Rameaux

> Télécharger la note biblique en .pdf  

 

Texte

1 Alors qu’ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, il envoie deux de ses disciples 2 Il leur dit : “Allez au village qui est devant vous; sitôt entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s’est encore assis; détachez-le et amenez-le.3 Si quelqu’un vous dit : « Pourquoi faites-vous cela ? », dites : « Son maître en a besoin; il le renverra ici tout de suite. »”

4 Ils partirent et trouvèrent un ânon attaché dehors, près d’une porte, dans la rue; ils le détachèrent.5 Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : “Qu’est-ce que vous faites à détacher l’ânon ?” 6 Ils leur dirent comme Jésus l’avait dit, et on les laissa.

7 Ils amenèrent à Jésus l’ânon; ils jetèrent sur lui leurs vêtements; il s’assit dessus.

8 Plusieurs étendirent leurs vêtements sur le chemin, et d’autres des branches coupées dans les champs.9 Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !10 Béni soit le règne qui vient, [celui] de David, notre père ! Hosanna dans les lieux très hauts ! »

11 Entré à Jérusalem, dans le temple. et ayant tout regardé[1], comme il était déjà tard, il sortit.

 

Notes bibliques

Marc (et après lui les deux autres synoptiques que sont Matthieu et Luc) ne mentionnent qu’une seule montée de Jésus adulte à Jérusalem. La ville dans cet évangile est d’abord celle dont on sort pour venir écouter Jean (1,5) ou Jésus (3,7.22; 7,1). À partir de 8,31, Jésus qui se trouve alors près des sources du Jourdain, tout au nord de la Galilée, prend délibérément la route pour le sud et Jérusalem. Il traverse la Galilée (9,30), font une dernière étape à Capharnaum (9,34), passe en Judée (10,1) mais ce n’est qu’en Mc 10,32 que le lecteur apprend la destination de Jésus : “ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient effrayés, et ceux qui suivaient avaient peur.” Jésus précise que sa mort déjà annoncée à deux reprises aura lieu à Jérusalem (10,33-34). C’est dans ce contexte dramatique que ce situe l’étonnant récit dit des “rameaux” où la peur laisse place à la joie et à l’acclamation de celui qui vient au nom du Seigneur.

Verset 1 : Bethphagé = maison des figues c’est (avec les // en Lc et Mt) le seul emploi du nom dans le NT. Il pointe vers l’épisode du figuier (à partir du v. 12) laissant peut-être entendre que le temple est la maison des figues vers laquelle Jésus marche mais où il ne trouve rien (v. 11).

Verset 2 : “sitôt” = littéralement : “immédiatement”, le mot préféré de Marc (38 attestations dans cet évangile contre 40 pour tout le reste du Nouveau Testament). Les choses s’enchainent très vite tout comme Jésus les a prévues. Du coup et si on se souvient que, dans l’évangile de Marc, c’est la première fois que Jésus entre dans Jérusalem, on ne manquera pas d’être étonné par sa connaissance des lieux. C’est comme si, sur le point de rentrer chez lui, il décrivait à l’avance un quartier qui lui est très familier et dont il connaît non seulement les rues mais aussi les personnes et les animaux. Il sait tout à l’avance et tout se passe comme annoncé. En d’autres mots, Jésus maîtrise d’un bout à l’autre une fête qui pourtant paraît entièrement spontanée. Peut-être est-ce pour Marc une manière de laisser entendre que la suite de l’histoire et notamment l’arrestation et la passion de Jésus ont été prévues par lui de la même manière qu’il avait organisé son entrée dans la ville.    

Verset 3 : dans leur réponse, les disciples mentionnent le maître (on peut aussi traduire “le seigneur” de l’ânon). Jésus parle-t-il du propriétaire de l’animal ou de lui-même ? Les deux sens sont possibles et sans doute voulus. Pour les interlocuteurs des disciples, il s’agit d’une allusion au maître de l’animal. Pour le lecteur, il s’agit du Seigneur de l’histoire.

Verset 4 : même si ce texte n’est pas formellement cité, c’est à Zacharie 9, 9-10 que renvoie le motif de l’ânon. Jésus incarne alors la figure de ce roi pauvre et monté sur un ânon dont l’entrée dans la ville signifie la fin de la présence militaire des nations : “Je retrancherai d’Ephraïm les chars et de Jérusalem les chevaux; les arcs de guerre seront retranchés. Il parlera pour la paix des nations, et sa domination s’étendra d’une mer à l’autre et d’un fleuve jusqu’aux confins de la terre”.

Verset 8 : Marc signale que plusieurs personnes étendent leurs vêtements sur le sol. Il ne mentionne pas ici la présence de la “foule“ qui va devenir un des personnages importants de la suite de son récit. Il n’y a du coup peut-être pas lieu d’opposer comme on le fait couramment les rameaux et le vendredi saint. La foule versatile est plutôt celle qui un jour, a écouté et apprécié Jésus lorsqu’il enseignait dans le temple (11,48; 12,12.37) et qui plus tard participera à son arrestation (14,43) et demandera la libération de Barabbas (15,11.15). Ceux-là fréquentent le temple et sont au fait des coutumes propres à Jérusalem (15,8). Les protagonistes des rameaux semblent au contraire avoir été recrutés parmi les pèlerins montés à Jérusalem et les disciples qui ont suivi Jésus (15,41).

Ceux-là étendent sur la route des vêtements. Est-ce pour honorer celui qui passe ou pour que les sabots de l’âne qui porte Jésus touche leurs vêtements (cf. Ac 19,12) ?

À la fin du verset, des gens coupent des branches. Joint au fait que les disciples entonnent le psaume 118, cet élément peut faire penser à la fête de Soukhôt (Dt 16.13-15 et Lévitique 23.42-43) qui commémore la traversée du désert après la libération d’Égypte. Soukôt est une fête d’automne qui suit Rosh hashana et Yom kippour. C’est aussi une fête des récoltes (Ex 23.16, 34.22) qui appartiennent aux trois fêtes de pèlerinage. C’est une fête très joyeuse et populaire où on chante les Psaumes 113-118, et l’Ecclésiaste et au cours de laquelle on construit des huttes précaires analogues à celles des vendangeurs qui passaient la nuit près des vignes. La référence à cette fête amène le lecteur à comparer les fragiles cabanes de la fête à l’édifice monumental qu’est le temple de Jérusalem dont Jésus va contester l’utilité (v. 45-48).

Mais, le fait est troublant que tout en multipliant les allusions à la fête de Soukôt, Marc situe les événements dans le cadre de l’autre fête de pèlerinage, celle du printemps, PesaH, la Pâque juive.

Le Verset 11 a de quoi surprendre et même décevoir le lecteur. Commencé par un triomphe, le récit semble se terminer par une simple et rapide visite du temple écourtée du fait de l’horaire tardif. Jésus et ses disciples font alors penser à un groupe de touristes en excursion quand le temple ressemble à un musée dont, à 17 h, les gardiens ferment une à une toutes les salles en prenant bien soin de n’enfermer aucun visiteur. Une deuxième lecture toutefois permet de faire le lien avec la suite du récit. De même qu’il va attentivement scruter les branches du figuier sur lequel il ne trouve aucun fruit, Jésus regarde tout dans le temple et s’en revient les mains vides. Le récit commencé par les mentions de Jérusalem et de Bethphagé, la maison des figues, se clôt par une nouvelle mention de Jérusalem d’où Jésus sort sans avoir trouvé de fruit au figuier du temple.

 

Proposition de prédication

Il y a bien des années, la télévision encore en noir et blanc proposait une série de science-fiction intitulée en anglais « twillight zone » ce qui fut traduit en français par la “la quatrième dimension”. Vous souvenez-vous, si vous les avez vus, des épisodes de la 4ème dimension ? Après la longueur, a largeur, la profondeur, la quatrième dimension, c’est celle du temps, le temps. Dans cette série qui a beaucoup marqué les imaginations, les héros se déplaçaient dans le temps comme vous et moi sur un trottoir ou une autoroute. Jésus avait-il le pouvoir de se mouvoir dans le temps ? Le texte de ce jour pourrait le laisser entendre.

Lire le texte des Rameaux, c’est entrer à la fois dans un lieu et dans un temps. C’est entrer avec Jésus dans Jérusalem. C’est entrer aussi dans cette semaine sainte qui court d’un dimanche à l’autre, de l’acclamation de Jésus, Fils de David à la proclamation de sa résurrection.

Mais je relèverai déjà comme une étrangeté. Ne faudrait-il pas célébrer les Rameaux après la résurrection, placer le triomphe après la victoire ? Pourquoi celui qui est acclamé aujourd’hui sera-t-il injurié, torturé, assassiné vendredi ? Et pourquoi est-ce le prophète monté sur un ânon et non le ressuscité qui est entré en triomphateur dans Jérusalem ? À moins que ce ne soit déjà le ressuscité qui, à l’avance, est acclamé aujourd’hui…

Toujours est-il que d’une certaine manière, cette fête des Rameaux vient trop tôt dans la saison. Elle est décalée. Elle nous induit même au soupçon et nous interroge. Avons-nous raison de nous réjouir aujourd’hui ? Ne faut-il pas attendre dimanche prochain ? Mais tout ce chapitre de l’évangile de Marc donne l’impression d’une temporalité bouleversée.

 

Ainsi, dans les quelques lignes qui suivent notre récit, on lit que Jésus, apercevant de loin un figuier qui avait des feuilles, alla voir s’il y trouverait quelque chose; mais, en y arrivant, il n’y trouva que des feuilles car ce n’était pas la saison des figues. En quelle saison Jésus se croit-il ? Nous sommes au printemps, peu avant la fête juive de la Pâque et il faut bien attendre la fin mai pour trouver des fruits sur les figuiers les plus précoces ! Qu’espérait Jésus ? Pensait-il avoir voyagé dans le temps en montant à Jérusalem ? Or cette histoire de figues n’est pas sans importance pour le récit de ce jour. Le premier verset de notre histoire mentionne village de Bethphagé. C’est la seule fois que ce village de la banlieue de Jérusalem est nommé dans le nouveau Testament. Or Bethphagé signifie en hébreu “maison des figues”. Celui qui venait de la maison des figues alla donc chercher à contre temps sur le figuier les fruits qu’il ne trouva pas. Cet épisode donne le ton de l’ensemble de notre chapitre.

 

Permettez-moi alors de reprendre trois étrangetés de notre récit en posant trois questions :

  • Comment Jésus savait-il où trouver un petit âne ?
  • Pour quelle fête Jésus est-il monté à Jérusalem ?
  • En quoi Jésus incarne-t-il une figure royale ?

 

Première question : comment Jésus savait-il où trouver un petit âne ?

Peut-être avez-vous déjà eu l’impression d’avoir déjà vécu ce qui vous arrive. Cette mystérieuse sensation dont étaient victimes bien des héros de la série mentionnée à l’instant passionne les chercheurs qui, pour l’expliquer, ont déjà proposé plus de quarante hypothèses dont aucune n’a emporté l’adhésion générale. Mais arrivant à Jérusalem, Jésus n’aurait-il pas ressenti cette impression que les anglo-saxons appellent en français dans le texte le « déjà vu » ? L’évangile de Marc ne mentionne qu’une seule montée de Jésus à Jérusalem. Or avant même d’être entré dans la ville, il sait où trouver un petit âne, il sait comment les personnes présentes vont réagir si on touche à l’animal et il sait ce qu’elles vont dire si on le détache. Il sait du coup ce qu’il faut alors leur répondre. C’est comme s’il avait déjà vécu cette scène. Alors Jésus est-il un voyageur de la quatrième dimension ? À moins que, plus simplement, Marc veuille nous le décrire comme le maître des événements. Quand on leur demande pourquoi ils emmènent l’animal, les disciples répondent que “son maître” en a besoin. On peut aussi traduire “son seigneur”. Jésus est seigneur. Il est, confesse Marc, le Seigneur, celui de cette histoire comme celui de l’Histoire avec une grand H. Mais le Seigneur de l’Histoire, n’est-il pas aussi le maître du temps ?

 

Autre question : pour quelle fête Jésus est-il monté à Jérusalem ?

Compte tenu de notre calendrier et du fait que s’ouvre aujourd’hui la semaine sainte, il semble évident que Jésus est venu à Jérusalem pour fêter la Pâque avec ses disciples. Mais deux éléments troublants peuvent nous interroger : les gens brandissent joyeusement des branches et citent à pleine voix le psaume 118 : “Hosanna, béni soit celui qui entre, le roi au nom du Seigneur ”.Or, ces deux éléments sont caractéristiques dans la tradition juive de la célébration d’un autre fête : celle de Soukôt, la fête des cabanes ou des tentes, une fête qui se célèbre non pas au printemps comme la Pâque mais en automne, au moment où on cueille et mange les figues… Du coup on peut s’interroger : à quelle date s’est produit cet accueil enthousiaste de Jésus à Jérusalem ? Il paraît fort vraisemblable – c’est ce que suggère le 4ème évangile – que Jésus comme tout juif de cette époque, s’est rendu à plusieurs reprises à Jérusalem. Il ne paraît pas impossible que la chronologie de l’évangile de Marc, reprise dans les deux autres évangiles synoptiques de Matthieu et de Luc, ait été complètement transformée si bien que toutes les montées de Jésus à Jérusalem ont été rassemblées en une seule. Du coup, il n’est pas impossible non plus que l’événement à l’origine du récit des Rameaux n’ait pas eu lieu une semaine avant Pâque mais plusieurs mois plus tôt, en automne, à l’occasion de la joyeuse fête des tentes. Marc aurait alors écrit le tout premier épisode de la série “la quatrième dimension”… Mais rien de cela n’est certain.

Rien n’est certain car une autre piste de lecture est possible qui n’exclut pas la précédente. Et si Jésus et ses disciples avaient délibérément décidé de transposer à Pâque la fête des cabanes ! Cela aurait du sens pour eux mais pour nous aussi. La fête de Pâque à l’époque de Jésus voit les foules converger vers le temple. C’est un monument magnifique reconstruit entièrement par le roi Hérode, une construction dont on peut encore voir certaines pierres colossales constituant ce qu’on parfois coutume d’appeler le mur des lamentations. Or ce temple magnifique, Jésus à la fin de notre récit ne fait que le regarder. Plus tard on l’accusera de vouloir le détruire. Pour lui, visiblement ce temple-là n’est pas si important. Il pourrait lui préférer la soukah, la cabane, la tente qui donne son nom à la joyeuse fête d’automne. Fêter à Pâque la fête des tentes, c’est préférer une cabane quand tout le monde se réunit dans le temple d’Hérode, c’est choisir l’abri d’un jour à l’édifice qui devrait défier les siècles, c’est enfin confesser quelque chose de l’être de Dieu, Dieu qu’on rencontre au désert plutôt que dans les édifices bâtis par les princes. Dieu de la cabane, plutôt que du temple.

 

Une dernière question pour aujourd’hui : en quoi Jésus incarne-t-il une figure royale ?

Jésus n’a rien d’un roi. Un prophète peut-être. Un roi pourquoi mais aussi comment ? Si Jésus est roi, c’est un roi tout différent. Un roi pauvre. Un roi monté sur un petit âne et non un cheval fougueux, un âne et non le char d’un général triomphant. Ce roi, le prophète Zacharie l’a vu venir. Il l’a décrit entrant dans Jérusalem : “voici ton roi qui vient, pauvre et monté sur un âne, un âne le petit d’une ânesse” (Zacharie 9,9). Jésus incarne ce roi annoncé par le prophète. Un roi décalé, comme est décalé le fait de chanter Hosanna et de brandir des feuillages à Pâque. Jésus est le maître du temps, le maître de l’Histoire. Il a choisi d’être le roi pauvre qui entre aujourd’hui dans Jérusalem comme s’il rentrait chez lui. Il est chez lui.

 

Dans la série télévisée intitulée la 4ème dimension, des hommes et des femmes se retrouvaient soudainement déplacés dans le temps, dans le passé ou le futur. Jésus n’est pas déplacé. Il fait bouger les personnes et les choses. Pour ses disciples, il est celui qui dirige toutes choses mais pourtant bientôt il paraitra livré et sans aucun pouvoir. Il sait ce qui advient, son arrestation, les tortures, la croix. Mais sur la croix, tous verront la couronne de ce roi. Un officier romain dira de lui qu’il est le Fils de Dieu.

Assurément

Amen 

[1] annonce la péricope du figuier qui suit