Télécharger le document au complet

 

Notes bibliques

 

Dans les Actes des Apôtres, l’intention de l’auteur n’est pas d’abord de nous montrer la naissance et la croissance de l’Église. L’Église n’est pas, chez lui, une fin en soi, mais un moyen. Ce qui constitue une fin, c’est la proclamation de l’Évangile. Constamment est rappelée la priorité de la Parole de Dieu : 5,42 ; 6,7 ; 12,24 ; 19,20.Les apôtres et autres prédicateurs ne sont pas des témoins de l’utilité ou de l’intérêt de la vie fraternelle et communautaire, mais de la résurrection du Christ (1,8.22 ; 2,32 ; 3,15 ; 5,32 ; 8,25 ; 10,39 etc.).Répondre à leur témoignage, c’est « accueillir la Parole » (2,41 ; 7,38 ; 8,14 ; 11,1 ; 17,11).

Bien sûr, ceux qui accueillent cette Parole se regroupent en communautés, en églises, pour la partager, mais ces communautés n’ont de sens qu’en tant qu’elles rendent témoignage à la Parole de Dieu, nous dirions aujourd’hui qu’en tant qu’elles sont « missionnaires »Plutôt que « naissance et croissance de l’Église », le sujet qui nous retient devrait donc être intitulé « naissance et croissance de la Parole ». Dans la mesure toutefois où cette progression de la Parole s’accompagne inévitablement d’une extension et d’une progression des communautés chrétiennes, on peut parler d’une « naissance et croissance de l’Église ».

On voit bien cela dans la phrase programmatique des Actes, celle qui en définit le plan : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (1,8).

Il s’agit bien d’abord d’être témoins ; mais l’avoir été, l’être encore, c’est laisser derrière soi des communautés, des Églises ou leur appartenir.On est sensible à l’importance des discours (Cf. 2, 3(6-26), 4(8-12), 5(29-32), 7(2-53), 10(34-43), 11(4-17), 13(16-41), 14(15-17), 15(7-11), 15(13-21) etc.

  • Des caractéristiques communes à tous ces discours ? Il y a une diversité d’auditoires (voire 9,15) : Juifs de tous pays, païens, gouverneurs et rois ; par conséquent chacun des discours est adapté à l’auditoire considéré. Mais la structure fondamentale est la même et constitue une sorte de canevas catéchétique. En voici les bases, que l’on peut retrouver dans n’importe quel discours :Apostrophe : (2,14) ; (3,12) ; (4,9) etc.Mise en situation : (2,15) ; (3,12) ; (4,9) etc.Témoignage appuyé normalement sur l’Écriture (2,16-24 ; 3,13-15 ; 4,10 etc.).
  • Face aux païens, la critique est d’ordre rationnel (17,24-25), le débat prend appui sur la tradition philosophique et religieuse grecque (17,28-29).
  •  Débat scripturaire : (2,25-36) ; (3,18.21-25) ; (4,11) etc.Le fruit de la Résurrection : Cf. 2,32 ; 3,16-20 ; 4,10 etc. Exhortation : Cf. 2,38 ; 3,19-20 ; 4,12 etc. L’intérêt de ce canevas est multiple : Il manifeste aux yeux de Luc l’universalité de cette prédication. L’évangéliste l’avait déjà souligné en 1,7 : il s’agit de rejoindre « les extrémités de la terre ». Dans l’évangile de Luc, il fallait « monter à Jérusalem » (9,51) ; dans les Actes, il s’agit maintenant d’en partir. 

 

 

Prédication

 

A quelque chose, malheur est bon, pourrait-on dire. C’est, en effet, à la faveur de la première persécution qui éclata contre l’Église de Jérusalem, persécution venue des milieux sacerdotaux juifs, que tous, à l’exception des apôtres, vont se disperser. Et c’est ainsi qu’ils allèrent de lieu en lieu, annonçant la bonne nouvelle (Ac 8/4), et que Philippe va se retrouver à prêcher l’évangile de Jésus-Christ, en Samarie. Qui est Philippe ? Il est l’un des sept diacres choisis pour s’occuper des problèmes des aumônes et de l’aide aux pauvres, dans l’Église de Jérusalem.

Comme cinq de ses compagnons (Etienne, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas), il était un juif de langue grecque (un Helléniste). Le septième, Nicolas, était un prosélyte, c’est-à-dire un ancien païen devenu juif (cf. Ac 6/5). Philippe en Samarie, c’est donc un Juif chez les Samaritains. On se souvient que les évangiles se réfèrent souvent à l’hostilité entre Juifs et Samaritains (Lc 9/52, Jn 4/9 ; 8/48 ; voire aussi 2 Rois 17/24ss).

Jésus lui-même semble éviter la Samarie (Mt 19/1, Lc 17/11) comme le faisaient habituellement ses contemporains juifs, pour qui c’est une région peu sûre (Mt 10). Il ira jusqu’à ordonner à ses disciples de ne pas entrer dans les villes samaritaines (Mt 10/5).

Ici, on assiste à un renversement radical de situation. C’est en Samarie qu’un Juif va aller trouver refuge. Alors qu’à Jérusalem la prédication de l’Évangile provoque exaspération, grincements de dents, cris de colère (Ac 7/54-58), et attire de violentes persécutions (Ac 8/1), au milieu des Samaritains, elle reçoit un accueil favorable (Ac 8/6) et suscite « une grande joie » (Ac 8/8). Il est vrai que du vivant de Jésus, un autre type de relation se dessinait déjà. Selon Jean 4, certains Samaritains se rallient à Jésus, à contre-pied des positions judéennes ; Jésus, quant à lui, cite des Samaritains en exemples (Lc 10/30ss, 17/16ss).

 

La mission de Philippe en Samarie et l’accueil que sa prédication y reçoit, vont contribuer à combler l’abîme entre judéo-chrétiens et Samaritains. L’Église va alors leur être ouverte sans discrimination (1/8, 8/5) ; et ils auront part à l’Esprit Saint, au même titre que les croyants Juifs (8/17). Cependant, l’intention du livre des Actes n’est pas de nous montrer d’abord la naissance et la croissance de l’Église. L’Église n’est pas ici une fin en soi, mais un moyen. Ce qui constitue l’objectif premier, dans notre récit comme ailleurs dans les Actes, c’est la proclamation de l’Évangile. Répondre à cette proclamation, c’est « accueillir la Parole » (2,41 ; 7,38 ; 8,14 ; 11,1 ; 17,11).

Bien sûr, ceux qui accueillent cette Parole se regroupent en communautés, en églises, pour la partager, mais ces communautés n’ont de sens qu’en tant qu’elles rendent témoignage à la Parole de Dieu, nous dirions aujourd’hui qu’en tant qu’elles sont « missionnaires » Ainsi donc, les apôtres et autres prédicateurs ne sont pas d’abord des témoins de l’utilité ou de l’intérêt de la vie fraternelle et communautaire, mais de la résurrection du Christ (1,8.22 ; 2,32 ; 3,15 ; 5,32 ; 8,25 ; 10,39 etc.). Plutôt que de « naissance et croissance de l’Église », l’on devrait parler, à propos des Actes de « naissance et croissance de la Parole ». Dans la mesure toutefois où cette progression de la Parole s’accompagne inévitablement d’une extension et d’une progression des communautés chrétiennes, on peut parler d’une « naissance et croissance de l’Église ».

La mission est donc la vie même de la communauté. Comment va-t-elle se traduire ici ? Par une sorte de face à face Philippe-Simon le magicien. En fait, ce dernier n’est là que pour servir de faire-valoir à la prédication de Philippe, et pour permettre d’en souligner la spécificité. En effet Philippe proclame le Christ, mais Simon s’autoproclame. Les foules s’attachent à ce que dit Philippe ; on s’attache à la personne de Simon. Les « miracles » de Philippe se traduisent par des phénomènes de guérison des personnes, les actes de magie de Simon stupéfient le peuple. En réalité, l’Évangile, c’est d’abord une parole. Et il n’y a de parole véritable qu’entre plusieurs. En effet, parler, c’est entrer en dialogue, c’est espérer une attention, une réponse, un débat, voire une adhésion mais en toute liberté. Or la magie, tout comme le miracle, subjugue et envoûte.

De ce fait, ils ne sont ni l’un ni l’autre une vraie parole. Accepter la voie de la magie ou du miracle, c’est choisir de ne pas être un partenaire de dialogue. Le miracle comme la magie ne laisse rien entendre, et donc n’appelle aucune réponse, aucune adhésion. Le bruit sourd des miracles et des prodiges prend la place d’une possible parole échangée librement. Trop de puissance exténue la parole, trop de miracles empêchent de parler d’homme à homme. En cela réside le risque de perdre la parole à cause du succès des miracles et des signes. Les miracles aliènent au lieu de délivrer, créent des clients au lieu d’éveiller des hommes. C’est sans doute la raison pour laquelle, au sujet des miracles de Philippe en Samarie, la Nouvelle Bible Segond, par exemple, préfère utiliser le terme de « signes » plutôt que celui de miracles. Quelle différence entre les deux ? Si les miracles se passent volontiers de partenariat, les signes, eux, sont faits à l’intention de l’autre. A ce sujet, un malentendu est courant. La sagesse chinoise l’illustre bien avec le proverbe : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ». De la même manière que le doigt qui montre capte le regard de l’« imbécile », au détriment de la lune qui est montrée, le côté spectaculaire de certains récits bibliques de miracles accapare souvent l’attention, toute l’attention du lecteur « imbécile », au détriment de ce que ces récits veulent dire, montrer, de ce à quoi ils nous convient, de ce vers quoi ils envoient.

 

Le signe sert à emmener ailleurs, à attirer l’attention sur autre chose que le signe lui-même, à faire prendre conscience d’une réalité dont le signe n’est, en fait, qu’un indice. Quand on regarde ce qu’il en est de l’emploi de l’expression « signes et prodiges » dans l’Évangile de Luc, on ne peut qu’être frappé par le fait qu’elle est totalement absente. L’affaire est donc claire : Luc parle de « signes et prodiges » dans les Actes car les « signes et prodiges » constituent un donné essentiel des temps eschatologiques, la garantie de la venue du Règne de Dieu. Ils font partie intégrante, nécessaire, de l’annonce de la venue de l’Esprit de Dieu sur les hommes. Puisque les temps nouveaux sont bien là, puisque le salut est maintenant présent et agissant dans toutes ses dimensions, il l’est aussi dans cette dimension « physique ».

 

Thématique