(Reprise)

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Notes bibliques

L’enseignement du chapitre est tourné vers les disciples, Jésus donne « à comprendre et à vivre la Bonne Nouvelle en communauté et dans le monde »1. Dans ce chapitre 16 deux paraboles se suivent, avec entre elles, des sentences à la fois explicatives de la première parabole et introductives à la seconde (versets 9-18). Notons qu’au verset 14 les pharisiens font immersion, ces nouveaux protagonistes sont aussi appelés « amis de l’argent » (philarguroi) ou cupides, avares, seul passage de l’évangile où Luc leur adresse ce qualificatif. Il y a un changement d’auditoire qui confère au passage une double visée : nous lecteurs sommes à la fois disciples et cupides des biens du monde.

 

Le verset 16 montre qu’un Temps nouveau a commencé. Jusqu’alors « la Loi et les prophètes » étaient à l’œuvre, mais ce nouveau temps est celui du Royaume de Dieu « annoncé comme une Bonne Nouvelle ». La particularité de ce temps nouveau est qu’il n’est pas sensible à la fourberie, ni à la violence ou au calcul : « le ciel et la terre » sont ici compris comme ce qui est immuable (le cosmos est stable), alors même dans la situation absurde où le ciel et la terre peuvent passer, la loi, elle, ne bougerait pas. Autrement dit, le Royaume ne se manipule pas, on ne peut faire preuve de fourberie (ce qui confirme les versets 9 à 15). Prenons acte que pour la tradition juive, la sentence (telle que présente dans le Lévitique) imposait une obéissance scrupuleuse, il s’agit donc pour Luc d’ouvrir un champ de réflexion sur la manière d’appliquer et de vivre notre rapport à la Loi. Par exemple, appliquer la Loi signifie une observance littérale, ou est-ce que le sens de la Loi est à trouver autrement ? C’est ce que va nous montrer la parabole suivante.

 

Difficultés du texte :

– Une des difficultés est de ne pas spéculer sur le lieu où la parabole se passe : « le séjour des morts ». Car en allant vite nous pourrions nous lancer dans une explication liée à la description de ce lieu, de qui y vit, comment on y vit…etc.… A l’époque de Jésus il existait divers récits analogues dans la tradition juive (Ps 16,10) et plus généralement, des récits traditionnels sont connus en Égypte et en Grèce et sont bien antérieurs : 4 siècles environ avant notre ère. Ces récits avaient entre autre comme but d’opposer le sort du riche et du pauvre, mais encore de décrire le monde des morts, sa géographie, la possibilité d’un dialogue entre les vivants et les morts2. L’Hadès dans ce texte n’est pas un fait extraordinaire. Ce qui change ici est l’utilisation que Jésus va faire de cette histoire.

– Une autre difficulté serait de faire de l’attribut « riche » le motif unique de la condamnation d’un des personnages de cette histoire.

– Enfin une dernière difficulté vient de l’absence d’introduction du passage, ou d’une conclusion qui pourraient éclairer son interprétation.

 

Versets 19 à 21 : A propos des personnages : Il est clair que les deux personnages centraux sont le riche et Lazare, ils sont tous deux des «hommes ». La présentation de ces deux hommes les oppose radicalement. Le narrateur oppose scrupuleusement ces deux personnages grâce au vocabulaire, à la description et la construction du récit : dans la vie, le riche d’abord, le pauvre ensuite (v.19-21) ; puis inversement dans la mort (v.22).

 

Le riche n’a pas de nom ce qui a comme avantage de garder tout au long de l’histoire sa situation de vie, même lorsqu’il sera dans le séjour des morts. Il est le riche, il restera le riche, même quand il aura tout perdu (surtout son niveau de vie ou ses biens : v.27).

Gardons à l’esprit ce fait : il a été riche pendant sa vie, il demeure ce riche même lorsque sa fortune n’est plus et quand le tourment le ronge. Le premier verset décrit le riche avec les images d’une richesse outrageante : des vêtements somptueux, un quotidien de joie et d’insouciance et a même une « vie », terme qui n’est que pour le riche. Or la Loi et les prophètes invitent à la miséricorde (Es 58,7) et la discrétion de l’apparence. Le but n’étant pas de critiquer la richesse du riche mais son attitude afin d’attirer l’attention de l’auditeur sur sa relation au bien et à la richesse ainsi qu’à celui qui n’en a pas (Dt /28-29 (la dîme triennale) ; 15/1-3 (la remise des dettes tous les 7 ans) et 15/7-11 (la générosité). Chez les prophètes : Amos 5/11-12 ; 6/4-6 ; 8/4-7) ; Dieu défend la cause des pauvres : Psaume 72/1-4 et 12-14). Jésus a averti : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » (v. 13). Luc met souvent en garde contre le piège des richesses et invite au partage (3/11 ; 18/22-24 ; Actes 2/44-45 ; 4/32 à 5/11).

Le second personnage est « un pauvre », qui lui a un nom : Lazare, ce nom signifie en hébreu « Dieu vient en aide ». Voilà la fortune de ce personnage, un nom qui résonne comme une promesse. Cette promesse d’aide se réalisera après une longue souffrance. Car cet homme vivant sur le porche du riche n’est même pas considéré par ce dernier, au point qu’il ne peut se nourrir des restes. Remarquons l’insistance du texte sur la situation de souffrance de Lazare : non seulement il ne peut se nourrir des restes du riche, mais en plus les chiens eux-mêmes se nourrissent de ses propres plaies purulentes.

 

La mort des deux personnages :Il y a ensuite un renversement v.22-23 : le pauvre meurt en premier, le riche en second. Ils vont tous deux en «Hadès » traduction grecque du mot hébreu schéol (voir précédemment). Le pauvre est accompagné, il n’est donc plus seul et est porté par des anges. Le verbe grec pour porter, n’est pas à comprendre comme élevé ou emporté vers le haut, mais « accompagné ». « Le sein d’Abraham » : Le personnage d’Abraham peut représenter ici la promesse du Seigneur pour les justes, il est concevable que le Père des croyants, le patriarche, protège les justes.

 

Le riche lui est enterré : le récit ne dit pas qu’il est accompagné (à l’opposé du pauvre) et est enterré, il y a un mouvement descendant appuyé par le fait qu’il lève les yeux pour voir de loin Abraham et Lazare. La solitude et la distance marquent son nouveau sort.

Le dialogue entre le riche et Abraham : Dans le dialogue qui suit vous remarquerez l’absence de parole de Lazare, mais aussi son absence de mouvement. Il est le personnage désormais paisible. v.24 : langage pieux pour le riche, il nomme Abraham « mon Père » ce qui nous conforte dans l’idée de voir Abraham comme le Père des croyants, l’ancêtre. Le riche demande à ce que Lazare agisse.

Remarquez que le riche parle à Abraham et non à Lazare, mais que par contre il demande à Abraham de se faire servir par Lazare. L’absence de dialogue entre les deux hommes et en plus l’asymétrie qui existait entre eux semble persister pour le riche : il y a un homme qui doit se faire servir (sous entendu, il en est digne) et un qui devrait servir. De plus, le texte ne suggère-t-il pas implicitement que le riche aurait pu en faire autant pour Lazare dans le passé, alimentant ainsi le côté haïssable du riche, qui continue à considérer Lazare comme un sous-fifre.

Verset 25 : « mon enfant » : Abraham considère bien le riche comme appartenant à sa descendance. « tu as reçu tes biens » : le verbe recevoir (katalambano) se traduit par recevoir pleinement, autrement dit, il ne pouvait rien attendre d’autre : le riche est plein de ses biens, la Loi et les prophètes lui ont été donnés, mais il n’a pas su leur faire place.« La Loi et les Prophètes » racontent l’histoire du salut. La présence de Dieu auprès de son peuple, la promesse de salut donnée à tout un peuple. « maintenant et ici » : marque bien la rupture dans la narration, mais renvoie le lecteur à son propre présent.

Verset 26 : le « fossé » n’est pas voulu par Abraham, il a « été établi ». La division est objective, Abraham n’y peut rien.

Verset 27 : le riche continue de quémander Abraham, il ne parle pas à Lazare, même dans la souffrance extrême et veut encore l’utiliser. Même si c’est pour un geste qui semble noble, Lazare reste un serviteur pour le riche.

Verset 28 : « la maison de mon père » où se trouvent « cinq frères » : le père ne faisant pas partie des destinataires de la requête, cela suggère qu’il est mort. BOVON y voit une manière de suggérer que le riche est le frère le plus âgé qui à la mort du père était alors en charge d’instruire ses frères plus jeunes aux rudiments de la Loi et des prophètes.

 

Pour la prédication

Nous vous proposons de suivre dans ce texte ce qui ressort de la relation entre Lazare et le riche. Ils ne se parlent pas, et pourtant leur destin est intimement lié. Que peut vouloir dire Jésus avec cette histoire, en quoi cela nous concerne de savoir que le riche va attendre son jugement dans la souffrance et que la souffrance de la vie de Lazare se solde par une mort douce ?

 

1 F. BOVON, l’évangile selon Luc, 15,1-19,27, p.662 F. BOVON, l’évangile selon Luc, 15,1-19,27, p.104

 

 

Prédication

Une formule choc. Ce texte est-il à prendre comme ces slogans qui remplissent nos écrans de télévision ou les affiches publicitaires que l’on croise dans la rue ? Ces slogans qui nous invitent à considérer ceux qui sont différents de la norme établie par la société. Je pense entre autre aux personnes handicapées que l’on a pu voir sur de belles affiches nous proposant de leur faire un sourire, ou à ces autres affiches nous montrant un SDF qui n’attend qu’une considération de notre part pour enfin se sentir exister.

Finalement Jésus serait il un publiciste moderne avant l’heure, cherchant à nous choquer en nous mettant face au destin tragique d’un riche sans nom, sous entendu : vous êtes toujours le riche de quelqu’un, la Loi et les prophètes vous sont destinés. Après tout la loi et les prophètes nous demandent de suivre des prescriptions pour le respect du plus faible. La loi et les prophètes convoquent une place en nous, nous disent qu’il y a une place dans notre vie, une attention à donner à celui qui est dans le besoin.

Le personnage du riche dans cette parabole est plein de lui-même et de ses propres biens, sa vie est tellement pleine qu’il n’arrive pas à voir Lazare, le pauvre qui au parvis de sa porte n’a même pas eu l’occasion de se nourrir des miettes des festins du riche. Qui plus est, même dans le monde des morts, le riche continue à considérer Lazare comme un moins que rien, un sous-fifre qui devrait soulager sa souffrance ou prévenir les siens encore en vie. Lazare reste pour le riche un homme à qui on ne parle pas, un homme vers qui le dialogue ne se fait pas. Lazare est l’obligé du riche, de par un statut social, de par sa pauvreté, il est un cas social qui n’a pas de place. Le riche reste coincé dans sa logique, incapable de dépasser ses habitudes d’avant, incapable de voir en Lazare un autre semblable, un autre qui n’a pas à le servir.

La rudesse de ce personnage ne peut que nous choquer, mais nous choquer pour aller où, pour aller vers quoi ? Jésus veut-il fonder une société plus juste en misant sur des slogans forts ? Oui, il est sûr que Jésus nous apporte une justice, mais pas celle que nous pouvons construire nous, pas celle que nous pouvons porter par la force de nos seules certitudes. Jésus nous ouvre à un autre chemin. Nous qui appartenons à une société où l’on se construit sur nos propres forces. Où le signe extérieur de richesse attise la quête de l’image nous concentre sur notre bien propre et notre niveau de vie. Jésus pointe du doigt la négligence fondamentale de la société humaine du « pour-soi et les autres on verra plus tard ». Et ce pour nous dire qu’un homme nommé Lazare est notre salut, qu’il est là dans le monde, dans notre quotidien. Voilà la Loi et les prophètes dans notre vie, le Salut nous est donné.Car Jésus ne nous raconte pas le sort d’un riche et son devenir croisé avec un pauvre qui trouve la paix auprès du père des croyants. Jésus va plus loin, il nous invite à la lecture de notre vie à partir de ces deux mots d’Abraham, situés au centre du texte : « maintenant, ici ». L’histoire de Jésus n’a pas vocation à moraliser notre société, elle a vocation à nous sentir interpellé par la présence d’un autre nommé Salut. Il existe un autre si différent de moi que je ne peux le reconnaître, et pourtant cet autre homme m’ouvre à mon salut.

Et Jésus pour aller au bout des choses, se déjoue même de la morale, car le riche dans un sursaut de bonté dernière, cherche à sauver ses frères, mais peu importe l’élan de cet homme, il est trop tard.Il ne s’agit donc pas de chercher une morale qui rendrait plus juste le royaume des hommes, mais de laisser un autre Royaume placer son empreinte dans notre vie, dans notre société. Jésus nous invite à ouvrir la Loi de Dieu pour y discerner l’autre différent, pour y lire non pas une condamnation, mais la possibilité de trouver une autre manière d’être au monde. Si le riche a été incapable de voir la richesse de Lazare, il reste que selon la Loi et les prophètes, nous sommes capables d’entendre un homme qui s’appelle « Dieu vient en aide ». Autrement dit, le riche aurait pu être aidé par Lazare s’il l’avait considéré, reconnu.

Le riche aurait pu en écoutant la Loi et les prophètes se reconnaître en Lazare, en un homme que tout oppose mais qui pourtant était son salut, une ouverture hors de la richesse, une ouverture vers du différent. Dans le texte, Lazare incarne l’homme qui n’a pas de statut social, qui est exclu, comme la question du salut est exclue de notre vie, comme la recherche d’une vie différente est exclue de notre vie. D’ailleurs si le riche n’a pas vu Lazare, s’il ne lui parle pas, c’est qu’il ne considère pas possible de vivre ainsi. Le riche ne peut voir ou entendre ce qui est improbable. Le riche ne s’est jamais laissé questionner par la loi et les prophètes, il n’a jamais compris qu’une vie différente est possible.Jésus n’est donc pas un simple publiciste qui veut faire de notre société un vecteur moral, mais il est celui qui dénonce les travers du bien propre. Jésus est le messager d’une nouvelle forte qui dévoile la différence au seuil de notre porte. Jésus nous parle d’une vie qui s’incarne dans la différence. C’est en me sachant attendu par le salut qu’une porte vers un autre monde s’ouvre. La loi et les prophètes nous font cheminer pour découvrir en nous le seuil d’une porte ouverte à celui que l’on ne tolérait pas. Jésus n’use donc pas d’une formule choc comme un publiciste pour nous moraliser, il nous dit que notre salut est dans l’ouverture d’une vie que l’on acceptera au-delà d’un statut social. Jésus nous offre le salut, ici et maintenant, non pas pour être quelqu’un de bien, non pas pour faire une « BA », mais pour entendre que Dieu me vient en aide par celui qui m’est si différent, car ma propre vie peut être différente

.Dieu nous connaît, mais nous laisserons-nous toucher, laisserons-nous sa Parole entrer dans notre vie, nous déranger, nous bousculer ? Lazare est ici la promesse du Salut que Jésus Christ a donné à tous les hommes, laisserons-nous ce salut entrer dans notre vie ?Autrement dit frères et sœurs, notre salut est déjà là, dans le monde, le savons-nous ? La loi et les prophètes nous racontent l’histoire du salut, la présence de Dieu dans la vie de son peuple. Nous sommes ce peuple-là ; le salut, présence vivante de Dieu, est à la porte de nos besognes quotidiennes. La loi et les prophètes, c’est un temps d’arrêt, un temps d’attente où je laisse entrer Lazare dans ma vie, où je ne le laisse pas à la porte. Dieu nous a promis dès aujourd’hui une vie douce et sereine, ce n’est pas en comblant nos agendas, en courant à droite et à gauche que nous y arriverons. La promesse de Dieu, c’est en s’arrêtant, en lisant le cours de notre histoire à la lumière de l’évangile qu’elle apparaît. Discerner dans notre vie la présence de Dieu c’est ne plus être plein de nos préoccupations quotidiennes, c’est laisser de la place à un essentiel, notre salut. Jésus nous dit à travers cette parabole que prendre conscience de la vie que nous donne Dieu, c’est prendre le temps de la rencontre avec l’histoire de notre vie, prendre le temps de la rencontre avec celui ou celle qui en lui aussi porte ce message de Salut donné par Dieu.

Amen.

 

Thématique : Richesse/Les biens du monde/LE riche et Lazare/La loi et les prophètes/Le salut/