Notes bibliques & Prédication
Cher Ami(e) prédicateur,
Par manque de temps et par inclination personnelle, je n’ai pas produit en parties bien distinctes les notes bibliques et la prédication. Vous trouverez ci-dessous un texte qui peut se lire tel quel devant une assemblée, et qui pour d’autres servira d’aide à une réflexion et une création personnelle. Si vous optez pour une lecture telle quelle, je vous propose de ne pas lire à haute voix les passages en italiques. Les textes bibliques peuvent éventuellement être lus au fur et à mesure que vous avancez. Si cette prédication ne vous convient pas, je voudrais juste vous demander de ne pas laisser le passage de l’épître sans commentaire. Le risque de mal l’entendre est trop important. Soit on en parle, soit on ne le lit pas. Je le vois ainsi, pour le reste, c’est à vous que l’Église a confié la responsabilité de l’interprétation de l’Écriture pour ce dimanche. Bon courage et bonne inspiration.
Bien fraternellement, AM
Ésaïe 66, 18-21 Ces avant-derniers versets du livre d’Esaïe datent du retour de l’exil. Le dernier verset est assez violent, mais correspond à un aspect du passage lu chez Luc, donc si vous voulez lire le livre jusqu’au bout, cela permettra de faire des liens : les deux textes comportent menace et promesse.
Les destinations des missionnaires sont des destinations lointaines : Tarsis est en Espagne et est la ville phénicienne la plus éloignée avec laquelle des liaisons maritimes sont entretenues. Les autres noms correspondent probablement à des régions de l’Afrique du Nord orientale, de la Grèce, de la Turquie et du Proche–Orient. Globalement, on pourra lire que les missionnaires Israélites iront un peu partout pour annoncer la gloire du Seigneur. Tous les fidèles se réuniront autour de Jérusalem, le nationalisme aura pris fin mais le culte du Seigneur se poursuivra sur la montagne sacrée, à Jérusalem. Ce qui compte, ce n’est pas le lieu de naissance, mais l’appartenance au seul Seigneur. Voilà le fruit de la remise en question de l’identité nationale et religieuse provoquée par l’Exil babylonien : la prise de conscience – ou plutôt l’approfondissement de l’idée – que le Dieu d’Abraham et de sa descendance veut être le Dieu de tous les humains.
La même certitude s’exprime dans le Psaume 117. C’est le psaume le plus court du psautier, mais un des plus vastes par son contenu. On peut toutefois se demander si les nations doivent louer le Seigneur à cause de sa fidélité envers la nation d’Israël, ou envers chaque peuple : autrement dit : c’est qui, le « nous » du deuxième verset ? A l’Esprit Saint de vous le souffler.
Hébreux 12, 5-12 nous plonge dans une question de fond : Si Dieu est Père, de quelle manière ressemble-t-il aux pères que nous connaissons ? Ou encore : dans le texte biblique, qu’est-ce qui relève de la culture de l’auteur, et qu’est-ce qui relève de l’inspiration de l’Esprit Saint ? Avec ce que je sais aujourd’hui sur l’éducation des enfants je ne peux accepter que Dieu soit compris comme un père maltraitant, ni même que la violence domestique soit banalisée. Car en grec le verbe au verset 6 qui est parfois traduit par « il châtie » a bien la même racine que le mot « fouet » (mastigoo – mastix). Rien ne nous permet de douter qu’il s’agisse aussi de sévices corporels quand il est question de « corrections ». Malheureuse langue qui utilise le même mot, « paideuo », pour dire « éduquer, former, instruire » et « châtier, corriger ». Pauvres enfants, dont l’éducation était impensable sans violence. Détail intéressant : dans les évangiles, Jésus n’est pas désigné comme « paidagogos », mais comme « didaskalos », un mot pour dire maître-enseignant qui n’a pas la connotation violente du mot grec qui a donné notre mot pédagogue.
Comment fonctionne le raisonnement de l’épître ? L’auteur observe que les pères de son époque « corrigent » leurs fils à coups de fouets. Il a appris à se méfier de son propre ressenti qui lui dit que les coups sont source de tristesse, pour n’avoir que des pensées autorisées par son père. « C’est pour ton bien que je te frappe : oui, papa, merci papa. » Puisque Dieu est Père, il se dit : mais voilà, le mal qui m’arrive, c’est sûrement mon Père céleste qui me l’inflige pour me remettre sur le bon chemin. Cette manière de penser induit une attitude servile et une peur devant la recherche de solutions créatives pour des problèmes inédits. Dieu « Père fouettard » aura pour enfants des êtres craintifs et légalistes, qui a leur tour essayeront de cadrer leurs enfants et leurs subordonnés à l’aide de la violence. Les exemples sont abondants, un roman néerlandais récent sur le sujet est un grand succès de librairie (Jan Siebelink, Knielen op een bed violen, 2005). L’association EMIDA au Cameroun aide des parents à se défaire de ce genre de déformation de l’amour parental – voir Mission n° 157, janvier/février 2006. La violence envers les enfants est aujourd’hui un problème de santé publique dans le monde entier et source d’une culture de la violence qui menace la paix. Le Conseil Œcuménique des Églises s’est engagé dans une décennie pour surmonter la violence. L’OMS propose, pour réduire la violence dans le monde, l’enseignement aux parents du rôle de parent. C’est que depuis les temps de l’épître aux Hébreux, la pédagogie a heureusement fait des progrès qu’il s’agit maintenant à faire partager au plus grand nombre.
Certains lecteurs prendront le raisonnement de l’auteur pour « parole de Dieu » dans son intégralité, d’autres le rejetteront en bloc. Ni l’une ni l’autre option n’est satisfaisante. L’auteur est très nettement tributaire de sa culture, comme nous sans doute, et pourtant nous pouvons lire ce texte comme le témoignage d’un frère en Christ qui essaye de comprendre ce que nous aussi nous voulons comprendre. D’abord, il incite le lecteur à se comporter en fils. Il ne lui vient pas à l’esprit que le fils fouetté reproduira forcément un comportement violent envers ses propres fils, au sens propre ou figuré, ou encore envers lui-même. Il espère, malgré sa tristesse et sa douleur, que les coups de fouet feront porter un fruit de paix et de justice à celui qui les subit. Aujourd’hui nous savons que la violence ne peut engendrer que de la violence. Le mal ne s’explique pas comme une bonne intention de Dieu qui « corrige » les chemins erronés de ses enfants. Dans la Bible, Dieu à maintes reprises est décrit comme posant une limite à la violence humaine : Caïn n’est pas condamné à mort après avoir assassiné son frère Abel. Il aura une vie difficile, mais il aura une vie et une descendance. Les épreuves de Job ne sont pas l’œuvre de Dieu. Ce n’est pas le Père qui crucifie le Fils mais il est celui qui le ressuscite. Si Dieu était à la fois l’auteur du bien et du mal, lui faire confiance serait une démarche d’autodestruction. Ce ne peut être l’intention du Créateur. Avec l’épître aux Hébreux, nous aussi nous pouvons croire et espérer que Dieu veut que nous portions des fruits de paix et de justice. A nous de chercher des attitudes et des manières d’éduquer nos enfants qui concrètement portent du bon fruit, sans nous sentir obligé de reproduire des attitudes qui dans l’histoire ont fait preuve de leur inefficacité.
Dieu est bon et il n’y a en lui aucun ombre du mal. Pourtant, Luc 13, 22-30 nous donne un portrait de Jésus pas tendre. Être bon n’exclut apparemment pas d’exprimer de la colère. Qu’est-ce qui se passe ? Jésus enseigne sur le chemin qui le mènera à Jérusalem, à la croix. La fin du passage fait écho à la prophétie d’Esaïe 66, c’est pourquoi les deux lectures sont faites le même jour. Le Royaume de Dieu sera ouvert aux gens de partout, et pas d’abord ni exclusivement aux juifs ou aux gens de la Palestine. L’enseignement est facile à résumer : pour être sauvé, il faut s’abstenir de faire l’injustice ou le mal (vs 27), quels que soient vos ancêtres. Jésus le dit de façon rude, probablement porté par une déception et même une colère. Nous sommes donc bien obligés d’entendre que la colère de Jésus n’est pas un mal en soi. En exprimant une menace Jésus espère une prise de conscience et un retournement. Il dit à la fois sa colère et son espérance. Des apôtres contemporains de la non-violence s’en inspirent : « Cessez d’être gentils, soyez vrai » titre un livre de Thomas d’Ansembourg interviewé dans « La Vie » au printemps 2007. Et oui, c’est grave ce qui se passe dans le monde. Tout ses « braves gens » qui laissent passer des énormités. Il y a de quoi se mettre en colère, y compris contre soi-même. Jésus avertit, il condamne une attitude, mais il n’organise pas une répression violente qui va remettre les choses en ordre à l’aide de gardes-chiourme. La justice du Royaume n’a rien à voir avec un état policier. Jésus nous montre la violence des pacifiques. Ne pas mâcher ses mots et renvoyer chacun à ses responsabilités. Voilà la méthode des prophètes. C’est dangereux, ça peut finir avec un assassinat. Mais ne pas dire ce qu’on a sur le cœur, c’est dangereux aussi, ça finit avec une déprime, un ulcère, que sais-je… Jésus condamne l’injustice mais par son exemple il autorise l’expression d’une saine colère. Exprimer ce qu’on ressent n’est pas un mal, tant que cela se passe dans le respect de l’interlocuteur.
Et heureusement que le portrait d’aujourd’hui n’est pas le seul portrait que nous avons de Jésus. Nous connaissons aussi Jésus qui accueille, qui guérit, qui console. Il peut être vraiment gentil – vrai et gentil à la fois. En fait, il est toujours gentil au sens ancien de « noble de cœur », mais il n’est pas toujours gentil au sens moderne de « agréable et plaisant ». Jésus, vrai homme, a plusieurs visages. Il est vrai et traverse donc comme nous des émotions de toutes sortes. Il est tellement vrai qu’il n’a pas peur de sa propre colère. Au lieu de le garder en lui et de se laisser ronger par elle, il l’exprime et comme ça les choses sont claires.
Jésus dit : « Celui qui m’a vu, a vu le Père » (Jean 14, 9). En regardant Jésus, nous pouvons avoir une petite idée de qui est Dieu, une petite idée bien plus sûre que ce que donne l’observation quotidienne des pères de ce monde. Les colères de Dieu sont des colères constructives. Elles nous autorisent à ressentir nous aussi de la colère face à l’injustice. Elles libèrent nos énergies pour aller de l’avant pour préparer les chemins du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. Dieu est un bon berger qui nous conduit vers la vie en abondance. Sur ce chemin, il n’y aura pas que de la colère. Il y aura aussi beaucoup de joie, de gratitude, de tendresse à vivre entre frères et sœurs, parents et enfants, hommes et femmes, compagnons de voyage. Allons de l’avant, dans l’assurance que notre Dieu ne permettra pas qu’un seul des ses petits ne périsse. Amen