Notes bibliques
Ce Ps appartient au groupe homogène des psaumes 146-150, psaumes de louange, commençant et finissant tous par Alléluia qui signifie : Louez le Seigneur. Cette exhortation répétée encadre trois parties :
1- v 1- 2 : exhortation et engagement à louer le Seigneur
2- v 3 –5 : un fondement à la louange résumé par une opposition : la foi en l’homme est vaine. En revanche, s’appuyer sur le Dieu de Jacob est source de bonheur.
3- v 6 –10 : 12 raisons de louer le Seigneur ou 12 points pour confesser qui il est.
On note l’alternance entre les impératifs pluriels : Louez le Seigneur ! v 1 Ne comptez pas sur les princes v 3, adressés à une assemblée. Elle est personnifiée au v 10 : Il est ton Dieu, Sion (autre nom de Jérusalem). L’individu apparaît aussi. Il s’exhorte lui-même v 1 puis s’engage : je louerai…, je jouerai v 2.
La 3ème personne domine cependant, d’abord pour décrire le fidèle, celui qui a pour aide le Dieu de Jacob v 5, mais surtout pour décrire le Seigneur. La description en 12 points est 6 fois avec le sujet Le Seigneur, 6 fois avec le pronom personnel il.
Contexte, datation : la datation précise n’est pas possible mais les commentateurs situent ce Ps après l’exil à Babylone. Il contient plusieurs citations d’Isaïe mais aussi d’autres Psaumes.
On peut supposer primitivement un contexte liturgique : le Ps est adressé à la communauté réunie pour célébrer le Seigneur, sans doute à Jérusalem (Sion du v 10).
Analyse de chaque partie :
1- Le premier mot est un impératif qu’il est bon de traduire. Alléluia signifiant Louez le Seigneur, le Ps s’ouvre sur une exhortation collective. Le verbe signifie précisément : crier de joie, acclamer. L’appel est donc à une manifestation joyeuse, audible pour célébrer le Seigneur.
Mais aussitôt, l’individu apparaît, interpellé avec le même verbe louer (répété 3 fois donc dans les v 1 et 2). Attention, l’âme n’est pas une partie de l’homme mais une des façons de parler de la totalité de l’être humain, en insistant sur sa situation de manque et de nécessité. L’âme signifie l’être humain en tant qu’être de désir. « Âme » sert aussi à désigner le lieu et le siège des impressions psychiques, des émotions, des désirs. Ici, la personne se parle à elle-même et on pourrait paraphraser : « Toi, qui est en manque, en recherche, qui a soif de relation, loue le Seigneur ! ».
L’exhortation de toute l’assemblée implique et appelle l’exhortation personnelle, en premier lieu, de celui qui exhorte. A ce niveau il n’y a pas de justification à la louange. Elle est comme un impératif qui s’impose au fidèle. Le dialogue interne inauguré par cette « auto-exhortation » se poursuit par la réponse de celui qui s’est lui-même interpellé. Le v 2, construit avec un parallèle typique de la poésie hébraïque dit en effet l’engagement à la louange en retour à l’appel. En parallèle au verbe louer apparaît le verbe jouer ou psalmodier. Deux expressions similaires disent un engagement pour toute l’existence.
2- Choisir son appui : l’opposition est posée entre d’un côté l’humain et en premier lieu, les « grands hommes » (princes, notables) et de l’autre, le Dieu de Jacob, c’est-à-dire le Dieu d’Alliance, le Seigneur d’Israël. Le verbe employé dans la négation est très fort : ne mettez pas votre foi, ne croyez pas, ne vous confiez pas en…Il s’agit d’une confiance totale, ultime.
Les princes ou notables sont les gens influents, qui ont du pouvoir. Mais le Ps souligne que ce ne sont que des humains. Un jeu de mot en hébreu dit leur inconsistance. Homme traduit, en fait, l’expression les fils d’Adam c’est-à-dire les fils terreux qui retourneront à la terre (adama) : allusion à l’homme, adam, formé de la terre et qui retourne à la terre en mourant. Alors, leurs projets, leurs desseins disparaissent. Le pouvoir humain n’est qu’illusion en ce qui concerne le salut (réalité sociale, politique et pas seulement spirituelle : Dieu délivre son peuple historiquement). Le pouvoir humain est limité comme la vie de l’homme.
Une béatitude, la dernière dans le livre des Ps qui s’ouvrait déjà sur un « Heureux ! », est en opposition à cette affirmation sur l’homme. Le bonheur, la béatitude consiste pour l’être humain à mettre son espoir dans le Seigneur, le Dieu de l’alliance reconnu comme son Dieu. Le style littéraire de la béatitude appartient à la sagesse : en opposition à l’attitude insensée que serait une totale confiance en l’humain, la voie raisonnable est de se confier au Seigneur.
3- Le portrait du Seigneur en 12 points. C’est aussi 12 motifs de louange.
-1er point : il est le créateur.
-2 points sont à rapprocher par la répétition de l’expression à jamais ou pour toujours, hélas pas rendu dans les traductions : il garde la vérité à jamais v 6 et le Seigneur règnera à jamais v 10. Le créateur est aussi le souverain dont les décisions et projets manifestés dans les paroles de l’Alliance ont une solide valeur. En effet, la vérité en hébreu c’est ce qui est durable, fiable. Parler de la vérité de Dieu, c’est dire qu’on peut lui faire confiance. Le règne de Dieu n’est pas établi dans sa plénitude mais des signes sont donnés (retour d’exil).
-2 autres points peuvent être lus en opposition : le Seigneur aime les justes v 8 et au contraire il déroute les pas des méchants (littéralement : il fait dévier le chemin des méchants) v 9. Les justes sont ceux qui adhèrent aux préceptes du Seigneur révélés dans sa Torah à Moïse et les mettent en œuvre. Aimer ce n’est pas un sentiment mais un engagement actif. Le mot méchant est synonyme d’impie. Ne suivant pas les commandements de l’Alliance, ils font le mal. Le refus de Dieu a des conséquences éthiques, sociales. Mais le Seigneur fait échouer de tels comportements.
-Enfin, 7 points soulignent l’engagement actif et salutaire du Seigneur vis-à-vis des plus faibles. On trouve ici les liens avec Isaïe : c’est en libérant son peuple prisonnier à Babylone que le Seigneur a agi ainsi et auparavant en le délivrant d’Egypte. C’est une allusion à ses interventions dans l’histoire des hommes. Il est sauveur. D’autre part, les catégories que le Seigneur secourt sont celles que la Loi demande instamment à Israël de protéger, notamment les émigrés, l’orphelin et la veuve ( très souvent cités dans Lv ou Dt).
Deux hypothèses valables donc : le Seigneur intervient lui-même par exemple en suscitant le païen Cyrus qui délivre Israël du joug babylonien ou encore ses prophètes qui ouvrent les yeux des aveugles symboliquement (Es 42, 18-19 et 43,8). Mais aussi, c’est en donnant la Loi à Israël qu’il concourt à protéger les faibles. Son action passe par les justes du v 8 qui mettent en œuvre sa Loi.
Des rapprochements sont établis par des répétitions dans le texte original : de même qu’il fait le ciel et la terre, le Seigneur fait droit aux opprimés. Il garde la vérité v 6, il garde les émigrés v 9. Le créateur est celui qui intervient dans l’histoire humaine, comme sauveur.
Pistes de prédication :
-Louer c’est choisir son camp : confiance ultime en Dieu et non en l’humain.
-Les obstacles à la louange (confiance en l’homme, injustice dans le monde, silence de Dieu) et comment ce Ps les surmonte et les dépasse.
-Louange au Seigneur de l’Alliance et action pour la justice sont indissociables.
-La joie et le bonheur du croyant et leur expression dans la louange sont essentielles. Ils manifestent le cœur de la foi (confiance) au Dieu de l’Alliance qui est créateur et sauveur.
Proposition de prédication sur le Psaume 146
Pour le croyant, louer Dieu n’est pas optionnel.
Louer Dieu n’est pas optionnel mais ce n’est pas évident !
Considérons le nombre d’appels à la louange dans le psautier, et notamment dans la série de Psaumes à laquelle le Psaume de ce jour appartient : de toute évidence, cette attitude et cette action – louer le Seigneur- ne sont pas secondaires. Premier et dernier appel de notre Psaume : Louez Dieu ! En hébreu : Alléluia ! Alléluia, avant d’être une acclamation liturgique est donc une exhortation : « Allez, louez donc le Seigneur ! » Nous sommes vivement exhortés à ne pas négliger cette dimension de la vie croyante. Louer signifie au départ « crier de joie », « acclamer ». Le fidèle, reconnaissant vis-à-vis de son Seigneur, heureux de l’avoir pour maître, est invité à exprimer sa joie avec les autres croyants. Le faisons-nous vraiment ? Église de la Réforme qui proclame la grâce, l’amour sans condition de Dieu, sommes-nous une Église de la joie, une joie qui se voit et s’exprime dans la louange ?
Ce Psaume peut nous aider à retrouver ou renforcer notre attitude intérieure de louange, tout comme son expression visible, communautaire.
Car, c’est vrai, si la louange n’est pas optionnelle, elle n’est pas forcément évidente ni facile aujourd’hui. Voyons pourquoi et comment ce Psaume nous aide à surmonter les obstacles.
D’abord, et cela peut nous décomplexer, cette difficulté, ou peut-être même, cette paresse, ne sont pas nouvelles ! Déjà notre psaume et il n’est pas le seul, dans son contexte à lui, doit insister, exhorter, appeler à la louange. Celui qui prend la parole, sans doute primitivement, face à l’assemblée des fidèles appelle les autres à célébrer le Seigneur, mais aussitôt, il s’interpelle lui-même. Vous savez, comme quand on se parle à soi-même, en citant son prénom, pour se secouer : « Hé, Simon, loue donc le Seigneur ! ». Peut-être l’évocation intérieure d’un bienfait de Dieu lui fait prendre conscience de son manque de reconnaissance jusqu’alors. Il s’exhorte intérieurement. Puis, il témoigne et s’engage pour entraîner ceux qu’il a d’abord interpellés : lui, s’engage à louer Dieu pour le restant de ces jours, et non une fois en passant… Et non juste en réponse à une joie ou une aide reçues…
Nous ne sommes pas les premiers à devoir être incités à ne pas oublier la louange. Le dialogue interne nous invite à nous secouer pour ne pas négliger la louange. Osons-nous nous dire les uns aux autres : «Dans notre vie d’Église, de croyants, n’oublions pas de louer Dieu ! »
Mais faisons un pas de plus : sans doute, ce Psaume pointe une raison essentielle de la faiblesse de la louange. En effet, que peut-il y avoir derrière cette louange défaillante ? Ne serait-ce pas une question de confiance : en qui avons-nous véritablement confiance ? En qui avons-nous foi ?
Dans le Psaume l’opposition est posée radicalement. Il faut choisir en qui se confier profondément : dans les princes, c’est-à-dire, les hommes puissants, les célébrités, les hommes de pouvoir ou bien en Dieu ? Plus, même ! Le Psaume dénonce l’illusion du pouvoir humain et appelle à la sagesse. Ne comptez pas sur eux, leurs projets meurent avec eux !
Qu’aucun puissant, qu’aucune « huile », qu’aucun leader politique n’accapare votre confiance suprême, le Seigneur seul est de façon ultime celui qui vous aide. En lui seul, l’être humain peut placer une solide espérance. Est déclaré heureux, celui ou celle qui a saisi cela, qui ne perdra pas du temps dans l’illusion du pouvoir des grands de ce monde !
Si nous revenons à la louange, on pourrait affirmer : « Dis-moi qui tu honores des lèvres et je te dirai où est ta vraie confiance. » Défendons-nous vigoureusement tel homme, telle idéologie, tel programme politique comme étant la seule et vraie solution aux problèmes humains ? Ou bien, proclamons-nous que le Seigneur est l’avenir de notre société et de notre monde ?
Attention ! Il n’est pas question de mépriser ou de dénigrer toute initiative humaine mais il s’agit de ne pas placer une confiance totale en l’homme. Dieu seul la mérite, Dieu seul peut être loué. Louer Dieu c’est faire un pied de nez à tous les pouvoirs qui se veulent absolus et peuvent faire de nous des idolâtres.
Mais il reste une barrière moderne à la louange. Certes, après le tragique XXème siècle, les idéologies humaines ont du plomb dans l’aile. Certes, les leaders des peuples demandant une obéissance aveugle suscitent notre méfiance. Cependant l’homme occidental ne se tourne pas pour autant naturellement vers Dieu, dans un esprit de gratitude et d’adoration ! Au contraire, Dieu est plutôt sur la sellette : pourquoi tant d’injustice et de souffrance ? Pourquoi Dieu n’intervient-il pas ? Agressés par le mal, la misère et la violence déversés quotidiennement dans notre intérieur via le petit écran, nous avons tous beaucoup du mal à adorer, louer, célébrer ! Il a comme une dichotomie trop grande : un monde qui nous apparaît tellement en souffrance et une louange qui serait béate, naïve, aveugle ! Faut-il fermer les yeux sur notre terre pour louer un Dieu céleste !
C’est ici que notre Psaume me paraît riche d’enseignements pour dépasser cet obstacle de taille. Quelles sont d’après ce Ps 146 les raisons de louer Dieu ? Il y a 12 bonnes raisons ! Bien plus certainement ! Mais le chiffre symbolise une totalité. En tout cas c’est comme un programme pour les 12 tribus d’Israël, pour tout le peuple de Dieu. Or, sur ces 12 raisons, si une affirme que nous devons le louer parce qu’il est le Créateur, toutes les autres disent son action éthique, sociale et politique dans le monde ! Le Seigneur mérite louange car il agit en faveur des plus petits, des plus faibles. Il intervient activement. Le Seigneur délie les prisonniers, le Seigneur ouvre les yeux des aveugles : très concrètement pour les contemporains, le Seigneur a réalisé cela en faisant revenir de l’exil à Babylone son peuple captif et quelque peu aveuglé par la puissance des dieux païens des vainqueurs. En tout cas, derrière les grands remous politiques et guerriers du temps, c’est ainsi que les prophètes ont lu l’action libératrice de Dieu.
Mais le Seigneur agit autrement encore. Quand le Psaume proclame : Le Seigneur protège les émigrés, il soutient l’orphelin et la veuve, nous retrouvons les personnes les plus faibles de la société que les commandements de la Torah, de la Loi de Moïse, exigent de protéger. Le Seigneur mérite louange car il agit dans ce monde par sa Parole qui appelle à bâtir une société juste, fraternelle, soucieuse des plus fragiles. Les mains de Dieu se sont celles des hommes mettant en œuvres les commandements de l’Alliance. Aussi le Psaume rappelle que le Seigneur aime les justes, c’est-à-dire ceux qui font des commandements éthiques de la Loi leur programme de vie : Dieu les approuve et les soutient.
Le Seigneur règnera toujours : ce n’est pas un doux rêve déconnecté du réel. L’Israélite contemporain du retour d’exil vit dans une situation demeurée précaire : occupation du pays, difficile cohabitation avec les étrangers implantés, pauvreté…Mais dans ce retour totalement inespéré d’une partie des dispersés vers la terre d’Israël, les croyants discernent des signes concrets du Seigneur qui règne et règnera en plénitude. Par delà ces « coups de pouce » à l’Histoire, son règne vient par ses commandements éthiques qui travaillent la pâte humaine. Fidèlement, le Seigneur garde la vérité c’est-à-dire ne laisse pas périr ses exigences d’une société humaine juste, fraternelle, apaisée et délivrée de tous maux. Ce Règne n’est pas encore arrivé à sa plénitude. Et pourtant Dieu règne en tout temps ! Mais ce Règne a besoin de temps pour se manifester totalement car Dieu a choisi d’avoir besoin des hommes. Il n’impose pas son Règne mais l’offre et le propose en kit dans sa Parole. Parallèlement, les grands actes de salut, de la libération de l’Égypte, au retour de l’exil babylonien posent des jalons d’espérance, des signes tangibles et prophétiques du Règne à venir. En Jésus-Christ, dont ce Psaume semble déjà dessiner le portrait, le signe ultime est offert. Non pour nous déresponsabiliser, mais au contraire, pour nous inciter à choisir le seul engagement qui ait de l’avenir : le souci de bâtir une société humaine où chacun ait pain, place, et dignité.
La louange, loin de nous détourner du monde, nous aide ainsi à garder vive l’espérance et à ne pas fléchir dans nos engagements éthiques, humanitaires, sociaux. Décrypter et proclamer joyeusement les signes du Règne qui vient, chanter le Seigneur qui secourt les opprimés et rassasie les affamés, c’est être sans cesse renvoyés vers nos responsabilités pour la justice, la vérité que ce Seigneur veut. C’est aussi ne pas se décourager quand tant de réalités semblent nier le Règne de la fraternité et du partage. La louange n’est pas optionnelle car elle est contestation de la société gouvernée par les « princes », les grands, les puissants et contestation de tout humain dominateur et égoïste qui oublie qu’il est mortel. En louant nous affirmons haut et fort : « Non, vous n’aurez pas le dernier mot de l’Histoire, nous proclamons et admirons, dans notre culte, le Seigneur protecteur des petits et des opprimés. Pour nous, il a pris figure humaine en Jésus. Il déroute les pas des impies, ceux qui oubliant le Dieu de l’Alliance oppriment les autres. Le Dieu soucieux des faibles règnera à jamais ! ». Fort de cette confiance, le fidèle, s’il est cohérent, s’engage avec Dieu et toutes les bonnes volontés dans le sens de ce Règne qui vient. Sa force et sa vision confiante du Règne qui vient, il les puise et les nourrit dans la louange communautaire et individuelle.
Amen