Textes : Ps 34 Actes 12, v. 1 à 112 Timothée 4, v. 6 à 18 Matthieu 16, v. 13 à 19Pasteur Marcel MbengaTélécharger le document au complet
Nous allons faire une série de 7 remarques qui s’imposent à nous et qui nous permettront chemin faisant de tenter de clarifier le texte qui nous est proposé.Remarque 1 : Sur la délimitation du texte.Il est dommage de donner à lire ce texte en l’amputant de sa suite, les versets 20 – 28. Ce texte est à comprendre en lien avec l’annonce de la Passion. L’identité confessée du Christ est inséparable de l’annonce de la croix qui suit. La réponse de Pierre met en tension la personne même du Christ avec la difficulté de la croix ou le scandale de la croix. C’est d’ailleurs ce que Pierre ne peut comprendre d’où son refus à laisser Jésus aller jusque là. Ce qui lui vaudra un rappel à l’ordre sévère. Arrière de moi satan. (v. 23.)lui dit Jésus alors même qu’il vient d’être félicité d’être au bénéfice d’une révélation importante. Ce que Pierre ne peut comprendre, c’est le fait que les souffrances de Jésus sont devenues inéluctables du fait qu’il est le Christ. La situation est devenue telle que si Jésus veut aller jusqu’au bout de sa mission, il se doit, désormais, d’aller jusque-là, jusqu’à mourir. Il se doit d’accepter cette nouvelle donne, parce qu’elle s’impose comme la seule voie possible pour accomplir l’œuvre de salut qui lui a été confiée par son Père. Il est donc important de lire le texte de ce dimanche en ayant clairement à l’esprit la passion à venir.Remarque 2 : Sur le lieu des événements : Césarée de Philippe.C’est une ville construite en l’an 3 ou 2 avant J-C par le tétrarque Hérode-Philippe II en l’honneur d’Auguste. Située au pied de l’Hermon, aux sources du Jourdain. Elle est en majorité païenne. Ce caractère païen est important à noter. On pourrait s’interroger sur la pertinence de la confession de Pierre en milieu païen. Pourquoi là ? Pour qui ? Assurément une manière de décentrer la mission et de l’ouvrir plus largement. On pourrait aussi penser que le lieu propice pour une telle identification serait la Galilée. Sauf que c’est une terre où prennent corps toutes sortes de controverses et où le risque de l’agitation nationaliste reste une donnée à ne pas perdre de vue. Cette remarque nous interroge aussi sur les réactions des personnes trop convaincues. Césarée serait-il un lieu de réception plus favorable ? Cette question est à creuser ! Toujours est-il que c’est en se rendant dans cette région que Jésus prend le temps d’interroger ses disciples sur son identité. Remarque 3 : Sur le texte et la question de Jésus.Dans les 3 synoptiques, Matthieu, Marc et Luc sont d’accord pour nous présenter la question de Jésus en deux temps. Au fond, il me semble important de ne voir là qu’une seule et même question. La première partie de la question n’est qu’un détour. Le détour par définition, s’il est important, n’est pas le point central. Ce qui intéresse Jésus, c’est la perception que ses propres disciples ont de lui. On peut remarquer, et c’est assez frappant, que Jésus ne fait aucun commentaire et ne donne aucune appréciation sur la perception qu’ont de lui les hommes ou les foules. Ce qui au fond est tout à fait compréhensible. Comment Jésus peut-il espérer que les foules aient une bonne connaissance de lui, s’il ne s’assure pas d’abord de sa reconnaissance de la part de ses plus proches collaborateurs ? Ceux-là mêmes qui ont bénéficié, bien plus que toute autre personne, de ses enseignements. D’où la seconde partie de la question qui vient immédiatement. On pourrait dire que Jésus rétablit les choses dans l’ordre. « L’ordre » étant que ses disciples puissent dire, avec conviction, qui il est, pour espérer que d’autres, plus éloignés de lui, en viennent aussi un jour à se rapprocher et à le connaître ou reconnaître. Seulement, les choses sont en réalité un peu plus compliquées que cela dans ce texte à cause, entre autres, de cette recommandation sévère au silence (v.20). Jésus demande à ses disciples de ne dire à personne qu’il est le Christ. Qu’est-ce à dire ? Comment comprendre ce silence exigé ? Comment concevoir dans un tel contexte l’évangélisation ? Ou encore en quoi consiste l’évangélisation ? S’il faut taire l’identité de Jésus en tant que Christ, que dire alors ? Remarque 4 : Sur la déclaration de Pierre ? Qu’est-ce qui est nouveau ?Je suis tenté de répondre : rien ! Les disciples ont déjà eu l’occasion de confesser l’identité de Jésus. On peut par exemple citer le récit de la marche sur les eaux en Mt 14, où les disciples ont déjà reconnu et dit à Jésus cette parole forte : Tu es véritablement le fils de Dieu (v.33). L’effet de la confession de Pierre est donc assez atténué chez Matthieu. Ce qui n’est pas tout à fait le cas chez Marc. Ce dernier garde tout l’effet de la surprise à la déclaration pétrinienne. Rien de vraiment nouveau chez Matthieu ! Sauf, s’il faut lire cette réponse de Pierre comme une reconnaissance tardive de sa part de l’identité de Jésus. Ce qui, du reste, est cohérent avec le personnage que veut construire l’évangéliste Matthieu, c’est-à-dire, pour le moins un personnage ambivalent à l’image de tout disciple empreint au doute.Remarque 5 : sur les versets 17 – 19.Ce sont des versets propres à Matthieu. Il est inutile, pour les besoins de la prédication, d’ouvrir la discussion sur l’historicité de ces versets ou de savoir s’ils sont authentiques à cet endroit. Plusieurs exégètes ont travaillé cette question à la suite de O. Cullmann et ils ont postulé comme ce dernier que ces paroles sont plutôt à placer au moment de la croix. Il reste que nous pouvons très bien considérer le texte tel qu’il nous est proposé pour en tirer le meilleur parti.La difficulté de ce texte réside aussi dans les déclarations de Jésus à Pierre qui ont nourri ou qui nourrissent encore quelques controverses entre protestants et catholiques romains. Une longue littérature est bien disponible à ce sujet. Seulement, Pierre est bel et bien félicité. Le verset 19 est bien clair sur ce que dit Jésus. Mais, ce que nous pouvons comprendre de cela est le fait que c’est sur la confession de Pierre qui consiste à reconnaître Jésus comme le Christ et le Fils de Dieu que Jésus fondera toute assemblée des croyants. De plus, il est à comprendre que c’est Jésus qui reste l’acteur de cette fondation d’Eglise et la confession de foi, celle de Pierre, est le socle solide et le fondement de toute Eglise chrétienne.Remarque 6 : Sur l’identité de Pierre.Si l’identité de Jésus est en question dans ce texte, celle de Pierre n’est pas non plus en reste. La figure de Pierre est clairement mise en lumière. Et ce n’est ni la première ni la seule fois que le premier évangile procède ainsi vis-à-vis de Pierre. On peut citer le récit de la marche sur les eaux (Mt. 14, 22ss) avec la séquence consacrée Pierre ; le récit de Mt 17, 24ss. Tous ces textes nous donnent quelques indications sur la façon dont Pierre est décrit dans tout l’Évangile de Matthieu et sur le rôle qu’on lui a fait jouer dans la communauté chrétienne au début de l’ère chrétienne. Pierre est un disciple qui connaît des hauts et des bas. C’est un personnage tantôt en crise, tantôt adulé.Quelques mots sur sa carte d’identité : De son nom de naissance : Simon. Fils de Jonas ou Jean selon certains manuscrits, (Jn 1, 42 ; 21, 15 – 17). Il est originaire de Bethsaïda, un village à majorité hellénistique, au nord du lac de Tibériade, (Jn 1, 44). Marié(1Co 9,5). Un frère André, lui aussi appelé à être disciple. Tous deux exerçaient le métier de pécheur (Mc 1,16). Son surnom lui est donné par Jésus lui-même : Céphas, roc, Pierre. Il est connu pour son tempérament enthousiaste, un caractère entier, impulsif même. Il a toujours fait partie du cercle restreint avec Jésus. Et est souvent intervenu comme porte-parole du groupe.Remarque 7 : Sur l’identité de Jésus.C’est chacun qui y va de son imagination et propose sa propre lecture (cf. les avis rapportés par les disciples des hommes et les femmes de la foule). Jésus ne fait pas l’unanimité. C’est le moins que l’on puisse dire. Il ne paraît pas le même chez les uns et les autres. Seulement, il y a tout de même une constante dans les multiples identités qui lui sont prêtées. Pour tous, c’est une figure déjà rencontrée ou déjà connue qui revient. Il ne saurait être une figure toute nouvelle que personne ne connaît. Au contraire, on l’inscrit dans une tradition bien connue, celles des prophètes et le dernier en date, c’est Jean-Baptiste qui vient de subir, comme de nombreux prophètes, une fin de vie sur terre bien tragique. Pour lui, la prison et la décapitation.Proposition de la prédication.I. On peut axer son propos sur l’ouverture de l’Evangile au monde païen. Partir du fait que rien ne prédisposait Cérarée de Philippe à recevoir ni la visite de Jésus encore moins la déclaration historique de Pierre. Montrer aussi le décentrement qu’opère le Christ face à toutes nos attentes. Montrer la force de l’ouverture de l’Evangile et l’intérêt porté à tous. Césarée est passée dans la postérité comme le lieu d’une véritable confession de foi. Qui se souvient encore de son paganisme ? Christ est pour tous.II. On peut axer son propos sur la question de l’identité qui est au coeur de ce texte. C’est la proposition que je garde et sur laquelle je propose une méditation.
L’identité ou la question des identités, voilà un sujet très actuel. Nous pouvons nous risquer à dire qu’il n’est plus un domaine de dialogue où ce sujet ne domine pas. Pour entrer en relation avec l’autre, il convient au moins d’avoir une petite idée de son interlocuteur. Et en même temps, il convient d’avoir un minimum de conscience de qui l’on est soi même. Toujours est-il, et c’est bien là que le bât blesse, que les identités sont parfois brouillées. L’on ne sait plus comment se situer. On a peine à situer l’autre ou les autres. Nous le voyons dans les villes et dans les banlieues. Le mal être de certains jeunes ne provient-il pas de cet état de fait ? Qui sont-ils ? quelles images d’eux leurs sont renvoyées ? Quelles images perçoivent-ils d’eux-mêmes ? Qui dit-on qu’ils sont ? Il n’y a pas que les jeunes qui connaissent ces troubles. Le refuge dans un certain type d’extrémisme politique ne provient-il pas du fait de la peur de perdre ou d’altérer ce que l’on croit être son identité ? Notre monde devenant un petit village planétaire où toutes les distances sont réduites, un événement qui, objectivement est bien loin de nous, nous paraît désormais si proche. Conséquence : Les identités ne sont plus nettes. Et dans le domaine religieux, on assiste aussi à des crispations identitaires. Avons-nous suffisamment conscience de qui nous sommes avant d’oser entrer en relation avec les autres, différents de nous ? Avons-nous suffisamment conscience que d’autres nous reconnaissent dans ce qui fait notre identité ? Reconnaissons-nous les autres ? Ce sont là toutes les questions que nous posent notre démarche œcuménique et nos dialogues interreligieux aujourd’hui. Nous le voyons, la question de l’identité est une condition préalable à toute relation sérieuse. Qui dites-vous que je suis ? Question de Jésus à ses propres disciples. Après un compagnonnage bien serré avec ses disciples, alors que leur course ensemble tire vers la fin, l’heure semble être celle du bilan. Il convient de savoir ce que chacun gardera de ce partage. Non pas qu’au cours du temps passé, les disciples ne savaient rien sur Jésus. Il faut, et nous l’avons dit, un minimum de connaissance de l’autre pour partager une tranche de vie ensemble. Mais, cette fois, c’est comme si une ultime nécessité s’imposait. Une fois encore, (est-ce le moment le plus décisif), juste avant l’annonce de la fin, une ultime lecture s’impose. Les disciples sont-ils au clair avec la question de l’identité de celui qu’ils suivent depuis quelques années ? C’est comme si une fois encore, il faille prendre toute la mesure des enjeux et ne rien laisser au hasard. Chose la plus étonnante et la plus déconcertante : Jésus se livre au jugement des siens. Je suis celui que vous dites que je suis. Alors, selon vous, qui suis-je ? Il me semble qu’il n’y a pas meilleure manière de poser la question de l’identité. Nous sommes des êtres en relation. Nous sommes exposés à d’autres qui ne se privent pas d’avoir une pensée sur nous. Dès la naissance, une parole, la parole de l’autre se pose sur celui qui vient dans ce monde. Cette parole dépasse souvent le cadre descriptif ou objectif : le bébé pèse tant de kg, il mesure tant de cm… La parole peut aussi s’aventurer à porter un jugement subjectif qui pourrait même dès cet instant toucher à quelque chose de l’identité de celui qui naît. Et tout au long de la vie, cette identité bougera en fonction des milieux, en fonction des rencontres, en fonction des relations qui sont nouées avec les uns et les autres. Ce qui me conduit à cette idée fondamentale : Notre identité n’est pas simplement celle que nous définissons nous-mêmes, mais bien celle que d’autres nous reconnaissent. J’ai beau croire que je suis celui que je pense être, cela ne peut être véritablement établi que parce que d’autres pensent cela de moi. Voyez-vous, Jésus n’ignore pas qui il est véritablement. Il sait mieux que quiconque que sa vie est intimement liée à celle de son Père qui l’envoie. Il sait mieux que personne quelle est sa mission sur terre. Il sait mieux que personne que toute son identité se confond avec la grande mission qu’il accomplit en faveur des siens, en faveur de toute l’humanité. Mais, il laisse tout cela de côté. Au fond, ce qu’il pense de lui-même ne compte pas tellement. Tout au moins, ce n’est pas ce qui est capital. Ce qui l’intéresse, c’est ce que les uns et les autres ont à dire de lui. Ce qui compte, c’est ce que Jésus donne finalement à connaître de lui. C’est la réception de sa personne qui devient normative et essentielle. Qui est donc Jésus pour nous ? Qui est-il pour moi ? « Et vous, qui dites-vous que je suis ? », nous demande Jésus. Il est difficile de donner une réponse autre que celle que propose Pierre, d’autant plus que l’on sait les félicitations qu’il reçoit. Jésus est le Christ. Le fils du Dieu vivant. En même temps, lorsque l’on poursuit la lecture de notre texte, on se rend bien compte qu’il ne suffit pas de proclamer avec exactitude qui est Jésus, encore faut-il saisir le sens profond de cette confession. Jésus est le Christ : Soit ! Qu’est-ce que cela implique dans ma vie ? Si les hommes dans les foules prennent Jésus pour un des prophètes qui revient, s’il le place dans l’espérance portée depuis des siècles par tout un peuple, Pierre quant à lui, en confessant la vraie identité de son Maître n’est pas non plus tout à fait au clair avec ce qu’il confesse. Il ne peut accepter que ce Christ-là, cet envoyé du Père qui vit de toute éternité, doive affronter et connaître la mort. Ce sont toutes ses représentations du Dieu fort qui voleraient en éclat. Il a pensé comme beaucoup d’autres que l’espérance de toute délivrance est traduite dans la personne de Jésus. Il a cru comme beaucoup d’autres que c’est le Messie qui délivrerait enfin le peuple et l’humanité de toute oppression. Et voici, si Jésus doit lui aussi connaître le sort des prophètes, alors, tout s’écroulerait. Que cela n’arrive pas ! C’est l’apôtre Paul qui, certainement le mieux, exprime tout le paradoxe de notre foi. Quand les uns (juifs) demandent les miracles, les autres(grecs) cherchent la sagesse, mais nous, en tant que chrétiens, nous prêchons Christ crucifié. 1 Corinthiens 1, 22-23. Un Christ crucifié ? C’est là un scandale ou une folie, selon ! Je crois que nous touchons ici le cœur de notre vie de foi. Peut-être sommes-nous déjà des habitués à confesser que Jésus est le Christ. Peut-être même, acceptons-nous, sans trop de difficulté, que ce Christ est mort sur la croix. Nous le disons tout le temps et cela ne semble plus poser problème à personne ! Mais, une fois que nous l’avons dit, comment cela se traduit-il dans nos vies ? Comment vivons-nous la réalité de la faiblesse ? Il me vient à l’esprit les manquements que nous nous faisons les uns aux autres. Les faiblesses de nos vies. Je pense à la rigueur avec laquelle nous tenons à tous ceux qui nous offensent. Et nous leur tenons d’autant plus rigueur que nous les croyons suffisamment forts pour ne pas nous offenser de la sorte. Nous leur en voulons au point de ne plus leur parler parce que nous avons énormément mis notre confiance en eux. C’est parfois, le cas dans les relations conjugales ou amicales ou d’amitiés, ou familiale… La question qui nous est aussi renvoyée par le texte de ce matin, sommes-nous suffisamment au clair avec l’identité de l’autre ? Qui est celui ou celle avec qui je suis en relation ? Et si la vraie réponse est c’est un être humain. Acceptons-nous que la vie de cet humain-là soit compatible avec tous les manquements possibles et les affronts qu’il ou qu’elle faits ? Acceptons-nous que sa vie soit compatible avec des faiblesses ? Acceptons-nous que Dieu soit Dieu et Jésus le Fils de ce Dieu vivant se présente à nous dans toute sa fragilité et mourir ? Et quelle mort ? Sur la croix ! Voyons ! Jésus assume son identité de Christ et de Christ crucifié, pour que nous désespérions, nous aussi, de notre propre force. Pour que nous acceptions que la faiblesse fait partie de notre vie et de la vie de tous ceux qui nous entourent. Regardons Jésus. Il souffre. Il est victime de la calomnie. Il meurt. Et en même temps, il dit à son Père cette parole forte : Père pardonne-leur. Pardonne ! Pardonne ! Rien que pour cela, Jésus est vraiment le Christ, le Fils du Dieu vivant. Qu’en dites-vous ? Amen.