Textes : Romains 14, v. 13 à 23 Ps 65 Ésaïe 55, v. 10 & 11 Romains 8, v. 18 à 23 Matthieu 13, v. 1 à 23Pasteur Éric de BonnechoseTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Difficultés Plusieurs difficultés à ce passage connu sous le titre de « parabole du Semeur » : – il est connu, justement, et souvent même depuis longtemps. Avec ses images simples et parlantes, cette parabole fait sûrement partie du « top 10 » des textes abordés dans les écoles bibliques et les catéchismes du monde entier ! – la parabole peut facilement conduire à des interprétations caricaturales ou moralisatrices contre les obtus, les superficiels et les mondains. Ou encore à des interprétations sectaires, contre tous ceux qui refusent notre compréhension de l’Évangile. – curieusement, cette parabole est présentée comme un mystère, une énigme telle que Jésus a besoin de se livrer à un long développement (v. 11-17) avant de la décrypter. Ce qui ne manque pas de nous surprendre, car l’interprétation nous paraît simple. – c’est d’ailleurs une des rares paraboles qui comprend une explication, ce qui en fait un texte assez long, qui devient ennuyeux et qui semble empêcher notre propre liberté d’interprétation. Qu’y a-t-il à ajouter, si déjà la parabole a son explication ? Une parabole-miroir En fait, le développement des v. 10-17 agit comme un véritable coin pour faire éclater la simplicité apparente de la parabole. Loin d’être une pédagogie permettant à tous de mieux comprendre, la parabole est au contraire une énigme qui révèle la connaissance des uns et la cécité des autres. Un rôle révélateur qui renvoie à cet autre révélateur qu’est Jésus lui-même. « Voir ce que vous voyez, entendre ce que vous entendez » (v. 17), ce n’est pas seulement la parabole, mais Jésus lui-même. La parabole n’est pas seulement un bon outil que Jésus emploie ; c’est un miroir de ce que Jésus est et manifeste en lui-même. Déjà dans son avertissement final : « entende qui a des oreilles ! » (v. 7), la parabole invitait finement l’auditeur à mettre en œuvre au sujet de la parabole ce qu’il faut mettre en œuvre au sujet de « beaucoup de choses » (v. 3) dites par Jésus. Recevoir la semence et entendre la parabole sont deux choses semblables. La parabole parle de la façon dont on peut recevoir les paraboles… D’où l’impression d’être dans un système fermé, qui se mord la queue. Quand on écoute sans entendre la parabole, elle reste fermée comme une noix, et avec elle tous les « mystères du Royaume des cieux ». Et pour entendre la parabole, il faut « avoir des oreilles », c’est-à-dire déjà avoir une certaine connaissance de ces mystères. Comment s’en sortir, si cette connaissance est donnée aux uns, et pas aux autres (v. 11) ? Contrairement à Marc, qui laisse son lecteur sur cette perplexité, pour finalement le conduire à l’impossible du salut que seul Dieu peut donner (Mc 10,26-27), Matthieu s’ancre plus largement dans le prophète Ésaïe : il y a bien une responsabilité de l’auditeur qui se bouche les yeux et les oreilles (v. 15). Ainsi la clé se trouve dans une ouverture fondamentale du cœur, à partir de laquelle tout devient possible. Une théologie nouvelle Mais pourquoi le besoin d’expliquer cette parabole (v. 18-23) ? Alphonse Maillot [1] suggère que les disciples et la foule ont bien compris le sens de la parabole, mais qu’ils ont du mal à l’accepter. Ce qui est en jeu, c’est l’image du Messie comme semeur, et non comme roi et homme de puissance. Le semeur n’impose pas, il accepte d’avance la possibilité d’un échec. Si Jésus a besoin d’expliquer, ce n’est pas pour aider des intelligences limitées, c’est pour insister sur la nouveauté de son enseignement : « oui, vous avez bien entendu, le Messie vient comme un semeur. » Pierre Bonnard [2] précise que derrière la figure des disciples, il faut voir l’Église syro-palestinienne des années 80, pour laquelle Matthieu écrit. L’échec d’une grande partie des semailles renvoie aux résistances que Jésus rencontre dans son ministère, et à celles que l’Église continue de rencontrer quelques décennies plus tard.« Les paraboles du chapitre 13, succédant aux récits de conflits mortels du chapitre 12, prennent une double signification. Aux disciples, elles doivent expliquer pourquoi le règne, inauguré par Jésus, n’éclate pas encore dans la gloire ; pourquoi, en particulier, ses débuts dans le ministère de Jésus sont à ce point privés de grandeur et de puissance ; pour ceux du dehors, après la rupture décrite à la fin du chapitre 12, elles doivent affirmer, avant tout, que ce qu’il peuvent voir du règne, de l’extérieur, est bien fait pour les confirmer dans leur refus de croire en l’autorité de Jésus, et que cela fait partie du mystère, c’est-à-dire du dessein de Dieu pour son règne. »Pistes pour la prédicationOn pourra, comme le suggère Maillot, centrer la prédication sur la figure du semeur ; homme simple, figure familière des paysans palestiniens, remplie d’attente et d’espérance. Figure généreuse ici, qui sème avec un certains gâchis, c’est-à-dire qui ne met pas de limite a priori : tout terrain, tout cœur humain est susceptible d’accueillir la semence. Figure bien différente de celle du chef militaire, ou du juge (le moissonneur !). Dans le même sens, on peut méditer sur la fragilité de la parole laissée sur les chemins, sur sa fécondité quand elle est reçue en bonne terre. Le Royaume ne s’identifie pas à ce qui est visible, il appelle un regard de foi. Dans la proposition rédigée qui suit, j’ai choisi de centrer le regard sur Jésus, et de donner du poids à l’image initiale de celui qui enseigne depuis la barque. Ainsi la parabole renvoie l’image et la présence de Jésus, comme l’eau du lac porte sa voix vers ceux qui sont sur le rivage.

Prédication

Parabole du semeur et échos d’un mariage Ouvrir la Bible, écouter la parabole C’est pour beaucoup le temps des vacances. C’est aussi l’époque des mariages. Dans notre Église, nous donnons toujours une Bible aux jeunes mariés. Une belle tradition, qui a du sens. Une tradition qui suggère aux mariés que leur maison peut être comme un petit temple, au cœur duquel se trouve une Bible. L’Écriture Sainte. Or peut-être qu’en assistant à ces mariages, une question nous vient intérieurement : les mariés vont-ils l’ouvrir, cette Bible ? Ils remercient en souriant, mais auront-ils le désir, le goût, la persévérance de la lire ensemble ? Ne leur jetons pas la pierre. Est-ce que nous le faisons nous-mêmes, pour ceux d’entre nous qui sont mariés ? Est-ce que cela ne nous paraît pas plus souvent incongru, ou délicat, ou parfois impossible d’ouvrir la Bible avec notre conjoint, pour y entendre ensemble quelque chose de la part de Dieu ? Est-ce qu’en offrant une Bible aux mariés, nous ne les chargeons pas d’un fardeau que nous sommes parfois incapables de soulever nous-mêmes ? Commençons par des choses plus modestes. Voilà que ce matin nous lisons la parabole dite « du Semeur », que d’autres appellent « parabole des 4 terrains dans lesquels tombe la semence »… Une parabole imagée, que l’on raconte facilement aux enfants. Et qui en plus a un grand privilège : c’est que Jésus en donne une explication – ce qu’il fait assez rarement pour des paraboles. Alors le risque avec cette parabole, plus qu’avec toute autre, c’est de nous dire : elle est connue, on sait ce qu’il y a dedans. En gros, cette parabole nous dit de bien écouter la parole de Dieu, de lire sérieusement la Bible. C’est une parabole assez « piégeuse » : elle a l’air si familière, si claire, qu’on est tenté de rester à la surface, de ne pas arriver à descendre dans la terre profonde de ce qu’elle a à nous dire. On est tenté de faire… précisément ce qu’elle nous dit de ne pas faire : en rester à la surface des choses. Alors il faut persévérer, écouter plus attentivement. Refaire patiemment le chemin sur lequel Jésus conduit ses disciples. Jésus dans la barque Et la première chose qui nous est donnée à voir, c’est Jésus dans la barque. Ce n’est pas simplement un élément de décor anecdotique. Jésus est dans cette barque qui flotte sur la mer, la mer mouvante, la mer qu’on ne peut pas cultiver, la mer qui ne fait pousser aucun épi de blé, la mer qui, pour les juifs, symbolise la mort. Jésus parle du lieu où il domine les forces de la mort. Et il s’adresse aux gens qui sont restés sur la rive, là où se trouvent les terres à cultiver. Jésus ne dit pas à ces gens qu’il faut qu’ils ouvrent la Bible chez eux ! D’abord ils n’en ont pas, c’est trop rare, c’est trop cher, c’est écrit en hébreu dans une langue que la plupart ne savent ni lire ni parler. Pour ces gens, la parole, c’est ce que Jésus leur dit. Ils entendent « la parole du Royaume », comme dit Jésus (v. 19). C’est cela qui est en jeu. Est-ce qu’ils vont entendre la parole du Royaume ? Est-ce qu’ils vont entendre cette parole qui vient de Jésus, cette parole qui est Jésus victorieux des forces de la mort ? C’est cela qui compte quand nous ouvrons la Bible. Est-ce que nous pouvons y entendre une parole vivante du Royaume de Dieu ? Nous pouvons nous intéresser à l’histoire des religions, à l’analyse des textes, à la sociologie des groupes chrétiens. Nous pouvons nous intéresser à la psychologie des fondateurs, à la philosophie véhiculée par les religions. Pourquoi pas, c’est respectable. Mais ce n’est pas cela la « parole du Royaume. » La parole du Royaume est indissociable de Jésus lui-même. Il n’y a pas de parole du Royaume sans un attachement personnel, une sorte de captivation par la personne de Jésus. C’est ce qui se passe, sur les bords du lac de Galilée. Si les gens sont tellement nombreux, c’est parce qu’ils sentent en Jésus pas seulement un enseignant doué, mais une présence captivante. Et Jésus les captive parce qu’il vit totalement ce qu’il dit. Il est comme une tige de blé, qui porte beaucoup de fruits. Il y avait autour de lui 30, 60 ou 100 personnes. Et c’est pour cela, parce qu’il porte ce fruit par sa parole, qu’il peut parler de la bonne terre qui porte du fruit. Comprendre la parabole, c’est d’abord comprendre qu’elle ne parle pas d’un livre, même de la Bible, mais de la parole vivante du Royaume, que Jésus annonce et représente lui-même. À partir de là nous pouvons explorer quelques aspects des terrains sur lesquels cette parole, qui est semence, va être jetée. Ne pas comprendre Justement, le premier terrain est celui où l’on entend sans comprendre, nous dit Jésus. Un chemin, tellement dur que les graines n’y pénètrent pas, et que les oiseaux se précipitent pour tout manger. Qu’est-ce que cela veut dire, ne pas comprendre ? Jésus nous en donne la clé, en citant le prophète Ésaïe entre la parabole et son explication. (relire les v. 14-15). Ne pas comprendre, c’est être insensible, bouché, fermé, empêché, malade… Tout un vocabulaire qui évoque le drame de la fermeture intérieure. Vouloir se débrouiller seul, sur la base de ses propres analyses, de ses propres forces, de ses propres expériences, de ses propres traditions… et refuser de faire place à ce qui vient d’ailleurs. Pour toutes sortes de raisons d’ailleurs, souvent très honorables. On entend cela par exemple dans les mariages. Ces gens qui découvrent la liturgie réformée, et qui viennent vous dire : « J’ai beaucoup aimé cette cérémonie. C’est plus proche de nous, plus humain. Je ne suis ni catholique, ni protestant, mais si on m’obligeait à choisir, je me ferais plutôt comme vous. » Parole aimable pour notre liturgie, évidemment. Parole qui montre que quelque chose du mouvement de la bonne nouvelle a été entendu ; cette bonne nouvelle qui vient à la rencontre des hommes au lieu de rester distante. Mais il reste une fermeture, un blocage, quelque chose qui résiste à la pénétration plus intérieure de l’Évangile. Comprendre, c’est ouvrir une fissure dans le chemin, pour qu’une graine au moins y pousse. Le sol pierreux Le deuxième terrain dont parle Jésus, c’est le sol pierreux. Jésus évoque les persécutions, la détresse, comme des tests qui montrent que la parole était mal enracinée. La question est la suivante : que signifie, pour Jésus, le fait d’avoir des racines dans la foi, dans l’accueil de la parole du Royaume ? Jésus évoque quelque chose qui tient dans la durée, comme un mariage solide par exemple. Il y a certainement une dimension d’attention, d’effort, de patience. D’abnégation parfois. Mais au delà de cette énergie de la volonté, au-delà de ce combat spirituel, l’enracinement a quelque chose à voir avec l’essentiel qui nous est vital. Si vraiment c’est vital pour nous, si nous l’avons éprouvé et compris, alors nous pouvons traverser les épreuves, supporter des aléas désagréables ou compliqués, en restant bien centrés sur l’essentiel. Un jour, lors d’un mariage, le photographe professionnel qui était de service a confié ces paroles : « moi, la religion, j’y connais rien. Mais dans les photos que je fais, je donne tout ce que je suis, tout ce que je peux. Je le ressens comme un véritable partage. J’entre à fond dans ce qui se vit, dans ce qui se passe entre les mariés, et avec les invités ; j’essaye de le ressentir au plus profond de moi, et ensuite je redonne ça dans les photos. C’est toute ma vie. » Voilà un véritable artiste, quelqu’un pour qui la photo n’est pas seulement une compétence sympathique et professionnelle, mais une nécessité vitale. Il a des racines dans la photo. À nous de nous passionner de la même façon pour le Christ, pour la parole du Royaume ! Et ce que nous partagerons avec les autres sera vraiment formidable. Les épines On arrive enfin dans les épines. Mais vous avez compris que le parcours proposé par Jésus n’est pas un parcours initiatique. On ne passe pas forcément par toutes les étapes ! C’est plutôt une galerie de portraits, qui propose de s’identifier, qui permet l’interpellation. Alors voici les épines : les préoccupations du monde, l’attrait pour la richesse, dit Jésus. Les épines qui empêchent aux tiges de porter du fruit. La question que nous pourrions entendre est ici : qu’est-ce que c’est, porter du fruit ? Cela a un rapport avec la conversion, avec le changement de comportement. Quand Jésus commence à prêcher la Bonne Nouvelle du Royaume, il dit : « convertissez-vous, changez de comportement, car le Royaume des cieux s’est approché » (Matt 4,17). La parole du Royaume est une parole de changement. La parabole, elle aussi, est un langage de changement. Jésus vient à nous pour nous faire changer, pour nous transformer à son image. Le but de la lecture biblique, le but de la prédication, le but du témoignage, ce n’est pas que nous disions : « ah, finalement j’ai bien fait d’être ce que je suis, de croire ce que je crois, de faire ce que je fais. » Ça n’intéresse pas Jésus de savoir, à la fin du culte, si la prédication était bonne, ou pas. Ce qui intéresse Jésus, c’est de savoir ce que sa parole change en nous. Ce qu’elle vient consoler peut-être, ou bousculer, ou appeler à modifier dans nos liens, dans nos décisions. Le fruit de la parole, ce n’est pas la satisfaction que nous avons de l’avoir entendue, c’est le changement qu’elle produit en nous. Notre photographe de tout à l’heure disait aussi : « j’ai été sensible à certaines choses dans la cérémonie, mais bon, je suis non croyant. Moi, mon dieu, c’est la photo. J’ai vu pas mal de choses, ce n’est pas maintenant à 45 ans que je vais changer. » Quel dommage ! Souvent les gens ont une idée terrible de la conversion, comme une sorte d’embrigadement. Ils n’imaginent pas que l’Évangile n’est pas un appel à rejoindre telle ou telle Église, à s’imposer telle ou telle morale, mais un appel à se laisser transformer progressivement et joyeusement par le Christ. Le Christ, au centre On en revient à notre point de départ. Le Christ, dans sa barque, présence fragile et forte à la fois sur la masse inquiétante des flots. Celui qui fait porter du fruit en abondance. Nous n’échapperons pas à des réactions intérieures de fermeture à l’Évangile, à des résistances intérieures au changement. Mais si nous nous passionnons pour Jésus, le Christ, alors tout devient possible. Le semeur y croit, plus fort que tout autre. Quel est ce semeur qui jette sa semence dans les endroits les plus ingrats, c’est-à-dire dans nos vies ? C’est celui qui croit, plus fort que nous-mêmes, que des fissures peuvent s’ouvrir dans le chemin, que des racines peuvent contourner les pierres, que des épines peuvent être enlevées, et qu’il faut finalement bien peu d’espace à la graine pour qu’elle germe, grandisse et porte du fruit. C’est ce petit espace là, cette petite fissure, ce petit défrichage, qui nous sont demandés. La pluie et le soleil de Dieu feront le reste. [1] A. MAILLOT, Les paraboles de Jésus aujourd’hui, Genève : Labor et Fides, 1973, p. 18-22. [2] P. BONNARD, L’Évangile selon Saint Matthieu, Genève : Labor et Fides, 1992, p. 189-190