Notes bibliques
Petites notes sur l’épître

Auteur
Les églises, qu’elles soient d’orient ou d’occident, catholique ou de la réforme, ont chacune défendu leur point de vue, les unes attribuant clairement épître à l’apôtre Paul les autres la lui refusant sans toutefois contester sa place dans les écrits du nouveau testament. Aujourd’hui les exégètes sont assez unanimes sur le fait que le texte n’est probablement pas de l’apôtre L’allure générale de l’épître, tant au niveau du style littéraire que du vocabulaire ou des citations à profusion de l’ancien testament, ne correspond pas vraiment au tempérament de Paul. Cependant il est vrai que le contenu témoigne d’une compréhension du Christ, de la foi, de la persévérance et de la consécration assez paulinienne. De ce fait on peut avec Luther attribuer cette épître à un compagnon de Paul.

Destinataire et projet
Là encore les choses sont floues. Le nom d’Hébreux est donné alors qu’il n’apparaît nul part dans le texte. Cependant le contenu de l’épître notamment sur l’appel à la persévérance et au progrès dans la foi, laisse supposer que cette lettre était destinée à des communautés chrétiennes qui étaient sans doute en passe de revenir à des pratiques cultuelles anciennes. L’auteur démontre avec force que revenir à des pratiques sacrificielles équivaut à crucifier le Christ à nouveau. C’est-à-dire à oublier ce pour quoi il est mort et ce que sa mort révèle.

Structure
Si, au premier abord, la structure et le style semblent difficiles à cerner, il apparaît pourtant que l’épître est remarquablement construite. Outre une composition symétrique, l’auteur utilise des procédés littéraires bien particulier, comme l’inclusion, la répétition, les parallélismes, l’annonce du sujet ou encore l’utilisation d’un vocabulaire caractéristique comme par exemple dans le chapitre 11 l’emploi intensif du mot « foi ». Il s’en dégage alors sur chaque thème une insistance très caractéristique

 

Chapitre 11, versets 1 à 19

Contexte
Juste avant notre texte, il est rappelé avec le chapitre 10 que le seul sacrifice qui sauve le croyant, c’est la mort du Christ. Toutes autres formes de sacrifice, toutes autres tentatives de s’approcher de Dieu, différentes sont vaines. Christ est le seul médiateur. S’en suit alors une exhortation à vivre devant cette mort scandaleuse et par la foi.

Texte
Le chapitre 11 dans sa totalité est rythmé par un mot : « pistis » (foi). Avant d’aller plus loin dans le texte il convient donc de comprendre ce mot.

Le terme grec prend racine dans l’indo-européen « bheidh » traduit en grec par « pith » qui exprime une idée de confiance mais aussi de persuasion.
La racine « pith » signifie : attacher. Elle a donné un verbe : « Peithô » qui au transitif signifie : persuader, convaincre, fléchir, à l’intransitif : croire, se fier, se confier, s’en remettre à quelqu’un et en voie moyenne : se fier, se laisser persuader, obéir à quelqu’un, croire, être engagé, déterminé (dictionnaire Bailly)
Le mot « pistis » s’est vraisemblablement construit sur cette racine. Et traduit les noms foi, confiance, fidélité, serment, engagement et le verbe pisteuô : Croire, se confier, se fier.
Le latin quant à lui traduira pistis par « fides » qui signifie : foi, croyance, confiance, fiance (qui a donné fiancé) ou fidélité.
(Cette indication et particulièrement intéressante pour la prédication car le mot latin « fides » n’a aucune connotation religieuse ; il provient du vocabulaire profane, et évoque la simple confiance que l’on peut avoir en quelqu’un. Avoir confiance en Dieu n’a donc rien de religieux ! avoir confiance est un acte naturel, simple, comme l’enfant a confiance en ses parents. La relation à Dieu est donc affirmée comme une relation « banale » !)

L’ensemble du texte est donc ponctué par ce terme. À la lecture de ces quelques versets, l’impression qui s’en dégage est donc que l’auteur tente de témoigner de la nature de la foi. Témoigner dans le sens où il n’en donne pas une définition. Il ne la limite pas par des mots, il en révèle simplement les traces dans l’existence de croyant.
V.1- La foi ne peut pas être une preuve, elle est seulement garantie de la réalité de ce que l’on croit. Elle est assurance ou certitude à la fois toujours fragile qu’un autre est le fondement de notre existence.

Des versets 4 à 12 puis 17 à 19 on note une succession d’exemples qui affirme finalement la bienveillance de Dieu pour l’humanité.
Les exemples choisis témoignent chronologiquement que la foi est moteur de leurs actions, mobile de leur comportement.

Ces exemples concernent Abel, Hénoch, Noé puis Abraham. L’ancien testament ne parle de foi pour aucun d’eux. Notre texte en revanche attribue chaque action/situation à un acte de foi. Nous sommes donc là en présence d’un écrit qui relit sa propre histoire à travers une interprétation chrétienne. Cette relecture affirme avec force que la foi dont le sujet est commun à l’ancienne, comme à la nouvelle alliance. Que Christ est là avant même que les acteurs ne le connaissent. Qu’il est révélé par l’Esprit.

La foi se manifeste sous plusieurs aspects. Avec l’offrande d’Abel, la foi est expression d’une espérance : espérance que si quelque chose vient à arriver, Dieu se charge de rétablir la justice. Avec l’exemple d’Hénoch, la foi se présente sous la forme d’une promesse. Noé, quant à lui, prouve sa foi en construisant une arche. Dans sa foi il agit en vue de l’avenir, mais non pas un avenir qu’il espère mais un avenir qu’il redoute. La foi est ce qui lui permet d’échapper à un avenir dramatique. Avec Abraham, elle est ce qui met en route, en mouvement et en chemin tant géographique que spirituel.

Dans chacun de ces exemples la foi apparaît comme ce qui permet à l’homme de traverser la mort sans y mourir. C’est à dire avec la promesse que la mort n’est pas la fin de l’existence. Cette idée de mort vaincue, voire contournée par la foi est relayée par les versets 13 à 16. Il y apparaît que les promesses de Dieu se réalisent : il les accueille car toute leur vie, par la foi, ils ont espéré que le monde, création de Dieu, ne soit pas celui qu’ils voient mais celui qui est à venir.

 

Pistes pour la prédication

Ce passage n’est pas évident à prêcher car très vite le lecteur est submergé par les exemples de foi qui, très concrets, semblent déjà tout dire. Il y a pourtant deux passages particulièrement forts dans cette lecture proposée : les versets, 1 à 3 et 13 à 16.

Sur le premier groupe et avec les exemples donnés pour étayer les propos (la foi comme espérance avec Abel, comme promesse avec Hénoch, comme amour pour les juste avec Noé), le prédicateur peut s’abandonner à un exercice assez difficile mais passionnant : dire ce que peut être la foi. L’auteur de l’épître ne s’y est pas risqué et à juste titre car la foi ne s’enferme pas, ne se représente pas, ne s’exprime pas d’une seule façon, mais à travers l’étymologie même du mot, il y a de quoi souligner justement la diversité de la foi. On peut en même temps en révéler la fragilité et en souligner la force. Fragilité tout comme la parole que des fiancés s’échangent dans le secret de leur amour et force car plein de la confiance que l’on dépose au creux d’un autre. Cette fragilité se retrouve dans la relation que l’on peut nouer avec Dieu tout comme cette force qui nous est donnée par l’expression même de notre confiance. C’est l’occasion aussi de souligner que la foi, c’est la seule et unique réponse que le croyant peut donner à la grâce qu’il a reçue. C’est aussi la seule et unique possibilité de nouer une relation en vérité (c’est-à-dire sans chercher à obtenir quelque chose) avec Dieu.

Le verset 3 peut lui aussi nous aiguiller sur une autre possibilité de prédication. Montrer que le monde étant projet et création de Dieu ce que l’on voit n’est pas la réalité. Ce verset peut donc être l’occasion d’exhorter l’assemblée à accepter que ce qui fonde l’autre n’est pas ce qu’il fait, mais ce qu’il est : un être humain, un enfant de Dieu, tout comme soi-même. Il donne l’occasion de rappeler que le salut n’est pas dans ce que nous faisons, mais dans ce que nous sommes : des êtres croyants, confiants.

À travers les versets 13 à 16 il est également possible d’orienter sa prédication sur l’idée justement que le royaume n’est pas de ce monde, que le croyant n’est que voyageur, mais que le monde à venir se construit dès aujourd’hui. Non pas pour celui à venir mais pour le monde présent.

Enfin on remarque une chose, c’est que l’ensemble de ces versets témoigne d’une certitude : celui qui met sa confiance en Dieu (que révèle Jésus Christ) a la vie éternelle.

J’ai choisi quant à moi de prêcher sur la nécessité d’accepter que seule la foi nous suffit pour être enfant de Dieu.

Prédication

Vivre sa foi sans « au cas où » !
On entend parfois autour de nous des personnes dire avec un certain dédain ou avec curiosité que finalement c’est plus simple de croire que de ne pas croire ; parce que croire, c’est un peu se soustraire aux responsabilités de ce monde, une manière de vivre en dehors des réalités et en bonne conscience car justifié par Dieu. Et l’adage de Luther : simul peccator, simul justus, en même temps pécheur et en même temps justifié, a plutôt tendance à confirmer la pensée de ceux qui estiment que la foi est une solution de facilité.

Et s’il n’y avait que Luther ! Mais non ! Histoire de rendre les choses un peu plus compliquées dans la démonstration de ce que représente réellement la foi, c’est-à-dire un don, mais pas pour autant une solution de facilité : à première lecture, le chapitre 11 de l’épître aux Hébreux renforce quelque peu l’impression que la foi est une solution de facilité. Au fil des exemples donnés, la foi apparaît certes fabuleuse, mais aussi et surtout profondément avantageuse pour soi, pour son existence, alors qu’au contraire elle doit être avantageuse pour l’autre, par rapport à l’autre, dans le sens où elle libère du souci de soi.

Notre texte donne donc peut-être le sentiment que la foi permet d’obtenir des choses que les autres n’ont pas. Ainsi la foi permet à Abel de crier vers Dieu même après sa mort, afin que justice soit faite. Ainsi la foi, c’est ce qui permet à Hénoch de se soustraire à la mort. Ainsi la foi, c’est ce qui permet à Noé de sauver une partie de la création sous la promesse d’une fabuleuse prospérité.

Dans ce chapitre, la foi semble donc fabuleuse : elle offre la possibilité d’obtenir tout ce que n’importe quel être humain rêve ou désire sans même oser le formuler. La foi semble donc fabuleuse, et en même temps elle apparaît inégale, voire injuste. Elle permet à Hénoch de ne pas connaître les méandres de la mort, mais elle n’épargne pas Abel… autrement dit il vaut mieux avoir la foi d’Hénoch que celle d’Abel !

À la lecture de ces quelques mots, nous avons peut-être l’impression que la foi est avant tout un don intéressant à posséder. Qu’elle nous offre des possibilités hors du commun, et, comme le dit le cantique, qu’elle renverse les plus hautes murailles…

Pourtant –vous vous en doutez certainement, ce n’est pas du tout là le projet de notre auteur ! Il faut remettre le texte dans son contexte. L’épître aux Hébreux a probablement été écrite pour des chrétiens, juifs d’origine, qui tentent de vivre honnêtement sous la nouvelle alliance, mais qui en même temps gardent quelques éléments de l’ancienne.

Autrement dit, ils acceptent que Christ par sa mort accomplisse ce qui doit être accompli et par-là révèle la toute-puissance de Dieu –c’est-à-dire son amour et son pardon, et, en même temps, ils se laissent aller à des pratiques anciennes, telles que des petits sacrifices faits ici et là juste… pour le cas où.

« Au cas où » ! Que ne faisons-nous pas « au cas où » ! En restant très terre à terre, on refait le plein d’essence au cas où on se perdrait en cherchant la route du temple, on prend une bouteille d’eau avant de partir en randonnée au cas où il ferait chaud, on s’abonne à des aide-mémoire qui nous téléphonent pour nous prévenir des anniversaires à fêter au cas où on oublierait, on fait une petite prière avant un événement ou une situation particulière au cas où Dieu existerait, certains se rendent à Lourdes au cas où Dieu aurait la bonne idée de faire un miracle, pendant les guerres de religions les catholiques hésitaient souvent à brûler les temples au cas où Dieu y serait quand même un tout petit peu ; le peuple hébreu, lorsque Moïse est sur le mont Sinaï et reçoit les tables de la loi, se construit un veau d’or « au cas où »…

« Au cas où », nous faisons quand même beaucoup de choses, peut-être même parfois des œuvres ! C’est une façon comme une autre de s’assurer par soi-même que tout fonctionne comme on l’attend, comme on l’a projeté, comme on a envie de le vivre. Mais vivre « au cas où », c’est vivre en n’ayant confiance qu’en soi-même. Ce que l’on ne perçoit pas toujours, c’est que ce « au cas où » est en fait le meilleur moyen de se perdre…

Tout d’abord parce que ce n’est pas aussi fiable que l’être humain a tendance à le croire. Certes notre société aime à répéter que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, et nous avons sans doute tous pu le vérifier un jour ou l’autre dans nos vies, mais penser de la sorte, vivre en se prenant en charge à 100% implique que l’on endosse toutes les responsabilités de ce que l’on est, c’est prendre le risque de s’épuiser, de se détruire aux yeux du monde à la moindre faiblesse, ou encore de se replier sur soi. Mais c’est aussi et surtout oublier la grâce libératrice que Dieu nous offre.

Alors comme aux Hébreux, l’auteur de cette épître nous affirme qu’il ne peut y avoir dans la foi de « au cas où » qui tiennent. Lorsque l’on s’abandonne au Christ, on ne peut pas vouloir aussi se sauver par soi-même, que ce soit par des sacrifices, des privations, des peines ou autres !

Dieu n’attend pas de nous que nous soyons toujours meilleurs, performants ou combattants. Il attend de nous que nous déposions notre foi, notre confiance en lui. Il attend que nous lâchions prise et qu’à la manière des fiancés qui s’échangent leur amour dans la fragilité des mots, mots où se dit la confiance pour une vie à deux, nous lui exprimions toute notre confiance, notre foi pour nous et ce monde qui vient.

Alors certes croire en Dieu, mettre sa confiance en un autre, radicalement autre que soi, peut sembler une solution de facilité pour le monde. Certes cela paraît simple, voire simplet aux yeux de certains, pourtant croire, déposer sa foi en Christ, n’est pas évident. Accepter de se déposséder soi-même de l’histoire de son salut, accepter que ce soit un autre qui s’en charge, accepter que son identité provienne d’une parole d’adoption et non de soi, ce n’est pas si facile.

Croire, avoir confiance en Dieu, c’est renoncer à se justifier soi-même. C’est renoncer à s’assurer soi-même de son salut, de son identité. Croire, avoir la foi, dans une société qui ne prêche que le « je suis ce que je fais, ce que je montre de moi », ce n’est donc pas si simple. Pourtant, c’est vraiment là qu’est la vie, la liberté.
Amen !