.
Première manifestation de la mauvaise foi : pourquoi n’y a-t-il là qu’une femme ? Deutéronome 22:22 dit : « ils mourront tous les deux » (la loi prévoyait même que si cela se passait dans les champs, ce serait l’homme seul qui mourrait). Pourquoi est-elle seule ? Surprise en flagrant délit d’adultère avec elle-même, toute seule ? La mauvaise foi religieuse, celle qui se sert de la loi pour dénoncer et condamner soutient toujours des luttes de pouvoir, ici celui du pouvoir masculin, du monde religieux masculin. La sainteté officielle n’est jamais qu’un moyen de prendre de l’ascendant, du pouvoir sur les gens. Cette logique religieuse de mauvaise foi perdurent : pas seulement du côté des « papistes hagiolâtres » comme on se plaît à le sous-entendre parfois. Mais aussi chez tous les bons chrétiens qui dénoncent du haut de leur belle morale toutes les exactions de la terre. Et qui fustigent. Et qui condamnent : « le vilain méchant Bush ! Nous, on ne mange pas de ce pain-là ». Et qui fustigent et qui condamnent : « les vilains ‘chrétiens-de-gauche’, communistes qui pactisent avec l’athéisme. Nous on ne mange pas de ce pain-là ! Quand on ramène la foi à la loi, quand on se sert de la loi pour établir une supériorité « légitime » par rapport aux autres, on est dans la mauvaise foi. On se sert de Dieu pour asseoir ses idées, non seulement ses idées, mais sa supériorité sur d’autres.
Et c’est justement ça le péché. C’est justement ça l’adultère… C’est ce que va nous montrer ce petit scénario : « que celui qui n’a jamais péché, le premier lui jette une pierre. » N’est-ce pas aller un peu vite ? Car après tout, ce n’est pas aussi grave d’oublier tel petit commandement que d’adultérer ! Et d’ailleurs la loi ne prévoit pas le même châtiment. Pourquoi faudrait-il être exempt de péché pour sévir contre ce qui est une menace grave de l’ordre social, de la transmission d’une chose aussi essentielle que le nom ?
Pourquoi faudrait-il être « impeccable » pour avoir le droit d’arrêter et de punir les meurtriers, les faussaires, les violeurs ? Si c’était le cas, alors, le pire serait toléré sous couvert de l’impossible perfection des juges… Et bien c’est justement là où le texte veut en venir. Il ne dit pas qu’il faut tout tolérer, tout accepter. Ça c’est ce qu’on voudrait lui faire dire, si de mauvaise foi, on veut avoir une loi qui nous donne force de justicier. Le texte ne se place pas sur ce terrain de l’organisation de la société. Il se place sur le terrain de ce qui constitue l’existence humaine. Sur ce qui se cache derrière le manteau vertueux de la loi : la mauvaise foi. C’est pourquoi le « jugement » a lieu non pas à la porte de la ville comme le demandent les pratiques judiciaires de l’époque mais au temple. Ce n’est pas une affaire judiciaire, c’est affaire de foi. On n’est pas au tribunal, mais au temple. La réponse de Jésus, c’est qu’au temple, face à Dieu, l’adultère n’est pas celui (celle) qu’on croit ! Le pécheur, face à Dieu, ce n’est pas tant celui qui transgresse la loi que celui qui la pervertit, qui s’en sert comme d’un instrument de mort, quand elle était censée mener à la vie (comme dit Paul en Ro). Le véritable adultère, c’est de se servir du nom de Dieu pour dominer, pour se faire un nom, pour condamner, pour déclarer les uns bons à pendre, les autres autorisés à vivre… Or les vrais morts, ce sont ici les prétendus juges ! Les vrais adultères, c’est ceux qui adultèrent la loi et le nom de Dieu. Par mauvaise foi. Le seul vrai adultère, c’est la mauvaise foi. C’est de servir -pour s’en servir- un Dieu dont on pourrait croire qu’il veut la mort du pécheur !
Que dessine Jésus ? Nul ne le sait. Toujours est-il que si ses interlocuteurs en appellent au ciel, au nom duquel ils sont prêts à tuer, lui, Jésus dessine sur le sable. Les yeux à terre. Il oblige ses interlocuteurs à regarder par terre. À voir ce qui s’y écrit, ce qui s’y dessine. Il y a plus qu’une énigme dans ce dessin, il y a L’Énigme. Celle qui déjà, au chapitre 7 divisait la foule : qui est celui-là qui se dit du ciel en ne visant que la terre ? Qui est celui-là qui ne nous appelle pas à un salut au-delà, mais qui nous donne le salut, ici, au ras des pâquerettes, sur le sable ? La mauvaise foi, la foi adultérine, c’est la foi qui se prétend au ciel. Qui prétend avoir sa légitimité du ciel. Qui méprise la terre. Jésus dessine sur le sable. Écriture gravée sur la terre… Parole faite chaire, inscrite dans le sable, dans l’humus de nos vies. Nouvel Adam, issu de la terre travaillée par l’Écriture (adam vient de l’hébreu adamah, l’humus dont il a été tiré). Il y a dans cette attitude de dessiner sur le sable à la fois un retrait et une présence. Quand on veut marquer qu’on est ailleurs, on dirige en général le regard vers le lointain. Ici, Jésus marque sa distance par rapport à la violence environnante en dirigeant son regard, et le nôtre, vers le sol. Au près. Au plus près du prochain…
Moi non plus je ne te condamne pas. Entendez qu’il ne dit pas : « je te pardonne » ni « je te gracie ». Mais je ne te condamne pas. Car quiconque croit ne viendra pas en jugement. Quand la foi n’est pas affaire de croyance, mais affaire de vie ou de mort, quand on est réduit à croire ou mourir, quand le salut ne tient qu’à la foi, alors il n’y a pas de condamnation, car il n’y a plus de jugement. Ce n’est une question de magnanimité du juge, c’est qu’il n’y a pas de juge… « Tout jugement a été remis au Fils… » et le Fils dit : « moi, je ne juge personne » La foi fait sortir de tout contexte de jugement et de culpabilité. Elle fait passer de la culpabilité à la responsabilité. Elle fait passer du statut d’objet qui commet des fautes et en attend la rétribution au statut de sujet qui répond d’un appel à la vie. D’où le « va et ne pèche pas à partir de maintenant » (traduction littérale de 8:11b). Ce n’est que maintenant il faut suivre le droit chemin. C’est qu’à partir de maintenant tu es institué sujet qui n’a plus à redouter Dieu, parce que tu sais que jamais Il ne te condamnera… C’est de ça, de cette non-condamnation dont tu as à répondre et non plus d’une interdiction morale. Renversement de la foi !
Philippiens 3: 8-14
Philippes est une ville de l’Est de la Macédoine. La communauté chrétienne y est surtout composée de « païens » (les gentils ou goïm) car il n’y a pas de synagogue dans la ville. Paul écrit dans les années 56-63, selon les diverses datations. L’Église est déjà constituée, avec des desservants et un épiscope.
La lettre est d’une grande violence (méfiez-vous des chiens !). Le problème vient de la tentative de prédicateurs que l’on dit judaïsants qui veulent (ré)-introduire la loi juive dans l’Église, en arguant – à bon droit- de son origine judaïque. Paul s’y oppose de toutes ses forces. Pas parce qu’il renie son judaïsme, ni parce qu’il trouve que c’est une loi dépassée. Mais parce que la justification vient de la foi et non de la loi. Qu’est-ce à dire ?
Ce qui fait la valeur d’une vie, contrairement à ce que prétend le monde et sa morale, ce n’est pas le bien que l’on fait. Pas plus que ce qui ferait sa moins-value ne viendrait du mal qu’on a pu faire.
Ce qui rend une vie légitime, ce qui « donne le droit de vivre », ce n’est pas la valeur de nos actions, mais c’est l’adoption de Dieu que l’on reçoit dans la foi. La relation d’adoption qui constitue la foi.
La filiation dans le monde exige qu’on soit digne de notre nom, faute de quoi on risque d’ être renié.
La filiation du ciel nous donne une dignité première que rien ne peut nous ôter.
Tel est l’Évangile. Et tel est l’enjeu de la querelle qui oppose Paul à ces prédicateurs qui veulent réintroduire la loi comme préalable à la foi.
«Tous mes mérites religieux, tout ce que j’ai fait qui satisfait à la loi, tout cela je l’ai considéré comme des balayures : ce n’est pas ça qui me donne le droit de vivre, qui me rend juste aux yeux de Dieu » Ce qui me rend juste aux yeux de Dieu, c’est la relation qu’Il établit avec moi et qu’on appelle la foi. Voilà pourquoi Paul est aussi violent.
2. Le point commun de ces trois textes
les mérites moraux ou religieux ne font pas vivre. Le plus souvent, ils servent à prétendre séparer les bons des mauvais et constituent des instruments de mort.
L’Évangile, c’est d’annoncer l’adoption gratuite et inconditionnelle de Dieu, la confiance qu’Il nous fait et nous donne, la relation qu’Il noue avec nous et qu’on appelle la foi. C’est toujours Lui qui fait le premier pas. Il ne s’agit pas d’exhorter les gens à « bien faire », mais beaucoup plus à « se laisser faire », à oser croire que Dieu n’est pas là pour condamner, mais pour sauver.
Prédication
Une proposition de prédication à partir de Jn 8:1-11
On est au cœur du drame qui amènera Jésus à la croix : la confusion de la loi et de la foi.
Bien sûr, cette femme est adultère. Bien sûr, ce n’est pas anodin. Ce n’est pas seulement une histoire de coucherie, c’est une question de fidélité, à l’autre, et à soi. L’adultère rend la transmission du nom douteuse : qui est le père ? Seule le respect de la parole donnée peut en attester. Si cette parole est bafouée, alors rien ne tient plus.
L’adultère pose un doute sur la parole donnée, l’adultère brise le pacte de confiance.
L’adultère est une atteinte à ce qui peut faire foi. L’adultère est une atteinte à la foi.
C’est pourquoi la loi de Moïse est si sévère… Et c’est pourquoi Jésus ne dédit pas Moïse.
Mais il n’est pas dupe, non plus, de l’attachement à la loi des scribes et des pharisiens. Il sait bien que sous le prétexte irréfutable de la loi, la seule chose qu’ils veulent, c’est se hisser du côté des purs. Au mépris de la vie de cette femme, et au mépris -mais ils ne le savent pas !- de leur propre vie ! Au mépris de ce qu’il y de vivant en eux…
D’ailleurs, pourquoi n’amènent-ils que cette seule femme ?
Où est donc son complice ? La loi ne dit-elle pas que les deux sont coupables et justiciables de la même peine ? Pourquoi n’amène-t-on que la femme ? Parce que religion et pouvoir font toujours la paire ! Le pouvoir religieux s’est emparé de la loi, et sous les couleurs respectables de la religion en use au seul profit des mâles… Comme souvent. Et cette femme est là, traînée comme un animal qu’on va abattre, jetée en pâture à la foule des bien-pensants prêts au lynchage…
Ils font cercle, ils entourent la femme et Jésus, les enfermant dans une destinée commune. Nul ne peut s’échapper. L’étau de la bonne conscience se resserre. La mâchoire de la mauvaise foi se referme, prête à déchiqueter…
On va leur faire payer le prix des efforts que l’on fait pour être du bon côté de la loi.
La loi qui devient l’instrument de la mauvaise foi.
Non que la loi soit mauvaise, on l’a dit, et Jésus ne le conteste pas.
Mais c’est l’usage qu’on en fait. L’usage qui permet de croire qu’on est du bon côté.
L’usage de la loi qui -croit-on- nous autorise à faire payer aux faibles le prix de nos efforts.
Alors, la loi devient le creuset de la mauvaise foi.
C’est ce que Jésus va dénoncer, en disant : le plus petit de vos péchés est plus grand que celui de cette femme.
Parce que, elle, elle est là tremblante, n’attendant sa vie que de la grâce. Pour elle, Dieu ne peut-être qu’un sauveur.
Vous, vous êtes-là, n’attendant de Dieu que la punition.
Vous n’attendez de Dieu que votre élévation par abaissement des petits. Comme si vous n’étiez capables de surnager qu’en enfonçant la tête des plus faibles. Ce que vous recherchez, au fond, dans votre fidélité à la loi, c’est le cautionnement de votre avidité de sang, de votre désir de mort. Votre dieu, c’est un dieu de vengeance, c’est un dieu qui fait payer en votre nom !
Eh, bien, dit Jésus, ce dieu-là, ce n’est pas Dieu. Vous servez de faux dieux… Et c’est ça, le véritable adultère. Car l’Écriture appelle adultère l’idolâtre qui sert un faux Dieu.
Oui, il y a bien flagrant délit d’adultère : et c’est vous, c’est vous les religieux sentencieux, c’est vous les vertueux indignés qui êtes les coupables ! C’est vous, qui dans votre effort pour être impeccables, êtes les véritables adultères…
Votre religion, c’est un culte à un dieu de rancœur et de mort.
Et bien ce dieu-là est un faux-dieu. C’est le dieu de votre mauvaise foi.
Chaque fois qu’un catéchisme, chaque fois qu’une prédication, chaque fois qu’on utilise Dieu pour culpabiliser ou pour faire peur, c’est là le véritable adultère.
Oh, bien sûr, nous ne sommes pas des pharisiens… Enfin, croyons-nous.
Nous ne sommes pas tous des bourreaux en puissance : l’occasion ne nous en est pas donnée tous les jours. Mais nous ne sommes pas à l’abri de la mauvaise foi, pour autant.
La mauvaise foi, c’est une foi qui tue. C’est une foi centrée sur soi, qui délimite autour de soi un espace d’irréprochabilité. Là, on ne peut pas nous attaquer. Là, nous sommes impeccables.
Là, nous croyons, nous pensons juste. Nos indignations sont légitimes, nos arguments irréfutables. C’est notre forteresse de vertu !
Mais c’est un cercueil que cette légitimité-là. Nous y sommes notre propre juge & parfois notre propre bourreau. Le travail pour avoir bonne conscience devient un enfermement douloureux.
Qui va en payer les efforts ?
Avoir raison devient une forteresse. Un lieu où nous nous retranchons. Où il n’y a de place que pour nous. Où nous n’attendons la vie que de nos efforts vers le bien.
Une citadelle d’auto-suffisance, d’autojustification.
Telle est la mauvaise foi qui nous guette et qui tôt ou tard devient vengeresse.
Le dieu de la mauvaise foi, c’est le dieu du bien.
La bonne foi, c’est celle qui attend la vie d’ailleurs qu’en elle-même. Elle n’est pas le fruit de nos efforts. Elle n’est pas l’objet d’un choix. Elle ne peut être que donnée. Elle ne peut que nous traverser, à notre insu, gratuitement, gracieusement. La bonne foi est disponibilité véritable à l’autre, c’est à dire gratuite, sans effort.
Le Dieu de la bonne foi, c’est le Dieu qui nous fait le bien. Qui le fait pour nous.
On pourrait croire que ces propos viennent à rebours de ce que nous venons de dire, qu’ils sont culpabilisants et démoralisants. Il n’en est rien : ils sont une invitation à se reconnaître dans cette femme, la seule à être sauvée, la seule qui se sache adultère. Il n’y a qu’elle à être vivante dans ce texte, avec Jésus. Parce qu’elle a risqué sa peau. Parce que pour elle, bonne ou mauvaise foi, c’est vital ! Rien n’est jamais acquis, ni la mauvaise, ni la bonne foi. L’idole nous attend toujours au tournant, dissimulée derrière la peur, le manque de confiance en soi, la peur de n’être pas aimé.
« Va et maintenant, ne pèche plus » : va et maintenant, ne te trompe pas de foi… Peut-être pas pour très longtemps. Mais…
Mais maintenant, tu sais ce qu’elle te fait risquer, la mauvaise foi : la mort.
Et tu sais ce qu’est la bonne foi : celle qui t’assure que Dieu ne te condamne pas.
Et si Lui ne te condamne, pas, qui pourrait te condamner ?
Si Lui te fait confiance, même quand tu n’en es pas digne, qui pourrait t’interdire la confiance ?
Si Lui continue à t’aimer, quoiqu’il advienne, qui pourrait t’interdire l’amour.
Telle est la promesse de l’Évangile. Il n’y en a pas d’autre.
C’est au fond de cette promesse, c’est au fond de cette certitude que naît la bonne foi.
Amen