ndlr : Christian Barbéry ne distingue pas entre notes et prédication : le prédicateur devra composer sa prédication à partir des trois parties, soit en reprenant l’ensemble, soit, si c’est trop long, en retenant ce qui lui paraît important dans chacune des parties.

 

Notes bibliques – Prédication
Notes bibliques à partir de l’épître aux Galates ch. 2 et actualité de la justification par la foi

Paul aborde dans ce passage de sa lettre aux Galates une question cruciale tant au 1er siècle qu’au 16ème siècle et même aujourd’hui. C’est ce que je voudrais montrer par ces quelques notes. En résumé, Paul dit que « ce n’est pas en observant la Loi que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus-Christ ».
On appelle cette affirmation de Paul la « justification par la foi ». De quoi s’agit-il ? Pour bien comprendre, je propose une étude biblique du texte de Galates, dans un second temps ce que Luther lui-même disait sur la justification par la foi et enfin proposer quelques pistes pour actualiser le message de la justification.

 

Première partie : notes bibliques sur Galates ch. 2, 16 à 21
Quand on pense au mot « justice », on a immédiatement l’idée de la balance qui pèse le pour et le contre et arrive, dans la limite des capacités humaines, à une décision juste.
La racine hébraïque « tsadaq » d’où sortent les mots juste, justice, justification, a un sens beaucoup plus profond. Elle décrit une attitude de l’homme en face de Dieu et des autres. Le « tsadiq » est certes un homme pieux, mais aussi un homme de bien. Le mot « tsadaqa » veut tout aussi bien dire la piété que la charité ou l’aumône.

Le premier juste dans la Bible est Noé (Gen 7, 1). « Oui, je t’ai vu, toi, un juste face à moi ». Le texte indique que cette justice n’est pas abstraite ou issue d’un jugement. Elle décrit une situation devant Dieu et devant les autres. En effet, cette justice est liée au salut de l’humanité perdue, grâce à l’arche que bâtit Noé.
Sur le mot « juste » ou « justification » et pour reprendre une image, nous pouvons encore affirmer que ces termes ne se rapportent pas à la justice sociale (même si cela n’est pas complètement étranger) mais à la justesse d’un instrument : est juste, l’homme qui correspond au projet de Dieu comme un instrument sonne juste quand il est bien accordé.
Dans la Genèse, Abraham est le second juste parce qu’il a fait confiance à Dieu simplement qui lui proposait d’entrer dans son alliance. « Abraham eut foi dans le Seigneur et cela lui fut compté comme justice ».
Dieu renouvelle son alliance au SinaÏ en donnant à Moïse les tables de la Loi : désormais et concrètement pour le peuple, il s’agit de se conformer au projet de Dieu qui consiste à observer la Loi. Peu à peu, la Loi a pour fonction de modeler les hommes de l’Alliance en vue de les rendre « justes ».

Le second juste est donc Abraham et Paul s’en souvient (Gen 7,1) : « Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme justice » (Rom. 4,3). Ce qui est intéressant dans ce texte qui reprend la Genèse, c’est la liaison faite entre foi (au sens de confiance) et justice. Alors que dans l’Occident, elle est liée à l’exactitude qui apparaît dans les motivations d’un jugement par exemple, elle est chez Abraham comme la conséquence d’une attitude devant Dieu.
La justice d’Abraham est également une justice pour les autres. C’est lui qui n’hésite pas à reprendre Dieu menaçant Sodome et Gomorrhe. C’est le fameux décompte de justes de 50 à 10.
La justice est présentée dans la Tora (près de 45 fois) et surtout dans le Deutéronome. Elle a une relation complexe avec la libération. Avant l’épisode du veau d’or, le texte de Deut. 9,4 dit : « ne dis pas, c’est parce que je suis juste que le Seigneur m’a fait entrer prendre possession des terres ».
Le livre où elle apparaît le plus est le livre des Psaumes avec en particulier le Ps 37 qui est considéré comme le psaume du juste et de la justice. 10 fois le mot y est.
Ex : « le salut des justes vient du Seigneur, il les libère, les aide, les sauve… »
Il y a aussi des justes dans le NT tels Zacharie et Siméon. Curieusement, Jésus n’est pas dénommé juste sauf deux fois : Mt 27,19 et Luc 23,47. Dans ce dernier exemple, c’est le centurion qui confesse après la crucifixion : « sûrement cet homme était juste ». C’est dans ce contexte qu’il faut prendre les phrases de Paul parlant de justification.
Avec Paul, et la venue de Jésus, une étape nouvelle est en effet franchie : être juste, c’est-à-dire accordé au projet de Dieu, c’est désormais croire en Jésus-Christ puisqu’il est l’envoyé de Dieu.
Évidemment, la question qui va faire couler beaucoup d’encre dans la première Église est de savoir concrètement s’il faut continuer à pratiquer la circoncision, les nombreuses règles de pureté de la religion juive, en bref, à observer la Loi ?

En ce qui concerne la circoncision, la question se régla vite : Paul raconte même aux Galates (début de notre chapitre) qu’à l’occasion d’un voyage à Jérusalem, les Apôtres n’exigèrent pas la circoncision de son compagnon Tite, un Grec chrétien issu du paganisme. (Galates 2,3). La décision fut prise au cours de ce même voyage que les paÏens qui souhaitaient devenir chrétiens n’avaient pas à être circoncis.
Plus tard (à peine), une querelle sur le même sujet opposa Pierre et Paul. Cela se passait à Antioche de Syrie, une communauté très mélangée qui comprenait d’anciens juifs (judéo-chrétiens) et aussi d’anciens païens(pagano-chrétiens). Pierre, de passage, dans cette communauté n’avait vu aucun inconvénient, lui le juif d’origine, à prendre ses repas avec des pagano-chrétiens. Ce faisant, il transgressait les règles alimentaires du judaïsme. Mais voilà que des amis de Jacques, le responsable de la communauté chrétienne de Jérusalem, de passage aussi à Antioche, s’étaient montrés plus que réticents à cette idée : pas question de ne plus respecter nos règles religieuses traditionnelles. Traduisez qu’il faut faire « table à part ». Les chrétiens d’origine juive d’un côté et les chrétiens d’origine païenne de l’autre. Et face à cette pression des amis de Jacques, Pierre s’est mis à faire « table à part » lui aussi (Galates 2,12-13).

C’est alors que Paul s’est opposé ouvertement à Pierre sur ce sujet. Il le raconte dans sa lettre aux Galates et dit qu’un tel comportement ne peut que diviser la communauté.
Mais le problème n’est pas seulement une question de division entre les chrétiens. Paul percevait un enjeu beaucoup plus grave. Si on suit les judéo-chrétiens qui souhaitent respecter les règles du judaïsme, cela veut dire que le Christ ne sauve pas les hommes, puisque pour être reconnu juste devant Dieu, il faut observer des quantités de pratiques. « Si c’est par la loi qu’on devient juste, alors Christ est mort en vain ».
Bien sûr, Jésus n’est pas mort en vain puisque Dieu l’a ressuscité. Sa résurrection prouve que la Loi est dépassée, ou en tous cas un mauvais usage de la Loi, l’usage que les hommes en ont fait. Par exemple, en condamnant Jésus au nom de la Loi. C’est le sens de la phrase « Grâce à la Loi, j’ai cessé de vivre pour la Loi afin de vivre pour Dieu ».
Traduisez : j’ai cessé de dépendre de la Loi, de me croire obligé de l’appliquer dans les moindres détails. Le vrai « juste », accordé au projet de Dieu, c’est le Christ, celui qui s’est confié au Père. Cette confiance s’est manifestée jusqu’au bout.

Deuxième partie : La justification par la foi chez Luther
Le génie de Luther est de mettre en évidence l’importance de la foi. Il le fait à partir des épîtres aux Romains et des Galates.
Pour Luther, la foi est autre chose qu’un ensemble de croyances ou qu’un simple sentiment religieux. C’est autre chose que l’appartenance extérieure à une Église ou l’accomplissement de certains rites. La foi est avant tout un acte de confiance, confiance à une promesse qui a été traduite par la parole biblique.

Quel est l’objet de la foi selon Luther ?
On peut dire « croire à quelque chose » ou « croire en quelqu’un ». Mais dans le Credo, le Je crois en Dieu, l’objet de la foi est une personne. La foi vise le Dieu vivant, envisagé comme Père, Fils et Esprit.
Pour Luther, cette foi suffit car elle met l’homme dans une relation nouvelle devant Dieu. Mais soyons plus précis. En 1514, Luther découvre la doctrine de Paul sur la justification par la foi. A sa suite, il affirme que celui qui est justifié par la foi, vivra. Luther, angoissé par les exigences de la colère de Dieu, essayait de se conformer le mieux possible aux exigences morales et religieuses de l’Église ; mais il avait le sentiment d’échouer dans ses efforts. Les efforts sont liés aux œuvres. Comme Paul, Luther a découvert que l’homme n’est pas justifié, sauvé par ses œuvres, mais par la foi seule.
Dans son commentaire de l’épître aux Galates, la distinction entre la foi et les œuvres est très vivante. Même si pour nous aujourd’hui cela semble ne pas avoir grand sens, il y a pourtant quelque chose de très important dans cette affirmation et qui dépasse largement la dimension religieuse. Nous y reviendrons.
Nous pouvons aussi ajouter que cette question a été l’objet d’une déclaration commune en 1999 à Augsbourg entre l’Église catholique romaine et les Églises luthériennes. Cette déclaration est un « consensus » dans les vérités fondamentales sur la justification ».

 

Troisième partie : la justification par la foi aujourd’hui
Quand Paul parle de la justification, il pense à celui qui est condamné par la loi et que Dieu libère. La seule chose nécessaire au coupable, au condamné, c’est qu’il ait confiance en cette parole, qu’il se lève, qu’il pousse la porte de sa prison pour voir si elle est vraiment ouverte. S’il fait cette démarche, il peut sortir libre, même s’il a été condamné. Voilà l’image mentale de Paul.
A l’époque de l’apôtre, Paul rencontre des païens qui se sont convertis non pas au christianisme, car il n’existait pas encore, mais à cette foi en Christ comme Messie. Fallait-il que ces nouveaux convertis obéissent à la Torah dans sa totalité ? Cette polémique s’est concentrée comme nous l’avons vu sur la circoncision. Ce n’est pas notre souci majeur aujourd’hui. Mais c’est très important à l’époque. Paul se lève contre cette exigence des chrétiens d’origine juive ? Il estime que les chrétiens d’origine païenne ne doivent pas être soumis à la loi juive. Toute l’épître aux Galates contient cette protestation de Paul. Son refus d’une telle exigence a eu une grande importance pour l’histoire de toute l’humanité. Ce refus a empêché le christianisme de devenir un courant au sein du judaïsme. Il a permis de faire éclater le germe universel qui se cachait dans le judaïsme, chez les prophètes par exemple. La vision du Mont Sion vers lequel, un jour, toutes les nations vont affluer est l’exemple de l’universalisme en germe.
Paul fait éclater ce germe en disant que personne n’est obligé de suivre les 613 commandements pour devenir chrétien. La seule chose demandée est la foi en la promesse de Dieu incarnée en Jésus. C’est donc une libération de toute contrainte religieuse, libération d’un clergé juif, etc. L’homme est désormais seul devant Dieu. Tout dépend de sa relation à Lui et non pas de sa relation à une loi.
Luther a découvert cette libération et en fait le centre de sa théologie. Il dit bien que l’homme n’est pas libéré par la charité ou par l’obéissance à une loi religieuse, mais par la foi, par sa confiance en une parole qui circule librement et en dehors du cadre religieux.
Pour nous aujourd’hui, nous pouvons entendre cette libération à d’autres niveaux. L’homme n’est pas sauvé par la morale mais par la foi en cette promesse de Dieu. Notre époque est marquée par une inflation éthique, commissions d’éthique, scandales nombreux… en témoignent. Mais l’éthique, c’est encore vivre sous la loi, l’effort et au niveau de la charité. Tout le monde bien sûr est d’accord pour dire qu’il faut aimer son prochain, mais le problème est de savoir ce que cela veut dire. Quand Luther dit que l’on n’est pas sauvé par la charité, mais par la foi, il change de registre pour se situer au niveau de l’Évangile.
Le point de départ est le suivant : dans mes efforts pour vivre selon une certaine morale, je réalise qu’il peut exister des échecs. C’est une expérience humaine universelle. Ces échecs proviennent de mes limites, de l’incompréhension des autres et cette expérience humaine de l’échec engendre la déception, l’amertume, les regrets.
Au cœur d’une telle expérience, nous avons besoin d’entendre une petite voix qui dit que l’on n’est pas valorisé par ce que l’on fait, par ce que l’on subit, mais par ce que l’on reçoit d’un autre. Quels que soient nos talents, on est reconnu et accepté, d’une manière inconditionnelle pour le dire avec Paul Tillich, un peu comme l’enfant est reçu dans sa famille tel qu’il est.
Cela attire l’attention sur un trait de notre existence qui a deux pôles : le pôle qui tourne autour de ce que nous faisons (l’agir) et le pôle qui tourne autour de ce que nous recevons. Dans ce côté passif, il y a tout ce qui nous accable, tout ce qui empêche de vivre et aussi ce qui nous fait vivre.

Ma conviction est que nous oublions l’importance de ce que nous recevons et qui « porte » notre existence quotidienne. IL ne s’agit pas bien sûr de prôner une vie végétative, il faut agir sinon on est malheureux, mais comme le dit Paul, « Qu’est-ce que tu as que tu n’aies reçu ? »
Cette précédence (on est né dans une famille, on habite un pays, on reçoit une éducation, une culture, etc.) traduit ma relation à Dieu. Qu’on le sache ou pas, Dieu est le nom de cette réalité qui nous « porte » et rend possible notre action, notre vie. Dès que l’on admet cette possibilité, on quitte le registre de la loi pour entrer dans le registre de l’évangile et de l’Église. La justification par la foi se situe dans ce dernier registre, elle se situe dans ce que l’on reçoit, dans la gratuité et la grâce. Que Dieu nous mette au cœur l’assurance d’être justifié (rendu juste) non par nos mérites, mais notre confiance, en dépit de nos échecs.

Pour aller plus loin, je vous conseille le livre de Flemming Fleinert-Jensen, Entre l’effort et la grâce, Essai sur la justification de l’homme, Cerf, 2005.