(Reprise)
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J’ai retenu le texte de la deuxième aux Thessaloniciens, que j’intitule Une espérance qui fait travailler.
L’auteur de la deuxième lettre aux Thessaloniciens, communément identifié à Paul, commence par rendre grâces pour la constance des Thessaloniciens dans la persécution. Les destinataires attendaient le retour imminent du Seigneur, suite sans doute à une mauvaise interprétation de la première lettre aux Thessaloniciens. Si bien qu’en 2,1-12, Paul doit rectifier cette affirmation : la parousie n’est pas encore à l’ordre du jour.
Ce qui implique un choix éthique. Le passage qui nous concerne se situe dans la partie exhortative de la lettre (2,13 à 3,15), juste avant les salutations (3,16-18). 3,7-12 met en garde contre l’abandon du travail et rappelle l’exemple et l’enseignement de Paul. Je propose d’aborder notre péricope en trois étapes :
- Le modèle paulinien (v.7-9)
- La tradition que Paul a laissée (v.10)
- Une discipline (v.11-12)
- Le modèle paulinien (v.7-9)
Dans ses lettres, à maintes reprises, Paul invite ses lecteurs à l’imiter. Quand il le fait, il ne se présente toutefois pas comme modèle de perfection. Ce en quoi l’apôtre est exemplaire est l’œuvre que le Christ accomplit en lui : « Car Dieu, ce me semble, nous a, nous les apôtres, exhibés au premier rang, comme des condamnés à mort, livrés en spectacle… nous sommes fous à cause du Christ » (
1Co.4,9-10). Il peut ainsi devenir le lieu à travers lequel tout humain peut se regarder,
Dans la lettre aux Philippiens, par exemple, l’existence croyante à imiter consiste à être trouvé en Christ, mort et ressuscité (
Php.2,5-11), avec une justice qui vient de Dieu (cf.
Php.3,9 et
4,9). Ici, à Thessalonique, le modèle à suivre consiste à travailler pour subvenir à ses besoins et ne pas dépendre des autres. A Corinthe, Paul renonce à son droit d’être entretenu par l’Église. Là, son but était de défendre l’intérêt de l’Évangile (cf.
1Co.9,12 ;
2Co.11,7-13ss). Ici, à Thessalonique, son but est de laisser à l’Église locale l’exemple de son travail.
- La tradition paulinienne sur le travail (v.10)
L’exemple paulinien vient attester son enseignement. Au v.6, Paul oppose cet enseignement, cette « tradition » que les Thessaloniciens ont reçue de lui, à la vie irrégulière de certains frères de cette Église locale. La « tradition » en question se présente comme une maxime impérative : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas » (v.10). Il s’agit d’une sentence de sagesse élémentaire qu’on peut rencontrer avec des variantes dans la littérature juive ou grecque de l’antiquité. Mais ce genre de slogan peut encore se rencontrer dans certains discours de nos jours.
- Une discipline ecclésiastique (v.11-12)
Pourquoi l’apôtre rappelle-t-il cette tradition ? Le v.11 en explique la raison : certains membres de l’Église locale mènent une vie irrégulière, c’est-à-dire qu’ils ne travaillent pas mais occupent leurs loisirs en s’agitant beaucoup, sans se soucier d’être à la charge pour leurs frères. En 1Th.4,11 déjà, l’apôtre invitait ses lecteurs à demeurer au repos, à s’occuper de leurs propres affaires et à travailler de leurs mains. Le repos est ici opposé à l’agitation et non au travail. L’agitation qui a gagné certains Thessaloniciens semblent provenir de l’attente fiévreuse de la venue du Seigneur, dont le passage de 1Th.4,13 à 5,11 fait écho.L’enseignement de l’apôtre vise apparemment des gens qui s’estiment trop pieux pour travailler. Ils consacrent leur vie à s’exercer à la piété. Mais alors, qu’ils ne mangent pas non plus et n’attendent pas d’être entretenus par les autres. Car sinon, leur souci de piété risquerait de devenir de l’orgueil, voire une action calculée pour prétendre à plus de mérites aux yeux de Dieu par rapport aux autres. L’espérance évangélique, au contraire, se traduit par une éthique qui relève du bon sens : il faut travailler pour manger. L’espérance est un don gratuit de Dieu, nous pouvons en vivre au quotidien. Elle n’est pas une fuite hors du monde présent, mais s’inscrit dans le travail quotidien pour la vie, contre le mal et pour le bien.L’auteur adresse donc, en 2Th.3,12, une exhortation éthique à ses lecteurs. Il est reconnaissant de ce que les Thessaloniciens progressent dans la foi et dans l’espérance. Mais il les invite toutefois à vivre concrètement en conséquence, c’est-à-dire à vivre de façon régulière. Il demande à ceux qui s’agitent de manière stérile de « travailler dans le calme » afin de « manger le pain gagné par eux-mêmes ». Les frères qui n’y arrivent pas ne sont pas pour autant exclus de l’Église. Mais ils sont chaque fois exhortés à respecter la discipline (celui qui ne veut pas travailler ne mange pas) et à vivre de nouveau de manière régulière. En attendant, le reste de l’Église locale est invité à se tenir à distance d’eux (2Th.3,6), c’est-à-dire à refuser de les suivre dans leur agitation mais sans les exclure.
Pistes pour la prédication
- 1. Peut-on se présenter comme modèle pour les autres ?
Aujourd’hui, la société présente des modèles de performances et de réussites en tout genre et dans tous les domaines. Quelle est la différence entre ces modèles et le modèle dont parle Paul dans notre passage ? Dans la conception de Paul, le Christ est notre modèle en ce qu’il s’est effacé lui-même jusqu’à la mort sur la croix. Paul lui-même peut donc se présenter comme un modèle, dans la mesure où sa vie et son travail sont marqués par l’effacement du Christ. Ce n’est pas son labeur au travail qui le sauve, mais c’est le salut en Christ qui le met au travail et fait de lui un modèle. Sa vie est comme livrée en spectacle, comme un miroir qui laisserait voir le visage de Dieu, comme un porte-voix qui laisserait entendre la Parole de Dieu.
- 2. L’espérance chrétienne n’est pas une fuite hors de l’histoire
On peut trouver ici ou là des gens qui cherchent à prouver que la foi divinise l’homme. Or, la foi évangélique ne transforme pas l’homme en dieu, elle rend à l’homme son humanité véritable. L’espérance qui en découle ne peut donc être une fuite hors de l’histoire. Au contraire, elle s’incarne dans une éthique dénuée de toute certitude définitive. Elle met le croyant au travail, dans la lutte quotidienne contre ce que son esprit et sa conscience, éclairée par l’Esprit de Dieu, l’invitent à éviter. Elle est une recherche permanente et humble de la meilleure solution qui puisse être trouvée. Elle se traduit par une certaine liberté responsable. Elle n’est pas une soumission aveugle à une autorité extérieure. Mais elle n’est pas non plus une simple autonomie du sujet.(J’ai choisi cette piste pour la prédication proposée ci-après.)
- 3. Jamais installé, toujours en marche
Le travail auquel les Thessaloniciens sont exhortés est une marche, un cheminement, une progression, une persévérance. Le croyant est pris dans un processus qui l’empêche de s’installer définitivement et confortablement dans des certitudes. Puisque Dieu lui-même semble réadapter ses plans, puisque le retour du Seigneur est momentanément reporté, le croyant est embarqué dans une réforme sans cesse renouvelée et actualisée par la Parole de Dieu. Cette réforme s’incarne dans un corps à corps avec la réalité quotidienne.
Proposition de prédication
(2 Thessaloniciens 3, v. 7 à 12)
Quand la vie paraît pénible et difficile, il est tentant de prêcher un monde nouveau où il ne faut plus travailler. Mais ce texte de la deuxième lettre de Paul aux Thessaloniciens nous rappelle que l’attente du royaume est tout sauf l’oisiveté.
Imaginons cette Église locale de Thessalonique. Ses membres ont entendu l’Évangile et ont été choisis pour être à Dieu. Ils reçoivent la justice qui vient de la foi. Leur foi fait de grands progrès et leur amour s’accroît. Pourtant, certains membres refusent de travailler car ils se considèrent trop pieux : ils s’exercent à la piété pour mieux se préparer au retour du Seigneur ; ça leur prend beaucoup de temps et d’énergie, sans doute parce qu’ils estiment que ça leur rapportera plus. Du coup, ils jugent la nécessité de travailler indigne d’eux. Voilà pourquoi Paul dit que s’ils se sentent trop pieux pour travailler, ils devraient aussi être jugés trop pieux pour manger.
Leur piété ne les sauvera pas plus, au contraire elle risque de corrompre la qualité de leur relation à Dieu. Car pour l’instant il faut travailler.
En effet, l’auteur montre (au chapitre deux de sa lettre) que la fin des temps n’est pas pour tout de suite. L’attente du Royaume de Dieu n’est pas incompatible avec le travail. Au contraire, elle implique une prise au sérieux de l’histoire et du temps qui reste ; une attention prêtée au temps présent.
La victoire finale de Dieu sur le mal viendra, mais pas tout de suite. Le mal est là qui nous précède dans ce monde ; pour le moment, Dieu ne peut pas l’éradiquer. Il faut donc patienter. L’heure est au labeur de la lutte quotidienne contre le mal, pour gérer l’univers et le travailler. Paul lui-même a beaucoup travaillé lors de son séjour à Thessalonique. La nécessité du travail est pour lui une réponse au salut que Dieu accorde gratuitement.
En nous déclarant juste, Dieu nous donne le courage d’espérer par-delà toute apparence. Justifiés par grâce par le moyen de la foi, nous sommes rassurés par rapport à la préoccupation ultime qu’est notre salut. Nous pouvons alors vivre devant les autres et accomplir joyeusement toute action nécessaire à la vie du corps et au bien commun.
Luther disait que par la foi, le croyant est replacé dans le paradis ; il est recréé ; il n’a besoin d’aucune œuvre pour devenir juste. Mais afin qu’il échappe à l’oisiveté et qu’il exerce et entretienne son corps, il se voit prescrire des œuvres libres telles que planter, cultiver et garder le paradis. On raconte qu’un jour des gens questionnaient Jésus sur le repos, il aurait répondu que son Père travaille et agit continuellement jusqu’à maintenant, et que lui aussi agit. Voilà peut-être sa manière à lui de se reposer.
Dieu lui-même a œuvré pendant six jours avant de se reposer. Et son repos n’est pas de l’oisiveté. Il continue à agir dans l’univers, notamment dans le cœur de l’homme par son Esprit pour l’encourager et lui rappeler son amour et son alliance.
Dans son histoire, le protestantisme a vu émerger plusieurs manières possibles d’inciter à travailler. Au dix-septième siècle, le piétisme, par exemple, a proposé au croyant de travailler sur soi-même, intérieurement, pour une nouvelle naissance. Si tu veux changer le monde, dira plus tard un sage, commence par réfléchir comment toi-même tu peux changer.
Au dix-huitième siècle, le théologien philosophe protestant danois Sören Kierkegaard dit que le travail fait la perfection de l’homme car lui permet de ressembler à Dieu qui travaille lui aussi.
Au dix-neuvième siècle, le christianisme social a travaillé pour transformer la terre en Royaume de Dieu, notamment en combattant l’injustice. Et nous ? Qu’est-ce qui nous motive ? Aujourd’hui, le travail tel que Paul l’entend ne manque malheureusement pas. Et Dieu continue toujours à travailler. A chacun d’être attentif, créatif et inventif pour chercher le travail le mieux adapté à chaque situation, en attendant la fin des temps. C’est une recherche permanente et humble de la meilleure solution qui puisse être trouvée : aucun “prêt à penser” définitif, mais plutôt une quête, dans laquelle nous ne sommes pas seuls.
En Christ, l’Esprit de Dieu est là pour nous aider et nous donner la force et le courage de choisir et de décider de manière responsable. Alors courage ! Amen.
Thématique : Travail Vs Oisiveté/Attente du Royaume/ Combat contre le mal/Salut/Justification/Oeuvres/Foi/Grâce/