Textes : Genèse 31, v. 22 à 44 Psaume 65Ésaïe 55, v. 10 & 11 Romains 8, v. 18 à 23 Matthieu 13, v. 1 à 23Pasteur Jean-Jacques MullerTélécharger tout le document

 

Textes : Genèse 31, v. 22 à 44 Psaume 65Ésaïe 55, v. 10 & 11 Romains 8, v. 18 à 23 Matthieu 13, v. 1 à 23Pasteur Jean-Jacques MullerTélécharger tout le document

Notes bibliques

Pour relire avec profit un texte aussi connu et apparemment aussi simple que la parabole du semeur et dégager, si possible, des pistes nouvelles pour la prédication, il faut prendre un peu de temps pour l’exégèse, en étant attentif notamment à l’interprétation que Matthieu fait de cette parabole de Jésus. Notre étude se fait en 3 étapes.

1. Le « parler en paraboles » de Jésus dans les évangiles

Jésus a été un conteur d’histoires (D. Marguerat). Il a eu recours à des images et à des exemples, où s’entremêlent l’observation et l’imagination, le quotidien et l’exceptionnel, pour dire aux foules galiléennes la bonne nouvelle de l’irruption du Règne de Dieu et l’urgence d’un changement de comportement. Ce trésor est, sans doute seulement partiellement, conservé dans les évangiles synoptiques qui nous ont transmis 40 paraboles de Jésus et une trentaine de brèves similitudes. Si les paraboles, telles que nous les trouvons dans les évangiles, portent l’empreinte de leur transmission par les Églises primitives et du travail rédactionnel des évangélistes – elles ont été regroupées et embellies, interprétées dans un sens allégorique et moral -, elles n’en demeurent pas moins des témoignages privilégiés de la pratique de Jésus. Mais il nous faut sans doute renoncer à vouloir départager, comme J. Jeremias par exemple a tenté de le faire, ce qui relève de Jésus et ce qui relève de la tradition, de l’Église et des évangélistes et les lire dans le contexte de l’évangile dont elles font partie.1.1 Essai de définition : nature et fonction de la parabole Il se pose, à propos des paraboles de Jésus, un problème de définition. Qu’est-ce qu’une parabole ? est-elle une allégorie, une métaphore développée, un exemple servant de moyen de persuasion, un modèle à mettre en pratique, une Bildrede (un discours imagé) cachant une pensée ? Quelle est sa fonction ? Ces questions sont au cœur des débats actuels sur les paraboles évangéliques. Nous les évoquons brièvement.Le mot grec parabolè a plusieurs significations : action de s’écarter du droit chemin, choc d’une rencontre, projection des rayons du soleil, rapprochement et comparaison entre plusieurs choses… Dans la Rhétorique, Aristote en fait une figure du discours et de l’argumentation : la parabole (la comparaison) est, comme la fable, une histoire inventée à laquelle l’orateur, faute de preuve plus contraignante, a recours comme exemple et moyen de persuasion (Rhét. II,20). Dans la mesure où la parabole présuppose un rapport, une ressemblance entre l’histoire inventée et la réalité, elle est proche de la forme plus poétique qu’est la métaphore : « La similitude (eikôn), écrit Aristote en Rhét. III,4, est aussi une métaphore : de fait la différence est mince ». Mais c’est surtout dans la Poétique, où il la définit comme « l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger » (Poét. 21,57b6), qu’Aristote traite de la métaphore. Elle est une association inattendue (une collision) de mots, un mot étant substitué à un autre. Dans la mesure où elle est une métaphore originale (vive, dira Paul Ricoeur), elle suggère un excès de sens, un sens ouvert ; elle est une création poétique qui fait advenir un autre monde et non un simple exemple destiné à persuader. Dans la parabole, le procédé métaphorique serait étendu à un récit (P. Ricoeur). Parabole-exemple ou parabole-métaphore ? Exégètes et théologiens sont partagés. Il ne faut pas seulement retenir l’arrière-plan grec. Dans les Septante (LXX), la version grecque de la Bible juive, parabolè est principalement la traduction du mot hébreu mâshâl. Le mâshâl est une brève maxime facile à retenir, mais porteuse d’un sens plus profond, voire caché, concernant la vie de l’homme ou l’œuvre de Dieu. Ce sens doit être cherché. Mâshâl peut être synonyme d’énigme comme en Ps 49,5 : « L’oreille attentive au proverbe (mâshâl en hébreu, parabolè dans les LXX), sur ma cithare, je résous l’énigme. »Dans le Nouveau Testament, l’emploi de parabolè se limite aux évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) et à l’Épître aux Hébreux. Dans celle-ci (9,9 ; 11,19), parabolè définit une réalité terrestre comme figure ou anticipation d’une réalité céleste et future ; il y a à la fois un lien et une différence entre les deux. Le mot est le plus fréquemment employé dans les évangiles synoptiques (17 fois chez Mt, 13 fois chez Mc et 18 fois chez Lc) où il désigne un « discours de caractère comparatif, donnant une expression complète et imagée à une pensée, mais qui à cause de son côté obscur et mystérieux appelle, selon l’opinion des évangélistes, une interprétation. » On reconnaît, dans cette définition du dictionnaire Bauer-Aland, l’approche libérale et universaliste des paraboles d’un A. Jülicher.1.2 Bref aperçu de la recherche récente sur les parabolesLes trois grandes études classiques sur les paraboles sont celles d’A. Jülicher (Die Gleichnisreden Jesu, 1910), de C.H Dodd (Les paraboles du royaume de Dieu, 1977, original anglais 1935) et de J. Jeremias (Les paraboles de Jésus, 1962, original allemand 1947). Elles soulignent toutes les trois les glissements, les rétrécissements qui ont marqué l’histoire de l’interprétation des paraboles de Jésus aux évangiles et à l’Église : d’une éthique universelle (Jülicher) ou du caractère eschatologique des paraboles (Dodd, Jeremias), on est passé à des allégories qui reflètent les préoccupations morales et doctrinales des Églises.Depuis les années 70, les études sur les paraboles sont surtout influencées par la linguistique : approches sémiotiques, narratives, rhétoriques, poétiques … Le caractère historique et social de production et de transmission des paraboles s’efface : l’intérêt se concentre sur le texte et, secondairement, sur le lecteur. Le temps, l’espace et la compétence me manquent pour faire la synthèse des développements récents de la recherche sur les paraboles. Je renvoie celles et ceux qui sont intéressés à quelques études :

  1. Louis Marin, « Essai d’analyse structurale d’un récit-parabole : Matthieu 13, 1-23 », Études théologiques et religieuses 46, 1971, p. 35-74.
  2. « Paul Ricoeur et l’herméneutique biblique », un texte de Paul Ricoeur paru en anglais en 1975 dans la revue Semera. Traduit et publié en français par F.-X. Amherdt, dans « Paul Ricoeur. L’herméneutique biblique » ; Cerf, 2000.
  3. Paul Ricoeur, « La Bible et l’imagination », dans Revue d’Histoire et de Philosoplie religieuse 62, 1982, p. 339-360.
  4. Daniel Marguerat, Parabole, Cahiers-Evangile 75, 1991.
  5. Les articles de V. Fusco, D. Marguerat, J. Zumstein, B. Gélas, J. Delorme, P. Beauchamp et F. Marty réunis dans : Jean Delorme (éditeur) : Les paraboles évangéliques. Perspectives nouvelles, Cerf (Lectio Divina 135), 1989.

2. Les paraboles de Jésus regroupées en Matthieu 13,1 à 53Poursuivant un processus déjà perceptible chez Marc, Matthieu a rassemblé les paraboles de Jésus en 3 endroits de son évangile : 13, 1-53 ; 21,28-22,14 et 24,42-25.30. Seules les deux paraboles du débiteur impitoyable (18,23-35) et des ouvriers de la onzième heure (20,1-16) se présentent isolées. Deux questions se posent au sujet de ce procédé qui est intentionnel et réfléchi. Pourquoi, d’une part, Matthieu a-t-il inséré à telle ou telle étape de sa narration un ensemble de paraboles ? Les paraboles, selon U. Luz, sont à lire comme des « commentaires de l’histoire de Jésus ». De l’autre, si Matthieu ne s’est pas contenté de juxtaposer des paraboles mais a composé des ensembles cohérents, comment ces ensembles sont-ils organisés ? Quelle est leur unité thématique ? « C’est aussi une tapisserie soigneusement ourdie que le bien connu chapitre 13 de Matthieu… Les paraboles, qui ont l’air simple, quasi enfantines, si on les prend isolément, trouvent par leur position dans un discours bâti en drame littéraire une ruse nouvelle », écrit J. Cazeaux.Mt 13,–1-53 se présente comme une succession de paraboles insérées dans une trame narrative. Une première lecture fait apparaître les unités suivantes :1-3a : introduction narrative à l’ensemble des paraboles3b-9 : parabole du semeur10-17 : Jésus répond à la question des disciples : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »18-23 : Jésus explique la parabole du semeur aux disciples24-30 : parabole du bon grain et de l’ivraie31-32 : parabole du grain de moutarde33 : parabole du levain34-35 : commentaire de l’évangéliste sur les paraboles de Jésus36-43 : Jésus explique la parabole du bon grain et de l’ivraie aux disciples44 : parabole du trésor caché dans un champ45-46 : parabole de la perle de grand prix47-50 : parabole du filet51-52 : dialogue conclusif entre Jésus et les disciples53 : conclusion narrative de l’ensemble des parabolesDes indices formels et thématiques suggèrent une structuration de ces unités. U. Luz en a relevé quelques-uns uns :Les mots clés : parabole, royaume, écouter, parler, comprendre.Les inclusions qui délimitent les sections : l’ensemble des paraboles (3-53), les paraboles adressées à la foule à l’extérieur de la maison (1-36)…Les répétitions, les correspondances, les parallélismes et les antithèses : « Le royaume des cieux est comparable à » (31.33.44.45.46) ; « Et ils les jetteront dans la fournaise de feu, là seront les pleurs et les grincements de dents » (42.50) ; « Entende qui a des oreilles » (9.43) ; les citations scripturaires avec des formules d’accomplissement (14.35) ; « les disciples s’approchant … lui répondant dit » (10.36) ; la mise en parallèle de la parabole du semeur et de celle du bon grain et de l’ivraie, dont chacune est dotée d’une explication ; l’antithèse : foules-disciples, vous-eux (11.36.51)…A partir de ces indices, les exégètes font cependant des lectures différentes de Mt 13,1-53. A titre d’exemples, voici trois lectures qui nous paraissent typiques :1) Estimant que la visée de Mt 13 est plus morale qu’ecclésiale, J. Dupont a distingué deux développements parallèles, 1-23 et 24-52. Chacun de ces développements comporte une parabole adressée à la foule et son explication à l’intention des disciples, avec, entre les deux, des remarques sur le procédé parabolique utilisé par Jésus. L’opposition entre les disciples et les foules, qui est soulignée à plusieurs reprises et qui renvoie chez Matthieu probablement à l’opposition Église-Synagogue, n’est, au regard du jugement dernier, qu’une opposition relative et provisoire ; ce qui est décisif, c’est le comportement des humains, indépendamment de leur appartenance ou identité. « Le critère qui discerne les hommes et d’après lequel ils seront jugés, c’est la pratique de la justice plutôt que l’appartenance à telle ou telle communauté religieuse », écrit J. Dupont. C’est là le thème d’abord esquissé dans le premier développement puis affirmé explicitement dans le second, dans la parabole du bon grain et de l’ivraie (où le champ est le monde) et les autres paraboles qui sont accolées à son explication.2) Pour U. Luz, l’interruption narrative en 34-37a découpe l’ensemble en deux volets, 1-36a et 36b-52, dont chacun comporte quatre paraboles (U. Luz considère en effet le v.52 comme une huitième parabole). « Tout le discours, écrit-il, montre comment Jésus s’est détourné de la foule pour se tourner vers les disciples ». Ce double mouvement est annoncé dans la première partie et confirmé dans la seconde. Jésus explique d’abord à ses disciples que si les foules ne comprennent pas les paraboles, leur incompréhension correspond à un accomplissement de la parole prophétique (Ésaïe 6,9-10). A la fin, les disciples sont présentés comme ceux qui, à la différence de la foule, comprennent et portent du fruit. « Ici, le peuple qui ne comprend pas ; là, les disciples qui comprennent » ; telle est selon U. Luz la séparation que traduit Mt 13.3) Pour J. Cazeaux, comme pour J. Dupont, l’ensemble se divise en deux développements parallèles, 1-23 et 24-52, mais les deux citations scripturaires contrastées (Es 6,9-10 et Ps 78,2) placent le premier sous le signe de l’empêchement et de l’enfouissement de la Parole et le second, au contraire, sous celui de son dévoilement et de son accomplissement. « La parabole y est donnée, écrit J. Cazeaux à propos du second développement, comme publicité, expansion, lumière de la Création, alors qu’elle était utilisée précédemment à l’instar d’un aveuglement et d’un enfouissement ». Mais la relation entre les deux développements ne se réduit pas à une simple opposition : le premier demeure en attente d’un accomplissement qu’anticipe la béatitude adressée aux disciples (11.16-17) : « La parabole initiale n’est donc pas épuisée, elle reste, en arrière, souveraine, inusée encore, capable d’autres fécondités ». Pour J. Cazeaux, les deux versants de Mt 13 se rapportent l’un à l’autre comme la Passion et la Résurrection (43), comme des moments du drame qui conduit de la Création à la Rédemption.L’ensemble des paraboles, en Mt 13,1-53 peut être lu dans une perspective éthique et eschatologique (J. Dupont), dans la perspective de l’histoire du salut qui implique une rupture entre la Synagogue et l’Église (U. Luz) ou encore comme symbole du drame cosmique à travers lequel s’accomplit le dessein du Dieu créateur et sauveur (J. Cazeaux). L’enchâssement de cet ensemble de paraboles dans la narration évangélique permet de mieux cerner le sens et la fonction que lui donne Matthieu : les paraboles sont des histoires dans une histoire. A l’instar d’E. Käsemann (Le problème du Jésus historique), de nombreux exégètes considèrent Mt 13 comme un tournant dans le parcours de Jésus, tel que Matthieu le déploie : face au refus d’Israël de recevoir son message, Jésus formule, sous une forme voilée, un jugement à son endroit et se tourne vers ses disciples qui à partir de là deviennent ceux auxquels « il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux » (13,11), alors que l’incompréhension des disciples domine tout l’évangile de Marc. Mais cette manière de voir ne tient sans doute pas assez compte de l’écart existant entre la parabole et le récit qui l’encadre ; en tant que parole prophétique prononcée par Jésus, la parabole a, comme la citation, un statut à part ; sa fonction est essentiellement chez Matthieu de dévoiler le sens de la personne et de la destinée de Jésus lui-même, selon la belle formule de J.D. Crossan (citée par D. Marguerat) : « Jésus proclamait Dieu en paraboles, mais l’Eglise primitive a proclamé Jésus comme la Parabole de Dieu ». C’est selon cette perspective christologique, qui n’exclut pas la dimension éthique, ecclésiologique et cosmique qu’il faut sans doute lire Mt 13.

3. Analyse de Mt 13,1 à 23

Une brève notation narrative (13,1-3a) introduit l’ensemble des paraboles (13,3b-52) ; elle forme une première inclusion avec 13,36 qui marque un changement de lieu et d’auditoire et une inclusion plus générale avec 13,53 qui conclut l’ensemble des paraboles.La parabole dite du Semeur (si U. Luz propose comme titre « la parabole des quatre terrains », X. Léon Dufour estime que le titre habituel « parabole du semeur » qui met l’accent sur le geste initiateur du semeur est encore le meilleur) comprend trois parties dont deux qui se correspondent : la parabole elle-même (3b-9) et son explication par Jésus aux disciples (18-23). Dans la partie centrale, la plus longue (10-17), Jésus répond en deux temps (11-12 et 13-17) à la question de ses disciples : « Pourquoi leur (aux foules) parles-tu en paraboles ? »3.1 L’introduction (1-3a) Les indications « en ce jour-là » et « Jésus sortit de la maison » relient la séquence des paraboles à ce qui précède, en particulier à la controverse avec les pharisiens et les scribes et à la parabole de Jésus sur sa famille. Mais le verbe « sortir » souligne aussi un changement de lieu, presque une rupture avec ce qui précède. Le « bord de la mer » rappelle la vocation des disciples, ici la venue de Jésus au bord de la mer suscite le rassemblement de « grandes foules » (chez Mt, « foule » est tantôt au pluriel, tantôt au singulier). Jésus s’adressait déjà aux foules auparavant (12,46), mais l’évangéliste veut souligner que les paraboles sont avant tout destinées aux foules. Le verbe « s’asseoir » (Jésus s’assied alors que la foule se tient debout) correspond à l’enseignement (5,1), mais Matthieu, à la différence de Marc, n’emploie pas « enseigner », mais « parler », « raconter » (lalein) (13,3.10.33) à propos des paraboles. Le fait de monter dans une barque suggère une distance entre Jésus et les foules.3.2 La parabole du semeur (3b-9)La parabole est rythmée par le refrain « or d’autres sont tombés dans », aux versets 5,7 et 8, qui fait écho à « certains sont tombés le long du chemin » (v.4). Après les semailles au v.3b, le semeur disparaît ; ce sont les grains qui deviennent sujet ; c’est de leur devenir qu’il est question, selon les terrains où ils sont tombés. Le verbe « sortir » est souligné en 3b ; il fait penser au sortir de Jésus en 13,1. La parabole ne décrit pas un processus naturel et intemporel qui se reproduit, mais un acte unique du semeur : tous les verbes sont à l’aoriste, qui est le temps du récit. Le mot « semeur » traduit un participe : le semant, celui qui sème. L’accent est mis sur l’action plus que sur la qualité du semeur. L’emploi métaphorique du verbe « semer » est connu aussi bien du judaïsme que de l’Antiquité classique. « Voici, je (Dieu) sème ma loi au-dedans de vous, pour qu’elle vous réjouisse » IV Esdras 9,31, cité par P. Bonnard. Les versets 4 à 7 mettent en scène trois types de « mauvais terrains (le long du chemin, les endroits pierreux et les épines) et les obstacles qui ont empêché les graines de parvenir à maturité et de produire du fruit (les oiseaux, le soleil, le manque de racines profondes, l’absence d’espace). La parabole se limite à quelques traits qui vont être repris dans l’explication ; on dirait qu’elle est racontée en vue de l’explication. Le v.8 s’inscrit dans le mouvement tout en provoquant un effet inattendu. Le terrain défini comme « la bonne (belle) terre », non seulement est fertile par lui-même (à la différence du chemin ou des endroits pierreux), mais ne comporte pas non plus d’obstacles (épis, soleil, oiseaux…) qui entravent la croissance normale. Où réside la pointe de la parabole ? Dans le contraste entre les multiples échecs et la moisson qui, malgré tout, est abondante, comme le pense J. Jeremias, « Malgré échecs et résistances, Dieu, en partant de ces débuts sans espoir, fera apparaître la fin magnifique qu’il a promise » ?Notant qu’il ne s’agit pas d’une parabole du Royaume et que l’accent est mis davantage sur les grains et les terrains que sur le semeur, U. Luz estime que la parabole du semeur a avant tout une visée parénétique. Elle veut, comme le suggère l’interpellation du v.9, amener les auditeurs à se demander à quel terrain ils correspondent. Il n’y a pas d’écart entre la parabole et l’explication. Pour X. Léon-Dufour, c’est son insertion dans le parcours de Jésus qui donne son sens à la parabole du semeur : située à un moment où les oppositions se durcissent, où l’échec se profile, la parabole rappelle que les obstacles font partie de la mission de Jésus, mais qu’ils ne peuvent pas la remettre en question. Elle est un encouragement, adressé à ceux qui sont désorientés ou qui s’interrogent, à persévérer dans leur attachement à Jésus et à son message, à l’image de la bonne terre qui porte du fruit.3.3 La réponse de Jésus à la question de ses disciples sur le pourquoi des paraboles (10-17)« Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » : la question des disciples paraît surprenante alors que Jésus n’a raconté qu’une seule parabole. La dureté de la réponse de Jésus paraît également choquante, les foules n’ayant apparemment rien fait pour mériter un tel jugement. Le dialogue entre Jésus et les disciples se comprend mieux si on a à l’esprit le rude conflit qui, dans las années 80, opposait l’Église matthéenne et la Synagogue. Pourtant certains commentateurs, nous semble-t-il, passent de ce constat trop rapidement à l’équivalence : les foules = Israël, les disciples = l’Église. Jésus oppose moins deux institutions religieuses qu’il ne place chaque auditeur (ou lecteur) devant une exigence, celle de chercher à comprendre sa parole en la faisant fructifier dans sa vie. Être disciple, c’est moins une appartenance que des choix éthiques (cf. J. Dupont). En fait, c’est seulement à partir du v.13 que Jésus répond à la question des disciples. En 11-12, deux sentences de Jésus, dont la seconde a une forme proverbiale (cf. 25.29), opposent les disciples (vous) aux foules (ceux-là). Une chose a été donnée (par Dieu) aux disciples et non aux foules, à savoir « de connaître les mystères du Royaume des cieux » (ce qui leur permet de comprendre le sens des paraboles ou, mieux encore, de ne pas avoir besoin de paraboles pour comprendre, car les paraboles sont synonymes d’incompréhension). La sentence de Jésus fait penser aux apocalypses juives qui dévoilent les secrets du monde céleste ou futur ; l’accent ici est mis à la fois sur le don (cf. 11,25-27) et le fait qu’il s’agit plus d’une connaissance pratique que d’une connaissance ésotérique : connaître les mystères du Royaume, c’est comprendre que le message de Jésus appelle ses disciples à une vie qui porte des fruits de justice et de bonté. Les v. 13 à 15 avec la citation d’Ésaïe 6,9-10 selon les LXX associent le parler en paraboles de Jésus aux foules à l’endurcissement de ces dernières : les paraboles sont une réponse à l’endurcissement (Mt a « parce que » au v.13) et les paraboles à leur tour suscitent ou révèlent l’incompréhension. Es 6,9-10 est une citation classique dans le NT pour expliquer l’incompréhension et le refus face à l’Évangile (Jn 12,39-40), Ac 28,25-27). Nous avons dans ces versets une concentration de verbes de perception et de connaissance (entendre, regarder, connaître, comprendre) qui reviennent dans l’explication de la parabole du semeur (18-23) et dans la béatitude des versets 16 et 17 : les disciples (leurs yeux et leurs oreilles) sont déclarés heureux parce qu’ils accèdent, au travers du message de Jésus, à ce à quoi les prophètes et les justes (Luc a « rois ») ont aspiré, sans pouvoir l’atteindre. Nous avons ici le thème de l’accomplissement cher à Matthieu (voir 13,35) ; c’est maintenant pour les disciples « le temps du bonheur eschatologique attendu par le peuple de l’ancienne alliance » (P. Bonnard).3.4 L’explication de la parabole du semeur aux disciples (18-23)Après les explications générales des v.10 à 17, Jésus revient à la parabole du semeur pour l’expliquer (et l’appliquer) à ses disciples : « vous donc, écoutez la parabole du semeur ». La parabole est expliquée terme par terme, avec comme refrain : « celui qui a été ensemencé dans » (19.20.22.23).Les terrains et les obstacles qui entravent la croissance des grains deviennent des allégories de qualités et d’attitudes morales. Les grains représentent implicitement (Matthieu comme Marc reste flou quant à l’identification de la semence) la parole du Royaume (v.19) ou simplement la Parole (terme technique dans les Actes pour la prédication apostolique). Le « Malin » n’intervient et n’enlève la parole que dans la mesure où l’auditeur ne comprend pas (v.19). La fécondité de la Parole dépend essentiellement de l’écoute et de la compréhension des auditeurs, il s’agit d’une compréhension qui doit s’inscrire dans la durée. L’explication reprend la manière un peu stéréotypée et schématique (sans nuance) les attitudes qui entravent l’écoute et la compréhension, qui étouffent la vie de la parole : l’inconstance surtout dans l’épreuve (l’homme de l’instant, v.21), les soucis du monde, la séduction des richesses. Écouter et comprendre la Parole est synonyme de porter du fruit. Ce qui importe, ce n’est pas la quantité, mais le fait de porter du fruit.Compléments bibliographiques– Xavier Léon-Dufour, « La parabole du semeur », dans Idem, Études d’Évangile, Seuil,1965, p.255-301.- Jacques Dupont, « Le point de vue de Matthieu dans le chapitre des paraboles », dans M. Didier (éditeur), L’Évangile selon Matthieu. Rédaction et théologie, Duculot,1972, p.221-259.- Jacques Cazeaux, « La parabole attire la parabole ou le problème des séquences de paraboles (Philon et Matthieu ch. 13) », dans l’ouvrage édité par J. Delorme (cité plus haut). – Pierre Bonnard, L’Évangile selon Saint Matthieu, Delachaux-Niestlé, 1970.- Ulrich Luz, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 8-17), Benzinger/Neukirchener, 1999.

Prédication

Par sa simplicité et la force des images qu’elle déroule devant nous, la parabole du semeur parle d’elle-même. Le semeur est sorti pour semer. Mais au fur et à mesure que Jésus raconte ce que deviennent les grains qu’il a semés, nous avons la gorge de plus en plus nouée par l’inquiétude ; nous imaginons déjà la déception voire le désespoir du semeur devant un champ désolé. Mais tout à coup l’histoire prend une direction inattendue : il reste malgré tout une parcelle de bonne terre, des grains qui lèvent et portent du fruit, au-delà même de ce qu’a pu escompter le semeur.Mais Jésus a-t-il seulement voulu parler, à la foule qui se tenait sur le rivage du lac de Galilée, du travail rudimentaire et aléatoire d’un paysan palestinien, du combat sans fin qu’il mène avec une terre ingrate, de ses échecs dus à une technique restée trop archaïque et des succès qui, malgré tout, couronnent parfois sa peine et comblent ses espoirs, au-delà de toute attente ? Il est évident que Jésus n’a pas voulu parler de la vie des paysans de son temps, ni donner une leçon sur les sols ou les techniques agricoles, même s’il ne faut pas mésestimer ce que son histoire doit à l’observation, ce qu’elle nous dit du monde rural qui était le sien. La parabole n’a pas seulement un sens spirituel, elle témoigne aussi de l’intérêt de Jésus pour la vie concrète, pour le travail que font les hommes pour se nourrir. Pourtant le mot « parabole » qui définit le petit récit de Jésus doit nous alerter : Jésus raconte une chose pour en dire une autre. « Parabole » signifie « comparaison ». Mais qu’a bien voulu dire Jésus par la parabole du semeur ? Si, comme la foule à laquelle s’est adressé Jésus, nous n’avions entendu que l’histoire du semeur, nous serions bien en peine de deviner le sens caché de cette histoire. La formule, qui introduit certaines paraboles « Le Royaume des cieux est comparable à » et qui suggère comment il faut les comprendre, manque ici. Jésus a beau nous interpeller « Entende qui a des oreilles », son interpellation dit bien qu’il y a un sens à chercher, quelque chose à comprendre, mais elle nous laisse démunis face à ce que nous percevons comme une énigme, comme un mystère.Mais en fait, en tant qu’auditeurs ou lecteurs de l’évangile, nous sommes moins démunis que la foule qui se tenait sur le rivage du lac pour comprendre la parabole du semeur. A l’instar des disciples, nous avons reçu, à la fois de Jésus et de l’évangéliste, des clés qui nous permettent d’accéder à la compréhension de la parabole de Jésus . Nous avons au moins trois clés dans nos mains.La première, c’est l’explication de la parabole du semeur que Jésus a donnée à ses disciples. Explication que Matthieu a reçue de Marc et de la tradition de l’Église primitive.La seconde, c’est l’ensemble des sept paraboles que Matthieu a regroupées au chapitre 13 de son évangile. Elles s’éclairent mutuellement et la parabole du semeur prend son sens du fait de son insertion dans cet ensemble soigneusement composé par l’évangéliste (il aurait fallu le lire en entier pour se rendre compte que la parabole du semeur n’est qu’une perle parmi d’autres et qu’elle forme un collier avec d’autres paraboles).La troisième clé, la plus importante sans doute, consiste à faire le lien entre la petite histoire du semeur que raconte Jésus et la grande histoire de l’évangile qui est l’histoire même de Jésus : n’y aurait-il pas comme une ressemblance entre ces deux histoires ? Pendant sa vie, Jésus a raconté des paraboles sur Dieu. Par la suite, les évangélistes et l’Église ont raconté l’histoire de Jésus, comme Parabole de Dieu. Au fur et à mesure que nous recourons à ces trois clés, que nous propose l’évangéliste Matthieu, une compréhension plus vaste de la parabole du semeur s’ouvre à nous. La parabole n’a pas qu’un seul sens qu’on pourrait fixer une fois pour toutes dans une explication, mais elle est riche de sens multiples que l’auditeur ou le lecteur perçoit au fur et à mesure qu’il avance dans la compréhension de Jésus et de son message sur le Royaume de Dieu. La parabole est une invitation à se mettre en route. « Vous donc, écoutez la parabole du semeur » : en expliquant la parabole aux disciples, Jésus l’applique aussi à eux, ils sont directement concernés par l’histoire du semeur. Ils ont entendu la parole du Royaume, mais font-ils partie de ceux qui entendent et ne comprennent pas ou, au contraire, de ceux qui entendent et comprennent ? Jésus veut les amener à s’interroger, il les invite à s’identifier à plusieurs personnages. D’abord à celui qui n’a pas laissé la Parole pénétrer en lui, qui n’a même pas cherché à la comprendre. Chez celui-là, le Malin a fait le reste : la Parole s’est envolée, comme des grains emportés par les oiseaux. Ensuite, Jésus fait défiler deux personnages auxquels les disciples peuvent plus facilement s’identifier : d’abord l’homme de l’instant qui se laisse émouvoir, qui s’enthousiasme volontiers, mais qui ensuite ne réfléchit pas à la Parole qu’il a entendue, puis l’homme qui se laisse accaparer par les soucis de toutes sortes et par les affaires du monde ; il ne laisse pas à la Parole qu’il a entendue l’espace dont elle a besoin pour se développer, pour grandir. Les disciples doivent se reconnaître plus ou moins dans ces personnages, mais Jésus les invite à aller plus loin dans la compréhension de la Parole du Royaume, à la fois en faisant un effort de persévérance et en luttant contre ce qui les en détourne. Ce n’est qu’à cette condition que la Parole pourra porter du fruit. La compréhension de la Parole n’est pas un but en soi, elle doit déboucher sur des comportements et des actes qui témoignent de la venue du Royaume des cieux dans le monde, monde qui est appelé à devenir une bonne terre fertile en fruits de justice et de bonté.Les paraboles regroupées au chapitre 13 de l’évangile de Matthieu sont organisées d’une part autour de l’opposition entre la foule et les disciples, entre ceux qui ne comprennent pas et ceux qui comprennent, et de l’autre autour de la mise en parallèle de la parabole du semeur et de la parabole du bon grain et de l’ivraie, dont chacune est dotée d’une explication. La parabole du bon grain et de l’ivraie commence là où s’arrête celle du semeur : c’est dans la bonne terre qu’est semé le bon grain, mais également l’ivraie. Et cette bonne terre, c’est le monde. Et le semeur, c’est le Fils de l’Homme, c’est à dire Jésus, le Messie. Il faut dons inscrire la parabole du semeur, qui oppose la bonne terre aux autres terrains et qui insiste sur le rôle des disciples pour la diffusion et la fructification de la Parole, dans une perspective plus large, celle de la parabole du bon grain et de l’ivraie qui met en scène le devenir du monde comme bonne terre, comme création de Dieu, gardée par lui jusqu’au temps de la moisson. C’est dans ce champ que le Messie a semé une Parole bonne, une Parole de paix qui fait vivre les hommes. C’est dans ce champ aussi que le mal et le bien s’entremêlent et que la vie et la mort s’affrontent. Mais cela ne saurait remettre en question le dessein de Dieu qui est de faire advenir son Royaume et de faire resplendir sa justice. La parabole du semeur et les exhortations de Jésus à ses disciples doivent être entendues dans cette perspective du dessein salvateur de Dieu pour le monde, pour la terre qu’il a créée et bénie.Plus que la parabole du semeur, la parabole du bon grain et de l’ivraie, qui lui est complémentaire, souligne l’identité entre le semeur et Jésus. Jésus ne raconte pas seulement la parabole, il est aussi celui dont parle la parabole. Et à ce titre, il y a une similitude entre la parabole du semeur et l’évangile tout entier qui lui aussi parle de Jésus. La parabole du semeur comprise comme histoire de Jésus présente cette histoire comme tissée d’incompréhension et d’échecs. Les disciples et à plus forte raison la foule peuvent s’interroger sur la nature et l’authenticité de la mission de Jésus. « Qui dites-vous que je suis ? » : cette question est aussi posée par la parabole du semeur. Comme l’évangile en son entier, la parabole est une invitation à connaître et à comprendre Jésus, à comprendre son histoire, qui est avant tout celle de sa Passion, comme une histoire par laquelle Dieu fait advenir son Royaume et sa justice, comme une histoire dans laquelle s’accomplissent les promesses des prophètes. Jésus, le Fils de l’Homme, a semé au cœur de notre monde l’espérance de la Résurrection et de la Rédemption.Chants Psaume 65 (psaume du dimanche): Vers toi, Seigneur AEC 605, Alléluia 36-32 : Sur les chemins du monde AEC 775, Alléluia 55-08 : Écoutez, les amis – Le semeurAEC 466, NCTC 189, Alléluia 33-18 : Splendeur et gloire sur la terre Alléluia 46-03 Sauveur du monde, ô Jésus-Christ