Version actualisée de la prédication (10/03/2022) :
LUC 9,28-36 La Transfiguration de Jésus selon Luc : récit foisonnant
Version actualisée/guerre en Ukraine (invasion russe) et la menace de Poutine sur l’Europe… qui ne doit cependant pas nous faire négliger les autres violences plus lointaines et les autres désastres humanitaires. Introduction supplémentaire « On est bien là haut » et quelques modifications sur le parcours de la prédication
Avant lecture : signaler, un texte lumineux toujours donné en plein Carême
Titre : un « break » nécessaire pour la suite
On est bien là-haut
Frères et sœurs,
nous aussi « on est bien là-haut » dans notre bulle sur la montagne avec Jésus, avec ce texte. Nous aussi comme les trois disciples on est bien dans un temps de culte, et on fait pause sur les infos en boucle, sur la guerre en Ukraine, la menace Poutine sur l’Europe, ces réfugiés qui arrivent ici en masse ayant perdu du jour au lendemain une vie presque normale, et peut-être laissé là-bas des morts et des vivants. Et ce n’est pas la seule guerre dans ce monde aujourd’hui, on le sait bien, et ce n’est pas non plus le seul désastre : il y a encore Madagascar[1], dévastée en janvier par des tempêtes alors que l’île était déjà en situation de survie alimentaire. Et…tout ça, c’est sans compter nos drames familiers.
Alors oui, on est bien là-haut, à l’écart, dans une bulle, extraits un moment de tout ce qui nous dépasse et surtout nous rend impuissants. Et comme les trois disciples on n’a pas trop envie d’en sortir. Mais ne culpabilisons pas non plus d’y être. Car si l’expérience lumineuse sur la montagne est donnée à Pierre, Jean et Jacques c’est pour mieux les équiper à… ce qui vient, à la suite, à ce qu’il faudra retrouver, en bas de la montagne. C’est pour mieux nous équiper à traverser les ténèbres. L’aube de Pâques ne vient qu’après cette traversée. Quand l’aube entre dans la nuit, on le sait : la frontière est floue et …
Sortie de limites
…tous ceux et celles qui ont fait une Expérience de Mort Imminente (une « E.M.I » comme on le dit en français) racontent être parvenus près d’une lumière qui les a accueillis.
Parmi ceux et celles qui ont fait cette expérience de mort imminente, beaucoup racontent qu’il leur a été difficile de revenir. Et ils n’osent pas trop raconter ce qui s’est passé ou ne savent pas comment le faire.
Quand les trois disciples Pierre Jean et Jacques vivent la transfiguration de Jésus sur la montagne, font-ils ce genre d’expérience?
En tout cas d’après les paroles de Pierre, ils n’ont pas envie de retourner ailleurs : « Il est bon que nous soyons ici -dit-il à Jésus- dressons trois tentes une pour toi une pour Moïse une pour Elie ».
Cependant, comme ceux et celles qui font une expérience de mort imminente, l’histoire n’est pas finie, il leur faudra redescendre de la montagne et reprendre le chemin. Que garderont-ils de cette expérience-limite qu’ils ont vécue ensemble? Comment cette expérience pourra impacter ou non la suite du chemin qu’ils auront à vivre avec Jésus, puis sans Jésus ? Trois évangiles nous écrivent cette expérience donc elle a été racontée et elle a été marquante[2] pour les premières communautés chrétiennes.
Ne rejetons pas d’emblée ce qui nous est étrange. Ça l’était déjà pour Pierre Jean et Jacques. Des expériences de sortie des limites ça peut arriver. Certaines demandent des exercices spirituels mais ce que nous dit l’évangile ici, c’est que l’expérience n’est pas choisie ; en général dans les évangiles et les lettres de Paul[3] il n’y a jamais de recherche d’expériences extra-ordinaires mais quand ces expériences perturbantes arrivent, comment les interpréter et les intégrer sur un chemin de disciples du Christ ?
Expérience de résurrection imminente (E.R.I)
On a du mal quand les frontières entre les mondes sont minces, quand nos repères se brouillent, du moins dans notre culture. Dans la culture orientale et la tradition orthodoxe par exemple, les croyants sont invités à entrer dans une dimension plus « cosmique » où le visible et l’invisible ne sont pas dans des mondes séparés.[4] Il n’y a pas que les trois disciples qui sont dans un entre deux, ce récit l’est aussi. Il arrive après ces paroles de Jésus : « certains ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu »[5].
On peut comprendre alors que les trois disciples sur la montagne se croient presqu’arrivés à cette apothéose.
Mais ce récit arrive aussi juste avant un récit de guérison difficile en bas de la montagne, où les autres disciples sont en échec pour répondre à un père qui demande la guérison son fils épileptique.[6]
Enfin, ce récit lumineux surgit aussi entre deux annonces de Jésus sur sa souffrance et sa mort- sa Passion[7].
Il va donc y avoir une traversée des ténèbres même si la mort ne sera pas le point final.
La Transfiguration de Jésus c’est donc une E.R.I, une Expérience de Résurrection Imminente. Mais ce n’est pas encore la résurrection puisque le corps de Jésus est encore là, puisque la mort n’a pas eu lieu mais qu’elle est annoncée comme faisant partie de l’accomplissement : dans cette vision, Moïse et Elie parlent avec Jésus de son départ, littéralement de son exode, de sa sortie qui allait s’accomplir à Jérusalem. L’événement est donc là pour nous préparer à ce qui vient. (en sautant l’exemple personnel, reprendre ci-dessous à « On va donc d’exode en exode… »)
Je me souviens d’une paroissienne que j’allais visiter des matins à l’hôpital pendant qu’elle recevait des transfusions sanguines, pour lui donner un peu d’énergie dans un cancer en stade terminal. Un matin elle me dit sans trop oser en parler clairement mais dans un sourire complice : « Solange il faudra qu’on parle de ma sortie ». Je lui ai répondu comme si je ne comprenais pas « D’accord, c’est vrai… mais laquelle ? Car tu sais bien qu’on n’arrête pas de sortir depuis qu’on sort du ventre de notre mère ». « C’est pas faux » m’a-t-elle répondu.
On va donc d’exode en exode, de sortie en sortie pour reprendre ce qu’un père de l’Eglise, Grégoire de Nysse disait ainsi : on va « de commencement en commencement vers un commencement qui n’a pas de fin »
Doxa et exodos : la gloire et le chemin
Cet événement sur la montagne est sûrement une révélation pour les disciples mais pas pour Jésus : la nuée les recouvre eux, la voix qui parle c’est pour eux et si Jésus change d’aspect et apparait en trois hommes c’est pour eux.
Tout arrive pour que les disciples comprennent cet événement comme une pleine manifestation de Dieu à travers l’homme Jésus[8] .
Cette montagne réunit donc sur un même espace/ l’explosion des limites du temps : Moïse et Elie qui ont eux aussi fait une expérience personnelle de Dieu sur une montagne, deviennent contemporains de Jésus et ils parlent de sa sortie à Jérusalem comme accomplissement de la Loi représentée par Moïse, et de la Prophétie représentée par Elie.
Aujourd’hui sur la montagne, l’expérience mobilise les trois disciples avec tout leur corps. C’est d’abord leur vue qui est sollicitée puis leur écoute quand ils sont « bus » par la nuée.
VOIR (la gloire)
D’abord ils voient que Jésus change de visage et que ses vêtements deviennent blancs, éclatants. Puis dans cette lumière ils voient qu’ils sont trois puisque Jésus est avec deux hommes qu’ils identifient comme Moïse et Elie.
Cette lumière n’est pas naturelle et elle signale que tout ce qui se vit, ne se voit pas à l’œil nu ou à l’œil ordinaire.
Il arrive parfois dans nos vies des événements étonnants et fugaces qui nous équipent pour assumer ce qui vient. Bien sûr… on ne le sait pas encore ; c’est quand on se retourne sur l’événement traversé qu’on le comprend, qu’on voit comment on a été porté pendant la traversée et qu’on perçoit un accomplissement. Il n’y a aucune recette pour se préparer à ça : Dieu seul décide des signes qu’il envoie. Et du comment et du moment. Du moins d’après les évangiles.
Ce matin, l’évangile nous offre donc un éclat de lumière, un brin de gloire à garder au fond de nous pour vivre plus tard le choc /sur une autre montagne celle du Golgotha, où Jésus sera de nouveau entre deux hommes, des brigands cette fois et crucifiés avec lui. L’un des deux, qu’on appellera le bon larron, lui lancera cette prière:
« Jésus souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume » et Jésus lui répondra « Amen je te le dis : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » [9][10]
La vraie vie, le royaume avec Dieu peut donc commencer même sur une croix, même dans des moments extrêmes, si Jésus est reconnu comme celui qui peut faire pour nous toute chose nouvelle/ quelle que soit la situation qu’on vit, /toute chose nouvelle comme on ne peut même pas l’imaginer l’instant d’avant.
Ensuite l’évangile de ce matin nous appelle aussi à garder en mémoire les vêtements éclatants pour le matin de Pâques, où des femmes seront accueillies au tombeau de Jésus par deux hommes en vêtements éclatants aussi ; cette fois, le troisième, Jésus, ne sera plus là et les deux autres diront aux femmes : « pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?
Il n’est pas ici il a été réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé lorsqu’il était encore en Galilée… » [11]
La vraie vie, avec Dieu c’est donc trouver ou retrouver le Christ parmi les Vivants. On ne parle pas d’un mort mais d’un vivant.
Et si on ne sait pas le retrouver, c’est au moins faire chemin avec les autres et lui saura nous retrouver en chemin comme il l’a fait avec deux disciples désorientés sur le chemin d’Emmaüs. Tout est donc donné par avance mais tout ne se comprend pas à l’avance.
Même quand on ne comprend pas, Dieu nous offre des signes et des paroles par avance/ pour nous équiper à ce qui vient. C’est la générosité de Dieu et j’allais dire c’est sa prévenance[12] même si le mot n’est plus guère entendu aujourd’hui.
ECOUTER (la voix de Jésus comme un chemin)
Puis vient la nuée qui recouvre les disciples, qui les « boit », qui brouille ce qui se voit et qui enlève de l’éclat, mais qui focalise encore sur Jésus, par la voix. De la nuée une voix explicite qui est cet homme que les disciples ont sous les yeux, et leur demande de l’écouter car cet homme trace un chemin. C’est bref et précis.
Cependant, dans le verbe « écouter » il y a en grec tout un programme : il s’agit d’apprendre, de comprendre et d’assimiler. Et pour écouter, donc apprendre, comprendre et assimiler ce que Dieu vient vivre avec nous…il faut faire du chemin avec ce Jésus. Du chemin jusqu’à ce que Jésus comme Christ passe définitivement le relais à ses disciples, pour travailler le règne de Dieu sur terre.[13]
Voir et entendre sont donc complémentaires pour vivre en disciples. Et la lumière ne va pas sans le chemin[14]. C’est une dynamique. La gloire ne va pas non plus sans un exode où on est sans cesse tiré en avant[15].
Les clins d’œil lumineux comme cette expérience sur la montagne de la Transfiguration, les clins-dieu peuvent survenir mais ils ne se multiplient pas non plus, faut pas exagérer ! …Faut pas les banaliser non plus.
Le reste du temps il s’agit seulement d’être fidèle à ce qui a été entr’aperçu dans un éclat de lumière et d’évidence, même si on traverse une situation qui explose nos repères, qui nous tourmente, et nous fait souffrir[16]
(Possibilité de stopper la prédication ici sans la partie sur la prière)
POUR CONCLURE… PRIER ou s’accrocher à Jésus
Facile à dire, pas facile à vivre. Alors l’évangile nous ouvre une piste : la prière. La prière comme lien qui nous accroche à Jésus lui-même en lien avec Dieu.
Dans ce texte, c’est quand Jésus est en prière, que son visage prend un autre éclat pour ses disciples et que s’ouvre cette expérience dite de la Transfiguration. C’est la prière de Jésus qui rend aussi possible notre prière et qui nous ouvre le chemin. Quand on n’a pas ou quand on n’a plus d’éclats lumineux sur notre route, s’accrocher à la prière pour ne pas être perdus.
Et quand on est perdu quand même, et quand on ne sait plus comment prier, s’accrocher à cet homme Jésus, qui pour nous a rompu les frontières entre ciel et terre… jusqu’à ouvrir le paradis à un brigand à l’heure de mourir.
Si nous ne pouvons plus prier, oui nous raccrocher à Jésus car nous sommes au bénéfice de sa relation avec Dieu. Nous accrocher à Jésus comme ce père qui se jette dans cette prière pour la guérison de son fils : « Je crois viens au secours de mon manque de foi ».
(Quel que soit l’état de notre foi, de notre confiance, l’évangile aujourd’hui nous propose de nous accrocher à Jésus : il est pour nous le point d’ancrage dans ce monde et dans l’autre.)
Amen
[1] Newsletter du DEFAP jeudi 10 mars 2022 : « Loin de l’Ukraine, le drame de Madagascar
[2] Luc 9,28-36// Marc 9,2-10, puis Matthieu 17,1-9
[3] 2 Corinthiens 12,1-10
[4] Credo de Nicée Constantinople/ proposition de le mettre en confession de foi dans ce culte
[5] Luc 9,27
[6] Luc 9,37-43
[7] Luc 9,22 et Luc 9,44-45
[8]Exactement : une théophanie puis donc une christophanie.
[9] Luc 23,39-43
[10] Cette réponse semble faire écho à cette parole de Jésus à ses disciples : « certains ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le règne de Dieu » Luc 9,27
[11] Luc 24, 5-6
[12] Délicatesse de Dieu, politesse de Dieu, bienveillance
[13] Ce sera alors le temps de l’Esprit saint : Ascension et Pentecôte… marcher selon l’Esprit
[14] Voir dans Pistes pour liturgie
[15] Comme le dit l’épître aux Hébreux/Comme on le lit ailleurs dans la Bible : « La foi c’est la réalité de ce qu’on espère, l’attestation des choses qu’on ne voit pas. C’est par elle que les anciens ont reçu un bon témoignage. Par la foi nous comprenons que les mondes ont été formés par une parole de Dieu de sorte que ce qu’on voit ne provient pas de ce qui est manifeste » Hébreux 11,1-3
[16] Ce sera Getsémané où ces trois mêmes disciples choisis par Jésus pour veiller et prier avec lui, n’auront pas la force et cette fois dormiront pour de bon