Textes : Ps 119, 121, 136 1 Rois 3, v. 5 à 12Romains 8, v. 28 à 30 Matthieu 13, v. 44 à 52Pasteur Emmanuel RakotoTélécharger le document au complet
Introduction à l’Évangile de Matthieu Bibliographie :
- Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, Labor et Fides, 1995, page 411 à 423
- Pierre Bonnard, L’évangile selon saint Matthieu, Labor et Fides, Genève 2002
- Elian Cuvillier, in Introduction au Nouveau Testament, sous la direction de Daniel Marguerat, Labor et Fides, 2001, page 63 à 81.
- Xavier Léon-Dufour, in Introduction à la Bible, II, 1959, p. 163ss.
- 5. Leonhard Goppelt, Les origines de l’Église, Paris, Payot, 1961, p. 166-173.
Structure générale de l’évangile 1- Un plan dit “biographique” nous fait découvrir l’évangile de Matthieu à travers ses deux grandes parties : – la première partie va du chapitre 3 à 13 : le peuple juif refuse de croire en Jésus, – la deuxième couvre les chapitres 14 à 28 : Jésus parcourt le chemin qui le conduit à la mort sur une croix et à la résurrection.
- Un second plan dit “didactique”, plus détaillé, nous propose de l’aborder à partir de ses cinq piliers : cinq grandes instructions relatives au Royaume de Dieu, autour desquelles l’ensemble de l’ouvrage est construit, et qui s’achèvent de la même manière : « et il arriva, quand Jésus eut achevé ces instructions… » (7,28 ; 11,1 ; 13,53 ; 19,1 ; 26,1.) :
– chap. 5-7 : la justice du Royaume ; – chap. 10 : les hérauts du Royaume ; – chap. 13 : le mystère du Royaume ; – chap. 18 : les enfants du Royaume ; – chap. 24 et 25 : la grande crise, avant sa manifestation finale. Pierre Bonnard nous rappelle toutefois que le développement de la pensée matthéenne dépasse largement nos logiques et nos plans : « L’exégèse devra se garder de rechercher dans ces ensembles des développements logiques ou des démonstrations de type occidental ; comme les rabbins de son temps, le Christ matthéen enseigne par brèves touches successives et imagées, par une suite de répétitions ou d’approfondissements plutôt qu’à la manière discursive classique ou moderne » (P. Bonnard, p. 7) Formation de l’évangile : Traditionnellement, on insistait sur la priorité de Marc sur Matthieu et Luc, qui l’avaient utilisé en même temps que des sources particulières et qu’une seconde source commune à Matthieu et Luc nommée Logia. Toutefois, Matthieu n’a pas servilement copié Marc, il l’a utilisé et l’a interprété librement. D’autre part, il faut accorder beaucoup d’importance au fait que l’élaboration orale des péricopes évangéliques avait lieu au sein des communautés chrétiennes. L’œuvre de l’évangéliste est l’expression écrite des expériences communautaires. Milieu historique Tout en nous communiquant certains trésors traditionnels, sans doute palestiniens, Matthieu se situe à la fin de l’âge apostolique. Il présuppose une longue période de foi, d’enseignements et d’expériences communautaires heureuses ou malheureuses. Il fait écho à une douloureuse discussion avec le rabbinat juif de Syrie, discussion qui allait bientôt prendre fin par l’expulsion des chrétiens des synagogues et la rupture entre le judaïsme et le christianisme. C’est pourquoi les exégètes situent la rédaction de Matthieu entre les années 80 et 100, sans doute par un rabbin converti. DestinatairesMatthieu s’adresse à des chrétiens et à des juifs qui résidaient en Syrie ou en Phénicie, pour lesquels il n’est pas nécessaire d’expliquer les coutumes palestiniennes.Mais les regards de Matthieu se portent aussi vers les nations païennes, sans doute principalement vers Antioche où vivaient tant de juifs et où déjà la foi nouvelle avait pris pied.Matthieu voulait surtout montrer comment on doit et peut être disciple du Christ tout en étant juif, ou païen.
Un homme découvre un trésor qui est caché dans un champ. Il est tombé dessus miraculeusement, comme si le bonheur l’attendait là, à son insu. C’est un don du ciel. Son cœur est séduit, tout de suite. Il voit se réaliser dans sa vie un vieux rêve inconscient, un désir ignoré. Il s’empresse de le cacher à nouveau. Ce trésor est pour lui ! Il le veut absolument, il le veut totalement, il le veut pour toujours, il le veut à tout prix ! Dans le feu de sa joie, il s’en va et vend tous ses biens pour s’acheter ce champ. L’amour de Dieu pour nous est une grâce inattendue. Il vous saisit comme “un coup de foudre” ; il vous gagne. C’est un bonheur inédit qui donne goût et sens à votre vie et vous transforme de manière radicale : vous vous dépouillez de tout, vous vous privez de tout, vous faites offrande de votre vie entière, pour l’amour du bien suprême. En tout cela, vous n’éprouvez aucune peine, aucun regret. Vous accomplissez simplement votre conversion, vous effectuez votre migration : partir ailleurs, vous envoler vers une terre inconnue, renaître. Vous abandonnez votre existence ancienne, pour vivre une aventure sublime, connaître une passion nouvelle, mener un combat plus noble, pour répondre à l’appel de votre destinée, à l’invitation de la vie. L’amour de Dieu en Christ, c’est comme cela, quand il vous trouve, quand il vous gagne. Un marchand cherche des perles fines. C’est son travail, sa vocation, sa passion. Après une longue attente, son rêve enfin est accompli. Voici l’affaire de sa vie. Il accueille dans ses bras la perle rare, dont la beauté dépasse infiniment son espérance. Il est émerveillé ; il n’a jamais connu un si grand bonheur ; sa vie est comblée. Il arrive à son but, au sommet de son voyage. Mais loin de sombrer dans la jouissance statique et fermée, il se lève à nouveau et se dépouille de tout, lui aussi, pour s’acheter la fortune qu’il vient de trouver. C’est bien étrange ! Mais le don de Dieu en Christ, c’est aussi cela, quand il vous saisit : le bien trouvé est toujours à rechercher, le bonheur acquis toujours à gagner, l’amour reçu, toujours à conquérir. On n’aime pas la vie en stagnant comme un lac, on n’adore pas son Dieu en dormant toute la journée. Avec lui, il faut constamment bouger, créer de nouveaux chemins, chercher de nouvelles possibilités, percer d’autres horizons… Avec lui, chaque matin, on aura toujours faim, faim de son amour, faim de sa bonté, faim de lui et des autres. Et moi qui croyais que mon salut est assuré de toute manière, me voilà ce matin rudement bousculé : la grâce divine n’abolit pas la responsabilité humaine, elle la suscite ; le don du salut renferme en lui-même le germe d’une mission (1). Je n’ai pas le droit de négliger les talents qui me sont confiés, pour me crisper sur un pardon empoché, pour m’accrocher à un privilège acquis. Car la paresse et la suffisance constituent l’image même du péché. Bien qu’il soit caché, le bonheur du salut est bien réel. Le Royaume des cieux est une présence divine amoureuse et généreuse, qui surgit dans notre histoire pour emplir nos vies. Il est accessible à tout homme. Que vous l’ayez rencontré dans son absolue nouveauté, ou que vous l’ayez accueilli au bout d’une attente, que vous soyez le païen qui découvre, ou le Juif qui voit sa prière exaucée, vous éprouverez la même ivresse, le même désir de tout donner, et vous serez comblé de la même présence. Héritiers de la vie nouvelle, nous voici merveilleusement “condamnés”, vous et moi, à marcher chaque jour, à progresser infiniment, à renaître à chaque instant. Car là où est le mouvement, là seul est la Vie. Et voici un troisième message qui n’est pas le moindre : Dieu qui vient à nous en Christ est un pêcheur au grand cœur. Il ramasse toutes sortes de poissons, avec son grand filet généreux qui ratisse bien large : il prend tout, il accueille tout, il adore tout ! Jésus lui-même rêvait d’une communauté sans barrières, tolérante et chaleureuse, d’une grande multitude d’hommes et de femmes, qui soit à la taille de l’univers ; il rêvait d’une assemblée composite où les méchants se mêlent avec les bons, où les justes mangent avec les pécheurs ; l’église de son cœur n’est pas une congrégation d’hommes parfaits, où l’on exclue et condamne, où l’on s’enferme sur soi-même, où l’on s’appauvrit et s’épuise infailliblement de jour en jour. Car il est venu dans le monde non pour juger, ni pour condamner, mais pour sauver. Oui, il l’a dit et le redit : on est tous enfants de Dieu ! On est tous destinés à la Vie ! On est tous les élus de Dieu ! A l’ouverture de la fête, tout le monde est invité, païens ou Juifs, pécheurs ou convertis, sans condition ni prix d’entrée ! Devant son grand amour, Dieu accorde à chaque personne la même chance. Il l’a dit et le redit ! Depuis l’événement du Christ, nous vivons le temps de la pêche au “grand filet”, nous traversons la période du “ramassage”, durant laquelle cohabitent le blé et l’ivraie, le bien et le mal. Mais un jour viendra où le filet sera rempli et le blé bien mûr. Ce jour-là, Dieu “séparera” : « On ramasse dans des paniers ce qui est bon, et l’on rejette ce qui ne vaut rien ». Finalement cela n’aura servi à rien d’avoir été “dans le filet” toute sa vie, cela n’aura servi à rien d’avoir été baptisé, si l’on n’avait pas connu la foi, si l’on n’avait pas changé de vie. En Christ se marient la largesse de cœur et l’exigence de vérité, la patience divine et l’urgence de la conversion. Ou on est chrétien en vérité, dans son cœur et dans sa vie, ou on ne l’est pas du tout. Personne n’a été prédestiné à la perdition, mais si vous méprisez l’occasion ultime de salut qui vous est accordée aujourd’hui, si vous piétinez le trésor donné, si vous usez de la patience de Dieu pour faire le mal, vous vous engagerez dans une voie infernale d’où il vous sera impossible un jour de revenir. Ce jour-là, Dieu lui-même ne pourra plus rien faire pour vous ! Ce cri d’alarme prédomine la fin du dernier message. C’est un appel ultime, et non désespéré, à la conversion. Jésus conclut son discours en demandant à ses disciples s’ils avaient “compris” tout son enseignement. Comprendre n’est pas seulement un acte intellectuel, il consiste à accueillir dans la foi le don de sa révélation, à mener en conséquence une existence d’obéissance, de reconnaissance et d’amour. Dans le “oui” collectif des disciples, c’est toute la communauté matthéenne qui répond et confesse sa foi joyeusement, au cœur même de son dur combat pour la survie. Heureux de cette réponse, le Christ adresse un éloge chaleureux à l’égard de “tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux” (2). Par ces mots, il nomme le disciple comblé, le croyant idéal. Ce regard favorable accordé au scribe converti nous laisse penser que, bien discrètement, l’auteur du premier évangile parle de sa propre conversion : il s’en réjouit et veut entraîner tous ses amis dans la même voie. Quoiqu’il en soit, le scribe nouveau, le “sage” du Royaume, est proclamé doublement riche, riche des choses anciennes et riche des choses nouvelles. Les choses anciennes lui proviennent du trésor culturel et spirituel juif. Les choses nouvelles lui sont révélées et données par Jésus, afin qu’il connaisse la plénitude. Le “neuf” ne détruit pas le “vieux”, il le mène à son accomplissement. La conversion du juif ne conduit pas à la rupture, mais à son épanouissement, à son enrichissement. Heureux celui qui accepte dans sa vie d’être à la fois le juif et le païen, le sage et le novice, le vieillard et l’enfant. Mais l’homme riche ne conserve pas ses biens dans son coffre. Il les manifeste, à l’image d’une lampe allumée qui éclaire toute la maison (Mt 5,14ss) ; il les fait fructifier, à l’instar du bon serviteur qui travaillait dans l’amour et la confiance (Mt 25, 14ss). Il fait cela, bien sûr pour exprimer son grand bonheur, mais pour que d’autres s’en réjouissent aussi et s’en enrichissent. Puisse ce “oui” fervent de la compréhension résonner aujourd’hui plus fortement encore dans nos églises, et susciter en nos cœurs la double soif du vieux et du neuf. Que l’Esprit du Christ nous apprenne à puiser efficacement et positivement dans nos racines culturelles et spirituelles, anciennes et nouvelles, et à répandre avec amour et générosité, autour de nous et partout ailleurs, toutes les richesses divines qui inondent nos vies par la foi au Christ, afin qu’à travers nos sagesses, nos gestes et nos paroles, nos richesses et nos largesses, le souffle du Royaume transforme notre monde d’exclusion et d’intolérance. Amen.
- Daniel Marguerat, Le jugement dans l’Évangile de Matthieu, Labor et Fides 1995, page 561
- Selon la traduction de P. Bonnard