Dix mille habitants restent à Daraya. Un bon millier résiste, dont Shadi et ses amis, Jihad, Ahmad… La première année, les vivres récupérés dans les maisons et les supermarchés éventrés permettent de survivre. Il faut ensuite gagner en secret la ville voisine, au péril de sa vie, pour trouver des denrées. Shadi se procure une caméra.
En 2014, le régime semble renoncer à prendre la ville, « pendant quelques mois, on a été tranquille ». Shadi et ses amis exhument des décombres des milliers de livres, trient, rangent, numérotent et installent une bibliothèque clandestine . On y débat, on parle paix, liberté et démocratie. « À la fin du siège, les soldats d’al-Assad ont tout détruit ! »
En août, les bombardements reprennent, plus violents. Fin 2016, les résistants de Daraya sont contraints de quitter la ville, la mort dans l’âme. Shadi est transféré dans un hôpital de Turquie. À Daraya, il a été gravement blessé à la main par un éclat d’obus. « Ma main ne bougeait plus. » Un autre éclat s’est fiché dans la caméra qu’il portait autour du cou. « Elle m’a sauvé la vie. » Shadi a frôlé la mort maintes fois mais n’estime pas être un héros : « Je voulais simplement rester pour filmer, faire quelque chose. » En sortant de l’hôpital, il rejoint sa famille à Istanbul.
Shadi passe un an et demi auprès des siens mais veut quitter la Turquie, « on ne pouvait pas se déplacer, je voulais recommencer ma vie ». Une amie lui parle de l’IRAP[1]. L’association lui demande s’il veut partir en France. Shadi hésite. Il ne parle pas la langue, ne connaît personne. Il a peur. « J’ai pensé que j’allais dormir dans la rue, on disait qu’il y avait beaucoup de racisme en France, mais je n’avais aucun avenir en Turquie. »
La FEP trouve une famille d’accueil à Bordeaux, et Shadi arrive en France en juillet 2019. Très vite, il obtient l’asile. Shadi reste presque deux ans chez Jean-Pierre et Annie. « Ils sont devenus comme mes parents. Ils me présentent comme leur fils syrien. » Shadi apprend le français. En 2021, il intègre une école de journalisme à Paris. « C’était dur, mais on m’a aidé. »
Depuis plusieurs mois, Shadi est caméraman free lance pour une maison de production à Paris qui fait des reportages dans le monde arabe. Il aimerait décrocher un CDI. Il rêve de filmer les migrants installés en France. « Il y a des gens qui pensent que les réfugiés viennent en France pour l’argent, je veux montrer qu’ils sont obligés de quitter leur pays parce qu’ils sont en danger. »
Si le régime changeait, Shadi pourrait retourner en Syrie. « Un jour, Bachar al-Assad sera jugé, mais quand ? » En attendant, il a demandé la nationalité française.
Brigitte Martin (article de la revue Protest-e N° 177, 06.2024, p.28)