Deux études et deux prédications

Notes bibliques

Exode 32

Nous rencontrons, ici, un Dieu qui se laisse toucher par ce que font les humains. Il souffre de voir les humains méconnaître son amour. Et, pourtant, malgré toute déception, l’amour reste le plus fort. Moïse, dans son intercession pour le peuple, rappelle à Dieu sa propre miséricorde. Il se bat contre Dieu – pour qu’il reste le Dieu de l’amour !
Un texte passionnant qui mérite d’être médité.
Pour tout comprendre, il convient de voir le contexte. Moïse s’est absenté pour quarante jours, en montant sur la montagne sainte. 40, c’est le symbole de l’étendue du temps de l’histoire. Autrement dit : Moïse est absent « depuis une éternité ». Le peuple s’inquiète. C’est l’angoisse qui le guette. Et l’angoisse est le bon terreau pour toute sorte de fausse religion : Moïse sera « remplacé » par le petit taureau d’or. Son rôle sera accompli, dorénavant, par un « dieu » (avec un « d » minuscule…)
Jusque là, tout est compréhensible et clair. Mais voici que le prêtre Aaron dépasse les limites : Il construit un autel pour le veau d’or. Non qu’il soit persuadé de ses capacités surnaturelles, mais pour éviter que le peuple s’éloigne totalement de Dieu !
Or, jamais on a eu l’idée d’offrir des sacrifices à Moïse ou à un autre humain. La statue qui remplace Moïse devient donc un remplacement de Dieu.
Entre-temps, Moïse est toujours sur la montagne. Il ne sait donc rien de l’hérésie de son peuple. Dieu lui ordonne de descendre, à priori sans préciser pour quoi.
Ce « descends ! » est interprété par un commentateur juif de manière fascinante : Moïse a échoué – sans être l’auteur de cet échec ! Que pourrait-il faire face à Dieu, comme le représentant de son peuple, après que le peuple s’est détourné de son Dieu ? Il est obligé de « descendre », donc de s’abaisser de son autorité de dirigeant, parce que son peuple a péché !
Et voici que Dieu (V 7) se distancie du peuple. Il n’est plus « son » peuple, mais seulement celui de Moïse. Ce ne sera qu’au V 14 que Dieu l’accueillera de nouveau comme son peuple, après l’intercession ardente de Moïse. Même l’exode, après la chute du peuple, n’est plus considéré être l’œuvre de Dieu.
Et voici que Moïse, de toutes ses forces et de toute sa personnalité, intercède pour « son » peuple.
Il adresse à Dieu deux questions rhétoriques et deux appels :
Tu as libéré ce peuple, pourquoi, maintenant, te mettre en colère ?
Pourquoi permettre aux Égyptiens de dire que l’exode n’était que pour leur malheur ?
Et les deux appels : Reviens de ta colère – et souviens-toi de ton alliance !
Et voici que Dieu se repent de sa colère. Il revient sur sa décision. L’anéantissement du peuple n’aura pas lieu. Mais la suite nous montrera que tout n’est pas effacé dans l’instant. Le péché aura des conséquences pour le peuple. Moïse détruit les tablettes de la tora – il manifeste ainsi ce que le peuple lui-même avait opéré. Et ce seront, plus tard, les nouvelles tablettes qui seront le symbole même du pardon de Dieu, signes pour ce Dieu qui revient sur ses propres jugements !

 

Prédication
Un récit passionnant, cette histoire de l’exode qui est le fondement même de l’identité du peuple juif – et avec cela, en même temps, le fondement de sa foi. Et voici que nous sommes invités à découvrir un tout petit passage de cette histoire – un passage pourtant qui nous révèlera un aspect de Dieu bouleversant.
Pour bien nous situer dans le récit, permettez-moi de vous rappeler quelques éléments de l’histoire : Moïse, suivant l’appel de Dieu et faisant confiance à sa parole, avait fait sortir le peuple de l’esclavage en Égypte et l’avait conduit à la montagne sainte, le Sinaï. Ensuite, Dieu avait appelé Moïse à monter sur la montagne pour y recevoir les dix paroles. Moïse reçoit les tablettes de la loi – mais il tarde de revenir. Apparemment, il a disparu !
Pour le peuple, c’est la catastrophe. Leur dirigeant plein de savoir, de charisme et de sagesse – n’est plus là ! Avant de plonger dans la panique totale, on tombe sur une idée saisissante : On va le remplacer, le chef dirigeant. Non, pas par un humain, car ce que Moïse a fait, aucun autre n’en serait capable. Non, on va le remplacer par – une idole. D’autres peuples le font, pourquoi pas nous aussi ? Et on en a vu, de tels petits taureaux d’or, cela se fabrique un peu partout, on arrivera à le faire, nous aussi. Et c’est séduisant, c’est beau, c’est rassurant de VOIR celui qui nous a conduit jusqu’ici.
Bien sûr, Aaron, le prêtre, comprend son peuple. Et il le rassure. C’est son boulot…
Et il fait couler un beau petit taureau. En or. Tout le monde a sacrifié de ses derniers bijoux, pour le faire. C’est ainsi qu’il devient le leur. Et leur idole.
Et Aaron va encore un tout petit pas plus loin. Un tout petit pas, mais trop loin : Il construit un autel. Il prépare une belle fête, une fête de joie, une fête passionnante pour ce « dieu parmi nous » – et il appelle au sacrifice…
Au début, ce n’était qu’un substitut à l’homme Moïse. Le remplacement d’un humain. Mais qui a entendu parler de sacrifice pour un humain ? Le remplacement ô combien rassurant de leur dirigeant – est devenu leur dieu.
En fait, une vieille histoire – et pourtant, elle est incroyablement actuelle. Cela arrive aujourd’hui encore que l’on cherche un peu d’assurance, qu’on ressent le besoin d’un remède contre l’angoisse qui nous guette. Et on le trouve. On en a plaisir – et sans y penser, sans le savoir… on en devient dépendant. J’en ai fait mon refuge, et il est devenu mon dieu…
Bon, notre cher Moïse n’en sait rien. Il est toujours là-haut, sur la montagne sainte, à se faire instruire par son Dieu. Et voici que Dieu lui parle très sévèrement. Et pour cause ! En son absence, ce peuple si cher à l’Éternel n’a rien su de plus urgent que de trouver d’autres dieux, de se détourner de celui qui les a libérés !

Permettez-moi de vous lire comment le livre de l’Exode nous en parle :

Lecture de Exode 32, 7 à 14
Va, descends ! Moïse a échoué dans sa mission, et ceci même sans être l’auteur de cet échec. Mais ce n’est pas pour rien qu’un commentateur juif nous dit à propos de ce « Va, descends » qu’il faut le prendre dans un sens très profond : Voici la manière dont un chef humain doit considérer son autorité, son ministère. Il sera toujours à nouveau obligé de « descendre », d’abandonner sa position élevée pour rejoindre celles et ceux qui sont dans l’échec – car leur échec, en fin de compte, c’est le sien ! Si eux, ils déroutent, c’est lui qui sera dérouté !
Or, Moïse « descend ». Il se met tout de suite à intercéder pour ce peuple qui, vous l’avez entendu, par son péché, a cessé d’être le peuple de Dieu. « Ton peuple », dit Dieu, et c’est toi qui l’as fait monter d’Égypte. Ils n’en sont pas dignes, on le voit bien. Ils se sont pervertis. Ils vont être exterminés. Seulement, avec toi, mon cher Moïse, j’ai un projet, ici et maintenant, tu as ma promesse. Mais pour eux, c’est fini. Et Moïse ? Au lieu d’abandonner ce peuple qui n’a pas seulement lassé Dieu, mais lui aussi (pensez seulement aux histoires des cailles et de la manne, aux eaux amères et des révoltes répétées qui se passèrent pendant le passage à travers le désert), Moïse commence à se battre pour son peuple. Il se bat contre Dieu – en lui rappelant qui il est : Tu es Dieu, nom de Dieu !
Peux-tu oublier ton propre acte fondateur, peux-tu oublier cette sortie d’Égypte, ce passage par la mer ? Veux-tu que les Égyptiens, à la fin, triomphent, se disant que ce Dieu qui a fait sortir son peuple de leur beau pays, ne l’a fait que pour les faire mourir… ?
Non, mon Dieu, tu ne peux pas vouloir que ta colère ait à dire le dernier mot. Tu es ce Dieu qui libère et qui pardonne. Tu es le Dieu de la miséricorde. Souviens-toi de ta propre alliance. De ton amour. De ta promesse. Et de ton pardon, de ta tendresse, de ta miséricorde… !
Et voici que le miracle arrive : Dieu se repent ! Dieu revient sur sa décision. Dieu ne va pas rester sur sa juste colère. Dieu renonce au mal qu’il avait voulu faire. Il fait demi-tour. Le mal qu’il avait envisagé, il ne le fera pas.
Mais, le récit nous dit deux choses importantes.
Tout d’abord, le pardon n’est pas automatique. Le péché du peuple ne s’efface pas tout seul. Dieu se repent, grâce à une prière ardente ! Dieu abandonne son jugement – à la suite d’une intercession qui était un vrai combat ! Si nous souffrons, aujourd’hui, de tant de déchirements, de tant de crises (pour n’en citer que deux : la crise actuelle de notre église réformée, et le conflit israélo-palestinien), peut-être cela est-il dû au fait lamentable que nous manquons de Moïse qui se lancent dans l’intercession, qui s’engagent à la prière, de toutes leurs forces, de toute leur existence ?
Et, autre fait, non moins troublant et d’une actualité qui nous coupe le souffle : Dieu renonce au châtiment prévu, mais pourtant, le péché du peuple va laisser des traces. Le péché n’est pas gommé d’un trait. Il va avoir des conséquences douloureuses. Et le peuple va en souffrir. Pour Dieu, le peuple est redevenu « son » peuple. Mais, pourtant, Moïse va démolir les tablettes de la tora : Tout comme le peuple a démoli l’union avec son Dieu. Il y a eu rupture – et cette rupture ne pourra pas passer sous silence.
Plus tard, le Peuple aura la tora. Mais les nouvelles tablettes seront de la main de Moïse seulement. Le péché laissera toujours des traces. On ne pourra jamais faire comme s’il n’avait pas eu lieu. Mais Dieu est Dieu. Tu peux faire confiance. Il entend et exauce la prière qui vient de tout ton cœur. Et il t’adressera son amour à nouveau. Il t’accompagnera. Il est Amour.
Amen.

 

Prière
Oui, Seigneur, tu attends et tu entends notre prière –
tout comme tu as exaucé la prière de Moïse.
Nous avons donc tout intérêt à t’adresser nos sollicitations et nos inquiétudes.
Pardonne-nous de nous engager trop peu pour ce monde qui est le tien –
et qui a tant besoin de notre intercession.
Donne-nous un cœur brûlant d’amour, et accueille nos prières
pour ton église qui se perd dans des soucis superficiels, au lieu de témoigner, plein de confiance, de ton amour.
pour les jeunes qui se sentent abandonnés face à un avenir qui les insécurise, qui sont à la recherche de repères et de valeurs.
pour les hommes et les femmes politiques qui arrivent trop souvent à cacher leur manque d’orientation derrière des mots vides.
et pour le pays d’Israël et toutes celles, tous ceux qui l’habitent : Accorde à ce pays où ton fils a fait route parmi nous cette paix que tu lui as promise, pour qu’en sortent des signes de ton pardon et de ta grâce pour le monde entier.

Notes bibliques

Luc 15
Nous voici en présence de la parabole la plus connue de la Bible entière. Le risque de tomber sur les auditeurs qui craindront de rencontrer du « déjà vu » est très grand. Si donc on veut pourtant se lancer dans une prédication sur ce texte, il vaut la peine de chercher des aspects nouveaux. Je l’ai tenté en me penchant sur le fils aîné.
Pourtant, en guise d’introduction, voici quelques remarques qui méritent d’être retenues :
Verset 12 : Le fils cadet est égocentrique à tel point qu’il traite son père comme s’il était déjà mort, ou presque. Un partage de l’héritage avant la mort devait couper le souffle à tout auditeur de Jésus !
V13 : Le fait de quitter son pays implique probablement qu’il sorte du cadre de ses traditions et lois.
V15 : Les porcs, animaux impurs, sont le symbole même de l’éloignement de la tora.
V17 : Une « conversion » pour des motifs pas trop honorables. C’est la misère qui en est l’origine. Il n’aspire qu’à la vie facile à la maison du père.
V19 : Il comprend qu’il a péché contre le père et contre le ciel. Il est prêt à en assumer les conséquences – à condition d’avoir de quoi vivre…
V20 : Le père, apparemment, avait attendu depuis longtemps le fils perdu.
Il est pris de pitié, il accourt (dans une culture où on ne se déplace que très posément, si on n’est pas à la fuite ou un voleur…) et il embrasse son fils – par amour.
V21 : Le fils commence son discours bien préparé, mais le père lui coupe la parole – pour lui rendre tous ses droits de fils et les symboles qui en font partie (vêtement neuf, bague, chaussures).
V25 : C’est le fils aîné qui m’intéresse particulièrement : je suis persuadé que la parabole vise, avec lui, les pharisiens et les scribes du verset 2. On pourrait d’ailleurs, dans ce sens, commencer la lecture de la parabole par les versets 1 et 2 (comme le suggère aussi l’ordre des lectures). La parabole dessine le fils aîné de manière très peu attrayante.
V28 : il contraint le père à quitter la fête pour parler avec lui. Et le père le supplie de ne pas rester dehors !
V29 : Le frère aîné n’a pas compris qu’il aurait eu le droit d’être fils, de profiter des biens qui sont aussi les siens. Tout près de ce père plein de tendresse et d’amour, il l’a pris pour un despote impitoyable !
L’image de la parabole montre clairement qu’il existe un risque majeur pour « l’homme religieux » : s’exclure soi-même de la « fête sans fin » de la vie éternelle…

 

Prédication

Cette parabole ne se trouve que chez l’évangéliste Luc qui, avec ce récit, fait, une nouvelle fois, preuve de son génie de conteur. Luc arrive à forger, à l’aide de sa théologie passionnante, des récits extraordinaires qui font le grand charme de tout lecteur de la Bible. Et la cerise sur le gâteau, c’est, en effet, cette parabole du fils prodigue qui n’est pas par hasard la parabole la plus connue et la plus citée, la parabole la plus longue – et peut-être aussi la plus belle de nos Évangiles ! Quelle autre image biblique nous parle-t-elle plus intensément de l’amour, de la tendresse, de la miséricorde de notre Dieu pour ses créatures, pour ses enfants ?
Regardez de près l’image de ce père qui accourt vers son fils perdu qu’il voit revenir à la maison ; ce père heureux qui serre contre son cœur son fils délabré, les habits en loques ! Voyez bien ce geste d’une tendresse infinie qui nous dit tout ce qu’on peut dire sur le Dieu d’Amour, sur son pardon, sur sa grâce illimitée.
Mais je vous invite à ne pas vous arrêter aux évidences. En relisant notre parabole, je me suis étonné qu’elle parle bien plus largement des deux fils que du père. On dirait quand même qu’il est le personnage central. Or, l’image que Luc dresse devant nous se concentre bien davantage sur les deux fils, dont, d’ailleurs, le second, en général, passe souvent inaperçu. Bien sûr, il apparaît trop tard, juste à la fin, alors que l’attention n’est plus la meilleure. J’ai donc commencé, pour une fois, à la fin. Et c’est ainsi que j’ai découvert à quel point cette parabole voudrait me dire beaucoup de choses que – jusqu’à maintenant – j’avais tout simplement refusé d’écouter…
Je vous invite donc à faire comme moi. Nous allons commencer, pour une fois, par la fin, par le personnage le moins apprécié de cette histoire. Par le frère aîné.
Or, c’est justement ce frère aîné qui m’a permis de jeter un regard tout nouveau sur cette parabole. Sans aucune prétention je peux vous dire que moi, personnellement, je ne fais pas partie des fils prodigues. Mais il en existe, aujourd’hui encore. J’en ai même rencontré. C’est ainsi que je peux en juger. Je me souviens de « témoignages » impressionnants de tels fils prodigues. Ceux que j’ai rencontrés et écoutés, c’étaient des garçons très pieux qui ont témoigné de leur conversion, de leur retour au père miséricordieux, avec des larmes pathétiques aux yeux. Mais avant ! Ah ! Avant de se convertir, ils ont connu la vie dans tous ses états ! Et ils l’ont mené ! Ils ont eu des filles, des drogues, des voitures, beaucoup d’argent qui filait comme du sable entre leurs doigts. Ils ont eu leurs aventures et leurs festins, ils ont fait leurs voyages partout dans le monde. Et bon, tout à la fin, ils ont trouvé le vrai sens de leur vie, ils ont rencontré l’évangile et le Seigneur Jésus, ils se sont repentis, ils se sont convertis, pour enfin revenir au père. Je ne leur envie pas d’avoir été accueillis généreusement par le père d’amour. Cela ne se fait pas, je sais bien. Mais, il faut le dire, je les ai toujours écoutés d’une oreille un peu envieuse. Car ils m’ont fait savoir que moi, j’ai manqué pas mal d’aventures « d’avant la conversion »… Eh oui, hélas ! Je suis un peu comme ce frère aîné de la parabole, ce fils très sage qui est toujours resté à la maison du père, qui n’a jamais commis la moindre ânerie (ou presque…), qui était toujours obéissant, qui a toujours bravement bossé, et qui, au fond de son plus profond coin du cœur si pieux et si fidèle, enviait à son frère cadet les expériences extravagantes, les voyages, les belles voitures (et les belles filles…)…

Eh oui ! Or, bien sûr, je sais comme vous que ce n’est pas chic, d’être jaloux. Et il n’est pas dans l’intention de notre parabole de me reconnaître dans la personne du frère aîné.
Mais, ayant fait mon apprentissage de piété, je sais que Dieu est toujours du côté des faibles. Dieu aime les malheureux, Dieu soutient les perdants. Alors je me suis étonné du mauvais rôle que joue ce frère aîné dans notre récit. J’ai donc relu la parabole en me demandant : Pourquoi est-il dessiné si défavorablement, dans notre parabole ? Quelle est sa faute à lui ? Il est un pauvre type ! Il mériterait notre compassion ! Et aussi toute l’indulgence du père ! Le pauvre diable ! Il est toujours resté à la maison du père. Il a méticuleusement suivi ses ordres. Il a bossé jour après jour. Il a économisé et fait accroître le bien du père. Il a toujours vécu selon ses directives, accomplissant sa volonté à lui… Pourquoi donc a-t-il dû bosser pendant toutes ces années, tandis que l’autre n’a rien trouvé de mieux à faire que de dilapider le bien du père dans une vie voluptueuse, dans un bonheur superficiel ?

Quelle est la faute du frère aîné ? Je dirais : Dans un certain sens, il est tombé exactement dans la même erreur que son frère : Il a, comme lui, profondément méconnu son père. Mais tandis que l’autre a pensé devoir s’en aller pour être libre, celui-ci s’est fait serviteur, il est devenu esclave pour son père. Et voilà : Il n’a jamais compris que son père aurait préféré le voir vivre librement, et heureux !
Ce frère aîné a travaillé sans se ménager, dans une discipline sans faille. Il était persuadé d’être obligé de présenter à son père rien d’autre que le devoir accompli, l’obéissance totale. Le pauvre ! Il n’a rien compris ! Il est tous les jours dans la maison de son père, et pourtant, il le connaît si peu ! Il n’a même pas cerné que c’est PAR AMOUR que le père avait partagé ses biens entre les deux frères. Ce père qui a cédé à ses fils tout ce qu’il avait, il l’a fait pour leur permettre une existence autonome, digne, heureuse. Par amour, ce père n’a rien gardé pour lui-même.
Et le frère aîné ne flaire même pas de loin que ce n’est pas son père, mais que c’est lui-même qui a entravé son bonheur ! Il se plaint de ne jamais avoir reçu le moindre chevreau pour festoyer avec ses copains. Il ne comprend pas que tous les chevreaux, et même les veaux gras qu’il abreuve et nourrit tous les jours, sont les siens ! Ils sont tous à sa propre disposition ! Il n’aurait eu qu’à en prendre ! C’est lui-même qui s’est enfermé dans cette condition d’esclave – c’est lui qui a raté toute occasion de VIVRE, et ceci en présence d’un père qui aurait plutôt aimé le voir vivre en toute liberté joyeuse, heureux de savoir son père plein d’amour près de lui !
Pour ce qui concerne ce père, d’ailleurs, j’imagine bien qu’il ait profondément souffert. On voit, bien sûr, au premier abord, surtout la souffrance du manque de contact avec son fils cadet. Il est loin, dans une situation incertaine. Mais il y a encore une autre souffrance, celle causée par le fils aîné. Je m’étonne, d’ailleurs, que la parabole n’en dise rien. Ne croyez-vous pas que ce fils aîné l’ait peiné, lui aussi ? Ce fils qui vit sous ses yeux, ce fils qu’il rencontre tous les jours, ce fils qui vit si misérablement, comme un galérien à vie, comme si son père était un geôlier d’esclaves, sans pardon ni pitié. Et il se peut même que cette vie sans joie et sans repos, cette existence écrasée sous les lois qu’il s’est imposées à lui-même – ce frère aîné la considère encore pour méritoire !
Bien sûr, on peut se demander pourquoi le père n’ait pas agi autrement. Pourquoi n’exhorte-t-il pas son fils aîné à lever les yeux vers son père pour découvrir son amour – et pour reconnaître sa propre erreur ? Pourquoi ne lui ordonne-t-il pas de changer son mode de vie, scrupuleux, étriqué, si loin de la vraie attente du père ?
Avec cette question nous sommes au cœur même de cette parabole, et, en plus, au cœur même de tout l’Évangile. Car ce père, ayant partagé ses biens entre ses enfants par amour, pour leur ouvrir le chemin de la liberté, ce père ne peut pas faire autrement que de laisser partir le fils cadet. Il ne peut pas faire autrement que de laisser s’enfouir le fils aîné dans sa galère acharnée qu’il prend pour la vraie obéissance au père.
Ce père qui est Amour, ce père qui, par amour, ne veut rien d’autre pour ses enfants que de leur accorder la liberté, ce père est impuissant face à ses enfants ! Il leur laisse libre cours, même s’ils le méconnaissent, même s’ils le comprennent à l’envers, parce que la liberté est son don suprême. L’amour du père vise la liberté de ses enfants. La liberté est leur héritage. Et toute l’autorité du père, sa toute-puissance même, par et dans l’amour, se limite librement à donner à ses fils, par amour, la liberté, la dignité, et, par cela aussi, d’ailleurs, la responsabilité qui en ressort…
Je me suis donc reconnu dans la personne du fils aîné de la parabole. Bien sûr, ayant bien appris ma leçon, je me retiendrai bien de critiquer la joie et la générosité du père face à son fils retrouvé. Le récit me dit assez clairement que cela me ferait rater ma leçon à en tirer…
Autrement dit, la parabole m’a permis d’en tirer des leçons… morales. Je l’ai fait. Cependant, voyez-vous, il est toujours plus facile de tirer des leçons morales que les leçons… spirituelles, qui sont contenues dans les mêmes récits bibliques !
Or, nous n’avons rien compris de cette parabole, tant que nous la regardons seulement sur un plan moral. Son message central – se trouve ailleurs ! Nous ne saisirons le vrai message de la parabole que – sur le plan spirituel !
Regardez ce fils aîné de près, et vous comprendrez qu’il représente l’homme religieux. C’est l’homme qui a entendu et reçu le message biblique et qui, à la suite, s’efforce sérieusement à le suivre. L’homme qui se soumet entièrement à Dieu. L’homme qui écoute les commandements. Qui les suit à la lettre. Mais, hélas, il n’en a pas du tout compris l’esprit, leur fin. Il n’a même pas flairé de loin que Dieu est Amour, et Liberté. Il n’a point découvert que Dieu est le Dieu de la VIE. Que Dieu est le Dieu de la joie ! Il n’a pas du tout saisi qu’en Dieu, la vie devient fête, lumière, jouissance – et que Dieu nous adresse ses enseignements – pour que nous vivions heureux !
Cet homme religieux ne peut pas imaginer que Dieu aimerait le voir rayonnant, jouissant pleinement de cette vie qui lui est donnée par son créateur. Pour lui, la religiosité, la vie sous le regard de Dieu, c’est une chose bien trop sérieuse pour être belle et agréable. Il est loin d’être heureux. Le bien divin qui lui est confié, c’est pour lui plutôt une charge qu’une grâce dont il pourrait se réjouir en toute liberté. Voici pourquoi il lui arrive d’envier à son frère non-religieux son bonheur, sa vie épanouie. En récompense, il le critique, il le condamne. Et il espère pouvoir tirer des avantages de sa bonne conduite. Mais c’est ainsi qu’il se sépare des autres. Il se détourne de tous ceux qui ne sont pas comme lui – sans, d’ailleurs, se rendre compte qu’il s’est aussi, par cette manière de vouloir plaire à Dieu, séparé de Dieu lui-même. La parabole en parle avec une image touchante : Le père comprend que le fils aîné ne veut pas rentrer à la maison pour s’associer à la fête (à cette fête qui célèbre et crée les retrouvailles heureuses, la rencontre !). Le père sort pour supplier son fils aîné de rentrer. Mais celui-ci refuse, en condamnant son frère – et le père avec lui !
Quelle peine, quelle souffrance insondable pour ce père qui est AMOUR !
Mais comment terminer cette souffrance de Dieu même ? Comment réconcilier les deux mondes si différents des deux frères (qui, pour moi, sont, en effet, les représentants de deux mondes : du monde religieux, et du monde irréligieux, de l’existence loin de la foi). Comment réunir ceux qui cherchent la vie facile (au risque d’avilir la vie donnée par notre créateur ; cette vie que, pourtant, ils aiment profondément) – et les autres qui sont persuadés de servir le créateur, tout en s’enfermant dans des prisons qu’ils fabriquent eux-mêmes avec ce qu’ils tiennent pour les commandements d’un Dieu sévère et exigeant…
Comment créer un pont entre ces deux mondes ? Cela paraît impossible – mais notre parabole nous présente la solution. Elle est toute simple. La parabole nous la montre dans le comportement du fils cadet : Il suffit de faire demi-tour et de renter à la maison du père.
En effet, tu peux le faire comme le fils cadet qui avait même préparé tout un discours pour sa rentrée. Il avait l’intention de reconnaître ne plus avoir le droit d’être appelé « fils ». Il voulait seulement implorer une petite place de rien du tout, être serviteur, comme tant d’autres… Mais le père comprend, même avant la parole. Et il lui coupe la parole pour l’inviter au festin, pour lui permettre de partager sa joie de père ; pour fêter son retour.
Or, tu peux aussi « faire retour » comme le frère aîné qui rentre, fatigué du travail de sa journée – au service du père. Mais que ce retour se fasse dans la confiance, dans la paix, dans la joie de « rentrer chez toi. » Toute obéissance par contrainte ou par servilité ferait souffrir notre père éternel. Car notre père souffre, tant qu’existe une distance entre nous et lui. Il souffre de notre incompréhension. Il souffre, tant que nous n’aurons pas vraiment part à cette plénitude qu’il veut nous accorder dans son amour infini.
Amen.

 

Prière
Père éternel, nous te faisons souffrir.
Que ce soit notre goût de liberté qui nous fait chercher
ce que nous prenons pour notre liberté,
ou que ce soit notre piété qui rétrécit notre horizon,
et aussi notre cœur, jusqu’au point de ne plus reconnaître
qui est notre sœur, qui est notre frère…
Père, ouvre toi-même nos esprits, nos cœurs, nos horizons de vie
pour nous faire découvrir tous les signes de ta proximité,
tous les fruits de ton amour, de ta grâce qui jalonnent nos chemins –
et laisse-nous partager tout cela avec nos compagnons de route,
pour jouir ensemble de tout ce qui nous vient de ton cœur et de ta main.
Nous te présentons tout ce qui nous tient à cœur,
et tout ce qui nous pèse sur le cœur.
Toute souffrance qui suscite notre compassion,
toute fragilité, toute lassitude qui sollicite notre accompagnement.
Encourage-nous pour ne pas perdre cœur, face à tant de souffrance.
Nous nous sentons si souvent démunis, fragiles, impuissants.
Viens à notre aide, là où nous n’arrivons pas à aider !

Nous te présentons nos élus, nos représentants politiques.
Accorde-leur ton esprit de paix et de courage qui leur permette
de s’engager pour le bien du pays, en dépassant toujours à nouveau
leurs propres intérêts et leurs vues trop personnelles.
Fais d’eux des ouvriers de paix et d’unité.

Et nous te prions aussi pour le peuple de ton premier amour,
pour Israël et ses frères et voisins arabes.
Encourage toutes celles et tous ceux qui cherchent l’entente et la paix, permets des ouvertures, des rencontres, des rapprochements
pour toutes ces sœurs et tous ces frères qui aimeraient tant
vivre en paix et en liberté !

Cantiques
AEC 416, O Seigneur, ta voix m’appelle, strophes 1, 2 et 3
AEC 509, NCTC 215, Alléluia 35-06, Viens Saint Esprit, Dieu Créateur, strophes 1 et 2