Notes bibliques

Jean 21 versets 15 à 19
Notre récit s’intègre dans la partie des récits d’apparition du Ressuscité. Au chapitre 20, nous avons trois récits d’apparition : à Marie Madeleine, aux dix disciples (sans Thomas) et aux onze (avec Thomas). Les versets 30 et 31 forment une conclusion de l’œuvre de l’évangile de Jean et nous pouvons être surpris de voir s’ajouter un autre récit, le chapitre 21 : comme si tout n’avait pas été dit, comme s’il convenait de donner encore quelques preuves ou précisions.
Selon de nombreux commentateurs, le chapitre 21 serait un appendice contemporain de l’écriture des chapitres 1 à 20 et il donnerait un éclairage particulier sur le statut de deux disciples : Pierre et le disciple que Jésus aimait. De pêcheur de poissons, Pierre ne sera pas appelé à être pêcheur d’hommes mais berger.

Le contexte large : La crucifixion et la résurrection se sont déroulées dans un passé récent. A Jérusalem, Jésus ressuscité est apparu à Marie Madeleine et aux disciples, le jour de la résurrection. Au chapitre 21, changement de temps et de lieu : temps d’après Pâque, dans le pays de la Galilée. Les disciples semblent avoir oublié l’événement de la résurrection. Ils repartent à leurs activités, à leur quotidien. Leur quotidien, c’est la pêche.
Au fil du chapitre 21, notre récit se déroule en quatre temps :
– la pêche qui devient miraculeuse avec le Ressuscité et le repas partagé (1 à 14)
– l’appel de Pierre (15 à 19)
– L’avenir du disciple que Jésus aimait (20 à 23)
– Conclusion du chapitre (24-25)

Contexte précédent : Ils ne sont plus que sept à être ensemble. Le groupe n’est plus soudé. Ils vont faire une partie de pêche, sur la proposition de Pierre, sur le lac de Tibériade. Cette pêche de nuit est infructueuse. Le filet reste désespérément vide.
Au matin, Jésus apparaît mais ils ne le reconnaissent pas (v. 4). Étonnant de la part de disciples qui ont été témoins de deux apparitions ! A l’invitation de Jésus, ils lancent leur filet à droite de la barque et ramènent une grande quantité de poissons. Le disciple que Jésus aimait est le premier à confesser sa foi au Ressuscité. Nous pourrions croire que c’est la pêche qui doit retenir notre attention mais aussitôt, notre regard se porte sur ce qui se passe sur la plage. Le miracle de la pêche introduit tout ce qui va se dérouler sur le sable De retour à terre, du poisson et du pain sont déjà sur un brasier et Jésus invitera les disciples à venir partager ce repas. Ce n’est pas le fait que Pierre tire seul le filet qui déclenche le dialogue avec Jésus, mais bien la prise du repas offert. Maintenant que Jésus a nourri ses disciples, et en particulier Pierre, il sera capable, à son tour, de paître les brebis de Jésus.

Contexte suivant : un nouveau dialogue s’engage au sujet de l’avenir du disciple que Jésus aimait. Il ne reçoit pas de mission particulière et Jésus reste énigmatique quant à la longévité de sa vie.

Contexte immédiat : Après le repas du petit déjeuner sur la plage, à la pointe du jour, nous sommes les témoins d’un dialogue en deux parties, qui n’est pas sans rappeler un autre épisode, celui du reniement (Jn 18, 12 à 27) où nous retrouvons les même personnages (Pierre et l’autre disciple). Avant le reniement, Pierre voulait le suivre jusqu’au bout, mais ce n’était pas le moment. Dans le reniement, avant la mise à mort, Pierre n’était pas à son avantage et maintenant, avec le Ressuscité, l’avenir de Pierre s’éclaire. Nous sommes les témoins du premier face à face Pierre –Jésus. Après la résurrection, Pierre peut suivre Jésus. Ce n’est plus Pierre qui le réclame mais Jésus qui l’invite à le suivre.

La première partie se développe en trois temps : triple question et triple confession
1er temps : Jésus pose une première question : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?
Cette question jauge l’esprit de comparaison de Pierre, lui qui est toujours prompt à se mettre devant les autres.
Pierre répond en concentrant sa réponse sur la personne de Jésus et non sur sa comparaison avec les autres disciples : « Oui Seigneur, tu sais que je t’aime ».v 15
Jésus l’invite à prendre soin de ses agneaux.
2e temps : Jésus pose une seconde question : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ? Cette question concerne maintenant Jésus seul. Pierre lui fait la même réponse que précédemment : « Oui Seigneur, tu sais que je t’aime ».v 16
Jésus l’invite à être le berger de ses brebis.
3e temps : Jésus pose une troisième fois la question : Simon, fils de Jonas, m’aimes-tu ?
2 éléments nouveaux apparaissent : la tristesse de Pierre (pense-t-il au reniement ? Sans doute croit-il que jésus veut lui faire des reproches ? Son amour pour Jésus est grand mais peut-être pas aussi grand qu’il l’espérait ?) et l’affirmation de la connaissance totale de Jésus
Et pour la troisième fois, Jésus proclame la mission de Pierre : « Prends soin de mes brebis » v 17
La seconde partie présente l’avenir de Pierre (v. 18) : serais-ce l’annonce de son martyr ou de sa perte de liberté ?
Le verset 19a est une glose interprétative, pour expliquer le verset 18 et le verset 19b conclut notre dialogue par un appel à suivre Jésus.

Les personnages
Jésus : C’est le Ressuscité qui s’adresse à Pierre. Il avait déjà adressé une vocation à Pierre. Celle-ci se trouve confirmée, malgré le reniement. Par trois fois, il interpelle Pierre sur la dimension de son amour. Par trois fois, il confirme sa vacation particulière sur le troupeau des disciples et il conclut par un appel adressé à Pierre : Suis-moi v. 19b

Pierre : Un personnage tout en contraste. C’est le quatrième disciple à être appelé lorsque Jésus constitue son « équipe » Jn 1, v. 40. Pierre sera de ceux qui n’abandonnent pas Jésus devant la contestation « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » Jn 6, 68. Pierre croit comprendre le chemin que prend Jésus (Jn 13, 6 à 10), et veut diriger les questions au sujet du traître (Jn 13, 24). Il est même prêt à donner sa vie pour son maître (Jn 13, 37). Lors de l’arrestation de Jésus, il sera celui qui tire son épée pour défendre Jésus (Jn 18, 10). Dans les épisodes de la Passion, Pierre agit souvent en duo, avec un disciple anonyme (« autre disciple » ou « disciple que Jésus aimait »).
Mais Pierre sera aussi celui qui renie Jésus par trois fois et le dimanche de Pâque, il sera, avec l’autre disciple, en concurrence pour comprendre ce qui s’est passé (Jn 20, 3). Et il semble que Pierre perde une sorte de « leadership » au profit du disciple que Jésus aimait. Car l’autre disciple est le premier à croire en la résurrection (Jn 20, 8).
Après la résurrection, Pierre garde l’initiative : c’est lui qui semble diriger le groupe mais ce sera le disciple que Jésus aimait qui reconnaîtra Jésus ressuscité « C’est le Seigneur » Jn 21, 7. C’est Pierre qui, seul, tirera le filet, pour la seconde fois. Mais l’important est ailleurs, dans le partage du repas. Ce n’est qu’après avoir mangé que Jésus Ressuscité confirmera sa vocation.
Les six autres disciples : Ils semblent absents de la scène du dialogue puisque au verset 20, Pierre voit « son co-disciple » arriver.

Les expressions  ou difficultés de traductions :
4 binômes :

1er « αγαπαω » et « Φιλεω »
« αγαπαω » : aimer 143 fois dans le Nouveau Testament et 37 fois chez Jean
« Φιλεω » 25 fois dans le Nouveau testament et 13 fois chez Jean.
«αγαπαω » est employé par Jésus, dans ses deux premières questions (v. 15 et 16) et Pierre répond toujours par le terme « Φιλεω ». Faut-il y voir une graduation dans la notion d’amour ou ces termes sont-ils interchangeables ? L’analyse de l’utilisation de ces mots montre que l’amour du Père est tantôt défini par « Φιλεω » ou « αγαπαω ». Dans sa troisième question, Jésus se met au même niveau de langage que Pierre et utilise le terme « Φιλεω »

2e « βοσκειυ » et « ποιμαινειν »
« βοσκειυ » paître, nourrir. (v 15 et 17) « ποιμαινειν » : faire paître (v. 16)
Ces deux termes semblent interchangeables. L’idée est bien de conduire, de mener vers des pâturages où la nourriture sera abondante pour le troupeau.

3e « αρνια » et « προβατα »
« αρνια », « nourris mes agneaux » (v 15) et « προβατα », « fais paître mes brebis » (v. 16 et 17)
L’agneau est le petit de la brebis. Faut-il y voir une progression ? Pierre sera chargé du troupeau, de la naissance à l’age adulte ou les termes sont-ils interchangeables ?

4e οιδα et γιγνωσκω
« οιδα » (3 fois, v. 15,16 et 17) savoir, être instruit de, « tu sais que je t’aime » v. 15, 16 et 17, et γιγνωσκω,(1 fois, v. 17) apprendre à connaître ou reconnaître.
Jésus est le sujet de cette connaissance.

« Σιμων Ιωαννου» : « Simon, Fils de Jean ». Pourquoi appeler Pierre Ainsi ? Ne serait-ce pas une manière d’évoquer sa vocation ? Nous retrouvons les mêmes termes en Jn 1, 42. Dans l’Ancien Testament, dans les récits de vocation, nous retrouvons également cette manière d’appeler : Josué, fils de Nathan ; Ésaïe, fils d’Amos.

Αγαπάς με πλέον toutwn : m’aimes-tu plus que les autres ?
De quels autres s’agit-il ? des six ? des dix ou de tous les chrétiens ?
Quelle que soit l’option choisie, l’important n’est pas la capacité de Pierre à aimer mais plutôt la force que Jésus donne à Pierre pour aimer à son tour.

Le verset 18 reste énigmatique.
La mention d’étendre les mains peut faire penser à une mise en croix. Une tradition parle du martyre de Pierre, crucifié la tête en bas. Jésus aurait indiqué de quelle manière Pierre allait mourir.
Une autre manière de comprendre ce verset tient compte du fait que le « tu » (grec) a aussi la valeur du pronom indéfini « on » (français) car le grec n’a pas d’équivalent à notre pronom indéfini.
On pourrait traduire ainsi. Il y a deux temps dans la vie : celui où chacun n’en fait qu’à sa tête (indépendance = plus libre de marcher avec ses vêtements attachés par une ceinture) et le temps de la dépendance (où il faut se laisser habiller). Le temps de l’enfance ne serait-il pas, au début de notre récit, celui de la pêche avec le filet vide. On veut vivre par ses propres moyens, mais cette manière de vivre mène à une impasse : enfants, n’avez-vous rien à manger (V. 5). Les disciples ont été invités à vivre différemment, à se laisser nourrir par le Christ.
Maintenant, Pierre est dans le temps de la dépendance. Il faut qu’il accepte de se laisser mener par le Ressuscité. D’où cette invitation « suis-moi ».
Ακολούθει μοι : suis-moi (v. 19), action de se laisser guider.
Pierre doit accepter de se laisser guider par le ressuscité et lorsqu’il regarde en arrière (v. 20), il voit le disciple que Jésus aimait venir à sa suite « ακολουθουντα ». Comme pour dire que, maintenant, tout le monde, y compris celui qui était en « concurrence » avec Pierre, suivra celui que Jésus a désigné comme berger, pour vivre pendant son absence, dans l’attente de son retour.

Pistes pour la prédication
Thème de la reconnaissance : Où est le Ressuscité dans notre vie, paroissiale ou familiale ? Il est au bord de notre vie. Sa parole se fait discrète. Sachons écouter nos proches (à l’image du disciple que Jésus aimait). Ils nous aideront peut-être à reconnaître la trace ou la parole du Seigneur (v 7a).
Thème de la présence : Là où le repas est partagé : pain et poisson (sans que cela soit une sainte Cène) et où la Parole se fait appel. Comment ne pas voir l’importance des repas où ils se passe toujours quelque chose de l’inattendu de Dieu ? Comment ne pas se sentir interpellé par l’insistance de Jésus ? Le ressuscité ne cesse de nous parler : mais il faut encore aiguiser notre écoute.
Thème de la suivance : Comment suivre Jésus lorsqu’il n’est plus là, lorsque ses disciples vont devoir gérer l’absence du ressuscité ? Notre texte ne dit pas tout. Il n’échafaude aucun plan sur une organisation future. Il concerne surtout Pierre. Ce faisant, il présente deux jalons : l’importance de l’amour du ressuscité et ne pas prendre la place de Jésus : rester à sa suite.
Thème du berger : Image du berger en Jean 10. le berger est celui qui témoigne du pouvoir de l’amour et non de l’amour du pouvoir. Jusqu’où peut-on vivre cet excès d’amour, à la suite du Ressuscité, dans une société qui comptabilise, qui mesure en se méfiant des gestes désintéressés ?

Chants
Psaume 107
AEC 607 – NCTC 280 – Alléluia 46-02 : Seigneur, accorde-moi d’aimer
AEC 525 : Tu nous aimes, Seigneur

Texte
L’Amour
L’amour ne force pas, sinon il se transforme en viol :
Il renonce à imposer à l’autre son pouvoir.
L’amour ne calcule pas, sinon il devient prostitution :
Il prend constamment des risques fous.
Il ne donne pas quelque chose, il se donne ;
il ne prend rien,
Il s’offre sans réserve.
Il rompt définitivement avec les catégories de l’avoir
et se situe résolument dans celles de l’être :
Il est réduit à l’essentiel, la communication,
le partage de la vie.
Plus question de perdre quoi que ce soit,
plus question de garder quoi que ce soit :
C’est le don sans réserve ni attente
d’une expression de reconnaissance,
d’une réponse adéquate à l’acte gratuit.

Georges Casalis

Prédication

Pierre, un personnage tout en contraste : comment a-t-il pu être le sujet d’un appel du ressuscité ? Ce récit de Jean 21 va éclairer notre lanterne pour découvrir comment il est devenu « Berger ».
Nous avons parfois l’habitude d’idéaliser le personnage de Pierre, de mettre en exemple sa foi.
N’est-il pas celui qui est décrit, dans cet évangile, comme celui qui est un proche de Jésus ? Il croyait avoir tout compris de la mission de Jésus au point de ne pas vouloir que Jésus lui lave les pieds (Jean 13 v. 8). Il est celui qui commande au disciple que Jésus aimait pour savoir le nom du traître (v. 24). Il est celui qui est prêt à donner sa vie pour Jésus (37).
Pourtant, lui aussi se trouve dans une impasse. Impasse dans sa foi : parce qu’il a renié son maître par trois fois (Jn 18, 15 à 25) et parce qu’il ne sait pas comment vivre avec la présence du Ressuscité.
Et c’est à ce moment qu’intervient un personnage que personne n’attendait. Jésus, Ressuscité s’invite à la campagne de pêche. Et devant le miracle opéré, le disciple que Jésus aimait discerne l’identité de cet inconnu : c’est le « Seigneur », le Ressuscité. Il fait part de son intuition de foi à Pierre.
Le miracle se prolonge, puisque, sur le rivage, un feu est déjà allumé pour préparer le partage du pain et des poissons. Et le filet, que les disciples n’arrivaient pas à remonter dans la barque, est tiré par un seul homme, Pierre. Bien souvent, les commentaires bibliques ont le regard attiré par cette pêche miraculeuse. Ne fait-elle pas écho à la pêche miraculeuse (Luc 5), chez l’évangéliste Luc ? Le récit de Luc comporte des différences et surtout la vocation de Pierre est différente. Chez Luc, il passe de pêcheur de poissons à pêcheur d’hommes. L’image de la partie de pêche est importante pour comprendre ce premier récit de vocation.
Mais chez Jean, je pense que la pêche est accessoire. Ce n’est pas l’acte de pêcher qui sera retenu par Jean, mais davantage la capacité de Pierre à reconnaître le Ressuscité par le signe du filet rempli de poissons, l’acceptation du repas et l’écoute de l’appel du Ressuscité. La pêche est seulement le vecteur qui permet la transition avec le repas. D’ailleurs, Jésus ne leur demande pas si la pêche est bonne mais s’ils ont à manger (v. 5). Lorsque le filet arrive vers le rivage, Jésus leur dit bien d’amener les poissons qui ont été pris mais celui que Jésus a préparé est déjà sur les braises, prêt à être consommé.
Et tous ensemble, ils partagent un repas que Jésus seul a préparé.
Si, dans cette rencontre, nous sommes introduit par un signe extraordinaire (la pêche miraculeuse : le Jésus ressuscité est aussi puissant que le Jésus d’avant la Croix), c’est pour nous préparer à ce qui va suivre, a un entretien personnel entre Jésus et Pierre.
Jésus l’interroge sur son amour.
Jésus parle d ‘« agapê » et Pierre répond par « philia ». Deux mots différents pour exprimer une même réalité ou un regard différent sur la même réalité ?
Regardons comment les Grecs comprenaient les expressions de l’Amour.
Les Grecs avaient quatre façons d’exprimer l’amour : « storgê » qui désigne le sentiment de tendresse ou d’affection que les parents éprouvent à l’égard de leurs enfants ; « éros » qui exprime la passion, le désir, terme ignoré dans le Nouveau Testament ; « philia » que l’on désigne par amitié. Le sens premier serait non pas une relation sentimentale mais signifierait l’appartenance à un groupe social. Le terme « agapê » est plus fort que « philia » puisqu’il veut traduire l’amour de Dieu pour les hommes et un amour qui s’étend même aux ennemis.

Par trois fois, Jésus amène Pierre à lui dire son amour.
Dans les deux premières questions, Jésus dit « agapas me » (m’aimes-tu ?) et Pierre répond par « oidas hoti philô se » (tu sais que j’ai de l’amitié pour toi). Dans cette différence d’utilisation des mots en grec, complètement gommée par nos traductions françaises, je décèle un changement d’attitude de Pierre. Il n’est plus celui qui est sûr, qui se croit fort. Il sait qu’il n’est pas capable d’aimer à la hauteur, à la longueur ou à la profondeur de Jésus. Mais ce n’est pas ce qui arrête Jésus. Jésus donne sa définition de l’ « agapê ». Elle se manifestera concrètement. Il lui faudra prendre soin des moutons de Jésus, d’être le berger, le guide des moutons. L’amour de Dieu ne s’arrêtera donc pas à la manifestation de Jésus. Il va se prolonger dans l’action de ses disciples et en particuliers, de Pierre. C’est aussi un amour qui implique une connaissance. Et Pierre l’a bien compris lorsqu’il dit « Tu sais tout » 17b. L’agapê de Jésus connaît tout des errements, des questions, des impasses de la vie de Pierre. Et c’est un Pierre devenu humble, triste, qui va, dans un troisième dialogue, être relevé par Jésus. Jésus se met à son niveau de langage. Il parle de « philia », comme Pierre. Si je me souviens de l’étymologie du mot, je peux dire que Pierre fait maintenant partie d’un nouveau groupe, celui qui est attaché au Ressuscité. La Croix n’a rien annulé du projet de salut de Dieu. Pierre reçoit une nouvelle mission. Le Ressuscité l’envoie dans le monde prendre soin de ses moutons. De pêcheur de poisson, il devient le berger d’hommes.
Dieu a choisi Pierre, par pure grâce, sans qu’il ait un quelconque mérite : son « leadership » sur six disciples ou sa capacité à tirer tout seul le filet rempli de poissons n’y sont pour rien. Mais parce que Dieu l’a choisi, il lui faudra aimer plus que les autres. Sa mission n’aura de sens que si elle s’enracine, que si elle se nourrit de l’amour de Dieu. Et cet amour pour Dieu lui fera aimer son prochain plus que les autres. Pierre, à l’issue de la troisième question, comprend enfin ce que Dieu attend de lui : qu’il soit un serviteur, capable de manifester un amour au-delà des logiques humaines.
Si l’évangéliste Jean nous a raconté cette histoire, c’était pour asseoir l’autorité de Pierre dans cette église naissante. Rien n’est dit pour la suite, ni pour ces successeurs car les premiers chrétiens étaient tous à attendre la venue imminente de la Parousie.
Alors comment reprendre ce récit à notre compte, puisque rien n’indique, dans notre texte, qu’il s’adresse aussi aux autres disciples ?
Ce matin, je vous propose de faire une entorse à l’exégèse pour nous placer dans la peau de Pierre, comme si ce dialogue nous était adressé : à l’image de Pierre, notre vocation est d’aimer plus que les autres.
Le chrétien est appelé à vivre l’amour de Dieu au milieu des autres.
Nous avons à prendre le risque de parler de l’Amour de Dieu, dans une société qui paraît sans élan, qui paraît être riche d’inquiétudes et pauvre en projet de vie et d’avenir.
Peut-être sommes-nous comme ces disciples, déçus de ne pas comprendre l’action de Dieu parmi les hommes et retranché dans notre vie professionnelle qui ne nous rapporte pas plus que la pêche de Pierre avant sa rencontre avec le Ressuscité ?
Nous avons à prendre le risque de parler de l’Amour de Dieu parce que Jésus nous y invite. Jésus nous demande de le suivre même si les chrétiens et les églises n’ont pas été à la hauteur d’une telle tâche. Vingt siècles de chrétienté nous rappellent que les témoignages humains sont trop souvent à la hauteur de conflits, de disputes et de guerres, parfois à la hauteur de l’amitié limitée à l’appartenance de la famille ou du groupe social alors que Jésus nous invite à vivre à la hauteur de l’amour, de «  l’agapê ».
Vivre un plus grand amour, c’est prendre soin des autres, en suivant le Ressuscité :
* c’est se tenir aux côtés de ceux qui luttent contre les souffrances,
* c’est aller à la rencontre de ceux qui désespèrent, qui n’attendent plus rien de la vie, des hommes et de Dieu,
* c’est soutenir ceux qui appellent la guérison
* c’est nourrir, partager un repas, partager nos richesses,
* c’est proposer à mon prochain de jeter son filet dans une autre direction
A la suite de Jésus, le chemin ne sera pas toujours facile parce que nous serons tentés de renoncer lorsque la relation avec mon prochain sera difficile, parce que nous serons tentés d’abandonner lorsqu’il y aura des oppositions, lorsque tout paraît stérile, lorsque d’autres bergers nous fascinent.
Cet amour ne nous place pas au-dessus des autres. Nous ne sommes pas parfaits, à l’image de Pierre. Cet amour nous place seulement devant une responsabilité particulière : celle de ne pas rompre la chaîne d’amour que Jésus a inaugurée. Parce que Dieu m’a aimé, je peux, à mon tour, aimer mon prochain. En aimant mon prochain, c’est Dieu que j’aime. C’est la réponse que Dieu attend de moi, moi qui désire suivre le chemin de la vie.

Oui, soyez en convaincus, Jésus nous pose la même question, ce matin : m’aimes-tu ? Est-ce que le fondement de notre vie repose sur l’amour du Ressuscité ? Si ma réponse est Oui, alors nul doute qu’il nous aidera à marcher derrière lui.
Amen