Reprise

 

Notes bibliques

Introduction au Livre de Marc 

 Pour cette brève introduction, je me suis inspiré du livre de Simon Légasse, intitulé l’Évangile selon Marc, volume 1 (cerf 1997), que je vous propose, entre autres, de consulter.

  1. Origine et auteur

Le second Évangile est destiné, semble-t-il, à des communautés pagano-chrétiennes. Il est héritier d’une tradition nettement ancienne, par rapport aux autres Évangiles, une tradition qui ignorait les événements des années chaudes de l’histoire juive (60 à 70).

L’attribution de l’œuvre à Marc vient de Papias (vers 120-130). Marc aurait été, en compagnie de Pierre, à Rome où il aurait écrit son livre. Ce témoignage est peu fiable. Il est peu probable aussi que l’auteur soit ce jeune homme qui accompagnait Paul pendant un moment au cours de sa mission. À cause de nombreux latinismes qu’on découvre dans ses écrits, on peut toutefois penser que, d’origine palestinienne, l’auteur avait émigré à Rome et y trouva une communauté chrétienne assez vivante au sein de laquelle et pour laquelle, avant tout, il composa son Évangile.

  1. Ses sources

On peut distinguer dans l’œuvre de Marc deux types de documentation :

Un groupe de données traditionnelles déjà mises par écrit ;
Un groupe de traditions véhiculées oralement dans les premières communautés chrétiennes.

 

  1. Structure et orientation interne

La structure du livre est très peu évidente. Toutefois, on peut observer, dans sa “biographie de Jésus”, une division géographique qui répartit globalement les œuvres du Christ entre la Galilée et Jérusalem.

On constate une première rupture en 8,29 où Pierre confesse sa foi. A partir d’ici le récit s’oriente plus nettement vers la Passion et la Résurrection.

Une autre coupure est visible à l’arrivée à Jérusalem (11,1), inaugurant le séjour de Jésus dans la Ville Sainte.

Plus nettement encore, on discerne, dans le développement de l’œuvre, des sections assez cohérentes :

1,1 à 1,15: prologue
1,16-45: aperçu de l’activité de Jésus
2,1 à 3,6: triomphes de Jésus et complot des adversaires
3,7 à 8,26: ensemble unifié par le motif de la barque sur le lac et les miracles des pains
8,27 à 10,52: ensemble unifié autour des trois annonces de la Passion et le cheminement vers Jérusalem
11 à 13: activité de Jésus à Jérusalem

Dans son ensemble, l’Évangile de Marc est tourné vers la Passion.

 

Bibliographies

Simon Légasse, L’Évangile de Marc, tome 1, Cerf 1997
Daniel Marguerat, Introduction au Nouveau Testament, Labor et Fides, 2001
Jean Valette, L’Évangile de Marc, tome 1, Les Bergers et Les Mages, 1986
La TOB (traduction œcuménique de la Bible), Introductions.

 

Pour lire Marc 6

La coupure du texte proposée par Parole pour tous  (versets 30 à 34) me paraît assez brutale. Il me semble plus cohérent d’intégrer pleinement dans l’élaboration et l’annonce du message le récit du miracle lui-même (versets 35 à 44).

Essayons de discerner l’unité et la cohérence interne de ce chapitre, qui, au premier abord, ne sont pas évidentes.

1 à 6a : L’Évangile, dont le Christ est la fois l’objet et le porteur, est rejeté par les siens.
 
6b à 13 : L’envoi en mission fait suite à ce refus. Revêtus de l’autorité même du Christ, les Douze sont appelés à porter la Bonne Nouvelle du Royaume partout. L’engagement à cette tâche exigera de la part de chacun : sacrifice, humilité et courage.
 
14 à 29 : Telle une parabole, le récit de l’assassinat de Jean le Baptiste est introduit entre le départ des Douze et leur retour, pour évoquer le sort d’un prophète et insister sur la nécessité de la croix dans le domaine du témoignage évangélique. Jean est mort en tant que prophète « juste et saint ».
 
30 à 44 : Les disciples sont alors conduits au désert pour comprendre le sens profond de cette mission : nourrir les brebis de Jésus, en donnant de sa propre vie, tel que Jésus lui-même a donné sa vie pour le salut de la multitude. Le miracle des pains symbolise avant tout le don ultime de sa vie, appelle à la communion à sa mort et à sa résurrection.
 
45 à 52 : C’est une parole d’exhortation. Jésus marche sur la mer. Celui qui envoie a le pouvoir sur toutes choses. Il vient au secours des siens et leur dit : « Confiance, n’ayez pas peur ». C’est le second aspect du message que Jésus voulait communiquer à travers le miracle des pains, mais que les disciples n’avaient pas saisi tout de suite.
 
53 à 56 : En conclusion, Marc présente les disciples suivant Jésus dans sa mission : Christ est la surabondance même de la grâce divine. C’est lui qui les conduit dans cette tâche et c’est lui qui agit.

 

Prédication

Marc 6, v. 30 à 44

Les apôtres rentrent de leur première mission, comme d’un premier “stage” ; ils étaient apparemment satisfaits. Jésus leur propose de partir avec lui dans un lieu désert, pour se reposer. Mais le fait que ce soit lui-même qui suggère ce départ nous fait entrevoir chez lui un autre objectif plus secret. Serait-ce pour les inviter à aller plus loin ? Et jusqu’où ? Une chose s’avère d’emblée évidente : leurs vacances tombent à l’eau, dès le départ, à cause d’une foule nombreuse qui les poursuivait, venant de partout. Une foule acharnée, affamée de sens. Une foule délaissée, oubliée, perdue, « telles des brebis qui n’ont pas de berger » (34), qui leur fit oublier leur propre faim. La compassion envahit soudain le cœur du Maître. Alors, le “bon Berger”, longtemps rêvé, longtemps espéré, se mit à l’œuvre et nourrit son peuple, abondamment, d’une nourriture qui vient d’en haut et qui dure pour l’éternité : la Parole de Dieu. Une étape capitale est franchie dans la marche avec le Christ : de simples prédicateurs itinérants, les apôtres se voient maintenant invités, à travers ce geste, à devenir eux-mêmes “bergers”. Mais “être berger” implique aussi quelque chose de sublime, que le miracle du pain nous révélera.

Pour saisir le sens profond de ce miracle, il nous faut revenir au récit du meurtre d’un prophète, à savoir Jean, que Marc, subitement et habilement, avait introduit entre la fin du “stage” préliminaire et ce nouveau départ. A sa lecture, on se rend compte bien vite que ce meurtre nous est raconté de manière à nous rappeler un autre crime : la crucifixion de Jésus. La mort de Jean était celle « d’un homme juste et saint », victime de l’orgueil humain. Ce qui lui arriva en cette soirée d’anniversaire lugubre fut comme le signe annonciateur du destin du Sauveur. Le rapprochement était facile, d’autant plus que Marc s’adressait, semble-t-il, à une communauté qui avait connu, elle aussi, la dure épreuve de la persécution. Une scène nous frappe en particulier dans ce rituel tragique, à cause de la solennité des gestes accomplis et de sa cruauté : « Le garde alla décapiter Jean dans sa prison, il apporta la tête sur un plat, il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère » (28). L’image presque irréelle d’un “festin” satanique, accompli au nom de la haine, qui se déroule à l’antipode d’un tout autre Festin auquel Marc nous conduit. Au cœur de cet enfer résonne paradoxalement, de la bouche même de Hérode, le mot “résurrection” (16). C’est vers un Festin de vie que nos cœurs sont dirigés.

Les disciples interviennent auprès de Jésus, alors qu’il était encore en train d’enseigner, pour lui demander de se tourner vers un problème plus matériel et plus urgent : comment nourrir cette foule immense ? La meilleure solution, lui suggèrent-ils, serait de les renvoyer dans les villages des environs afin qu’ils s’achètent eux-mêmes de quoi manger. Raisons évoquées : l’endroit est désert et la nuit va tomber. Jésus prend au sérieux leur conseil, mais il va transformer radicalement leur proposition initiale, en y intégrant un désir tout autre qui, sur le plan humain, s’avère complètement irréalisable : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Face à ce commandement inattendu, les disciples avouent leur impuissance : ils n’avaient évidemment pas le moyen d’y répondre, dans la mesure où ils sont eux-mêmes bien pauvres. Jésus le savait. Mais la tâche qu’il leur confie ne consistera pas à trouver beaucoup de pains et beaucoup d’argent. Il s’agit simplement de donner ce qu’ils avaient : cinq pains et deux poissons. C’est tout ce qu’ils possédaient, c’est tout ce qu’ils avaient pour vivre. Alors, avec confiance et obéissance, ils le lui apportèrent. A l’image de la veuve de Sarepta qui partagea avec Élie son dernier pain de survie (I Rois 17, 8-16), ou de cette autre veuve pauvre qui avait accompli, elle aussi, cet acte grandiose qui signifie : faire offrande de soi-même, simplement (Marc 12,41-44).

Nous sommes au cœur de l’Évangile : Jésus demande aux Douze d’installer la foule sur l’herbe verte, « par rangée de cent et de cinquante ». Voici le nouveau Moïse qui guide son peuple ! Voici le bon Berger qui paît son troupeau. Prenant les cinq pains et les deux poissons et levant les yeux vers son Père, il prononce la bénédiction, rompt les pains et les donne à ses disciples, pour qu’ils les offrent à la foule. Il ne s’agit pas ici d’un simple repas. La communauté postpascale de Marc y voit, avec une nette évidence, le Christ en train de partager la Cène avec la foule. Son regard est tourné vers la croix. Elle se souvient du don ultime de sa vie. Oui, ce grand Festin du désert était une invitation à la communion à la mort et à la résurrection du Sauveur. A travers ce repas, Jésus nourrit la multitude de son amour, de sa vie, par pure grâce. A travers cette fête, il annonce la bonne nouvelle : « Le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la multitude » (Marc 10 : 45 ; 14 : 24).

Ils mangèrent tous et furent rassasiés… Signe merveilleux de la surabondance divine. Prémices d’une plénitude de bonheur. Marc n’avait aucun doute sur l’authenticité de ce miracle : il croit au pouvoir créateur du Fils de Dieu. Celui qui a guéri les malades et les infirmes est capable de donner aux humains le bonheur ici-bas. Et ce bonheur, il le veut pour tous ses frères et sœurs de la terre. Mais pour lui, le rassasiement corporel n’est pas une fin. C’est une grâce qui est accordée à l’homme, pour le diriger vers une toute autre source, celle d’une vie qui ne s’éteint jamais, pour ouvrir son cœur à la communion vivante avec le Christ. Le festin de la terre, pour celui qui croit, est un “sacrement”, un signe, un appel, une invitation à l’espérance. Il ne le considère pas comme un bien auquel il s’accrocherait à tout prix. Il arrive même qu’au nom de son attachement au Crucifié, il soit amené à renoncer à tout bien, à toute richesse, afin d’offrir aux autres sa propre vie comme “repas”, comme don, à la suite de Celui qui a souffert toute sa vie et a donné son corps, sa vie, pour lui.

Maintenant, tout est clair à nos yeux : Christ avait conduit ses disciples au désert, et leur avait demandé, là-bas, de nourrir eux-mêmes ses “brebis”, non pas pour répondre à des besoins purement matériels, mais pour les initier à ce don absolu de soi, à ce sacrifice. Ils avaient participé à son miracle, en apportant leur pain de pauvreté, en installant la foule sur l’herbe verte, en recevant ensuite de ses mains ces mêmes pains, après la bénédiction, pour qu’ils les partagent à tous ceux qu’il aime, non pas pour le seconder simplement dans son service, mais pour les entraîner dans cet acte absolu qui consiste à donner la Vie à travers sa propre vie, pour les appeler à marcher à sa suite, sur le chemin de la croix, et leur apprendre enfin que le meilleur pain que l’on puisse donner à ses frères et sœurs ici-bas est celui de l’amour et du sacrifice de soi, à travers lequel ils découvriront l’amour infini du Père.

« Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Aujourd’hui, Dieu nous envoie, nous aussi, dans le monde pour venir au secours de ses brebis abandonnées, qui luttent pour survivre au milieu de nos terribles déserts où le manque de justice et d’humanité grandit de jour en jour, où les carences d’amour tuent. Il ne suffit pas pour nous de prêcher les bonnes paroles. Il nous faut agir, nous engager dans la bataille, nous livrer corps et âmes. Mais n’oublions pas : il ne s’agit pas simplement de remplir des ventres affamés, il faut aimer, aimer de sa vie et l’offrir en “sacrement”.

Amen