Quelques remarques sur le vocabulaire du texte
V 11 : L’expression qui introduit cet épisode « et il arriva », se retrouve au v 14 en lien également avec la marche.Le verbe « marcher » : allant, se rendant, marchant, faisant route à Jérusalem. On retrouve le même verbe également au v 14, dans le sens où Jésus leur dit de se mettre en route, c’est en marchant qu’il se passera quelque chose. On le retrouve aussi au v 19, litt. : « Lève toi, marche ».
V 13, Aie pitié, verbe apitoyer qui rappelle le ton de divers psaumes. Le terme désignant Jésus est le maître, le chef, celui qui préside.
V 14 : Jésus les voyants, les regardant, les observant, les remarquant…Ce terme désigne aussi veiller, prendre soin. Il y a donc une attention particulière dans le regard de Jésus. On retrouve le même terme au v 15 pour le lépreux qui se voit guéri.
V 14, et v 17, c’est le verbe purifier qui est employé, au v 15, c’est le verbe guérir.
V 15 pour le lépreux qui revient, c’est le verbe « se retourner, retourner à, s’en retourner » qui est utilisé, on le retrouve au v 18 dans la bouche de Jésus à propos de ceux qui ne sont pas revenus.
Quelques variantes du texte
Au v 14, certains manuscrits ajoutent : « en les voyant, il leur dit : « soyez guéris »[1] pour l’un et « je veux, soyez purifiés et aussitôt, ils furent purifiés »[2] pour un autre… et allez vous montrer… »
Au v 19, la deuxième partie de la phrase « ta foi t’a sauvé » manque dans quelques manuscrits[3].Je ne tiendrais pas compte de ces variantes dans ma prédication car elles ne sont pas suffisamment attestées, mais il est intéressant de les avoir en tête, la première appuie la volonté de Jésus de guérir ces lépreux et la puissance de sa parole[4].
Le contexte social
Samaritains : Les samaritains sont des « demi-juifs », des « sang mêlé » et donc indignes du culte juif. Ils étaient considérés par la population juive comme impurs, comme des étrangers et ils étaient rejetés. Samaritains et juifs n’avaient pas de contacts entre eux.
Lépreux : un humain atteint de la lèpre était considérée comme impur et était mis à l’écart. « Un rituel semblable à celui des funérailles marquait le départ du lépreux hors de la communauté saine »[5]. Il avait alors interdiction de s’approcher de la population, d’où la mention « se tenaient à distance » v 12. C’était le prêtre qui détectait le symptôme de la lèpre et c’est également lui qui pouvait déclarer le lépreux guéri et le réintégrer ainsi dans la communauté[6].
Le contexte du passage
Il n’y a pas de lien direct avec ce qui précède et ce qui suit, ce récit est présenté comme un épisode isolé. Il est propre à l’évangile de Luc, les autres évangiles n’en parlent pas. Cet épisode fait écho cependant à la parabole du « bon samaritain » de Luc 10, 30ss[7].
Le samaritain est cité en exemple pour avoir été le prochain de l’homme blessé. On peut aussi faire un rapprochement avec la parabole dite «du fils prodigue »[8].
Ces rapprochements permettent de déterminer à quel point ce n’est pas le fait d’être d’une « race pure » qui sauve ou induit un comportement juste, mais la foi en Jésus-Christ qui vient bouleverser tous nos critères humains et même religieux. François Bovon souligne, faisant le rapprochement avec la parabole du « bon samaritain » : « L’éloignement a fait place à la proximité »[9] et parlant du lépreux guéri « Ce samaritain, tout aussi bon que l’autre, devient, lui aussi un modèle pour les générations de lecteurs à venir »[10]. Le critère de salut n’est pas, en Jésus-Christ, l’appartenance humaine et religieuse à un peuple particulier, mais la confiance que l’on place en ce Jésus-Christ.
Liens possibles avec les autres textes
2 Tim 2, 9 : « La parole de Dieu n’est pas liée », quelles que soient les lois qui cherchent à la faire rentrer dans nos carcans.
2 Tim 2,13 « si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle » : Importance de montrer cette indéfectible fidélité qui n’est pas lié à nos actes… ni même à notre reconnaissance. La non-reconnaissance des « neuf » n’entame pas la fidélité de Jésus, la question est là pour nous interpeller
2 R 5, 9-17 : pas plus qu’en Luc, la guérison de la lèpre n’est l’objet d’un touché, d’un geste ou d’une parole de guérison[11], Élisée ne se présente même pas en personne, il envoie dire par son messager…, seul une parole d’envoi qui appelle à la confiance est adressée. Les deux doivent se mettre en mouvement et obéir à une parole d’envoi.Chez Luc, comme dans le livre des rois, le geste est totalement gratuit, ce qui est donné en retour ne peut être que reconnaissance, on passe du don au donateur[12]. Il faut parfois un intermédiaire pour nous aider à avancer dans la foi, nous encourager, il se présente ici en la personne des serviteurs de Naaman, v 13.
Autres remarques
Luc n’est pas très précis concernant la géographie puisqu’il cite la Samarie avant la Galilée pour se rendre à Jérusalem, ce qui, géographiquement, est une aberration. Méconnaissance du pays ? Inversion volontaire qui déjà met en évidence le samaritain comme premier? On ne sait rien de la nationalité des neuf autres, ils sont juste lépreux, dans le texte. Le samaritain est à double distance de Jésus, le juif : impur du fait de sa nationalité et de sa maladie.
Pour le samaritain, la purification ne reste pas événement ponctuel et isolé, son retournement l’amène bien plus loin, Jésus le déclare « sauvé». Ce retournement engendre le salut. Si dans sa première partie, le dernier verset s’adresse au peuple pour l’interpeller sur l’attitude de cet homme, la fin du verset est une parole adressée personnellement au samaritain, il s’est mis en route, il ne doit pas s’arrêter là : lève toi et marche[13] ! L’expression, qui suit « ta foi t’a sauvé », se retrouve à plusieurs reprises dans cet évangile[14]
.[1] teqerapeusqe: D (*)
[2] qelw kaqapisqhte kai euqews ekaqapisqhsan: P 75mg
[3] B samss
[4] D’autres variantes minimes existent mais ne changent pas le sens du texte.
[5] « L’évangile selon St Luc, 15, 1 – 19,27 », François Bovon, Labor et Fidès 2001, p.135
[6] Voir Lévitique 14 pour le rituel de réintégration.
[7] Qui ne se trouve également que dans Luc
[8] Également propre à Luc
[9] François Bovon, op cit, p. 140
[10] François Bovon, id
[11] Je ne tiens pas compte ici de la variante chez Luc
[12] « Luc, la joie de Dieu » Helmut Gollwitzer, éd. Delachaux et Niestlé 1979, p.182
[13] Cf. Lc 5, 23[14] Cf. Lc 7,50 ; 8, 48 ; 18, 42
« Et les neuf autres où sont-ils ? Il ne s’est trouvé que cet étranger pour rendre gloire à Dieu !…L’ingratitude : peut-être, Seigneur, le seul péché. Car tous les autres y sont inclus. Et ne pèche vraiment que celui qui T’a connu, ô Dieu des souveraines délivrances ;Qui T’a connu et n’a point rendu grâces; Qui s’est su aimé et n’a point aimé en retour; et ne s’est point jeté à tes pieds ; et n’a point cru et n’a point adoré »[1].
L’évangile de Luc présente plusieurs épisodes qui lui sont propres et ne sont pas relatés par les autres évangiles, c’est le cas de celui que je vais lire maintenant qui nous raconte la purification de 10 lépreux.
Être lépreux à l’époque, c’est être exclu de la société. Le prêtre avait cette responsabilité de reconnaître le symptôme de la lèpre et de prononcer l’exclusion dont le rituel ressemblait à celui des funérailles. Le lépreux était exclu de la communauté saine afin de ne pas contaminer cette dernière. Seul le prêtre avait aussi la responsabilité de considérer le lépreux guéri et alors on procédait par un autre rituel à sa réintroduction dans la communauté. On comprend alors pourquoi ces derniers se tiennent à distance, rien ne leur permet une approche de Jésus, ce juif, en qui ils discernent pourtant un espoir pouvant changer leur situation.
Ils l’interpellent par cette expression qui rappelle le ton de bien des psaumes : aie pitié, ils demandent à Jésus de s’apitoyer (c’est le terme) sur leur sort. La réputation de guérisseur a dû précéder Jésus et il est attendu sur ce terrain. Jésus ne bouleverse rien de la conception juive sur la lèpre et les envoie donc se montrer au prêtre qui peut les déclarer purifiés. Mais où est donc le geste de guérison ? Pas un mot dans ce sens, pas un geste, même pas une approche, juste une parole d’envoi. Et c’est en chemin que la purification a lieu « pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent purifiés.
Aucun geste magique, juste se mettre en route avec confiance, confiance qu’au bout du chemin que leur indique Jésus, la purification est là. L’exhaussement à la demande a lieu en chemin, sur la route, pas avant. C’est avec leur maladie qu’ils quittent Jésus et c’est en chemin qu’ils trouvent guérison parce qu’ils ont fait confiance à une parole : litt., on pourrait traduire ainsi cette exhortation de Jésus « ayant marché, montrez-vous aux prêtres… » Une manière de dire faites un bout de chemin, faite un pas sur le chemin de la guérison. Ici, c’est le pas de la foi, de la confiance. S’il s’agit d’une guérison physique, le texte va beaucoup plus loin en montrant que la vraie guérison se passe aussi à un autre niveau, nous le verrons avec le samaritain.
La question de la guérison nous interpelle toujours. Et ce genre de texte pourrait nous induire en erreur si nous ne sommes pas attentifs. Le raccourci destructeur, c’est cette pensée : s’il n’y a pas guérison, c’est qu’il y a manque de foi ! Paroles ô combien culpabilisantes, qui mettent à terre plus qu’elles ne relèvent. La foi n’est pas une possession qu’on aurait en grande ou petite quantité, c’est plutôt une attitude qui nous met en confiance en celui en qui nous croyons. S’il n’y a pas lieu de nier la guérison physique qui s’opère ici et qui peut se produire d’ailleurs parfois hors de tous nos critères, ce texte n’a pas pour but de nous dire que tous les malades seront guéris physiquement s’ils ont la foi.L’expérience nous montre que ce n’est pas le cas et ce n’est pas la foi qui est en jeu.
On peut rester malade et vivre cette maladie dans la foi, une foi plus vive même parfois que celle des bien-portants, il n’y a pas de cause à effet. Le texte cherche à nous amener plus loin en prenant l’exemple de ces dix lépreux.Nous sommes mis en question ici entre le ponctuel et la durée.
L’accent est mis sur cet étranger, un samaritain, précise le texte, qui se voyant guéri, ne va pas jusqu’au bout de la démarche demandé par Jésus. Sa réhabilitation sociale que pourra lui donner le prêtre peut attendre, elle est seconde par rapport à son élan de reconnaissance envers celui qui a agit dans sa vie, c’est ça, l’urgence.
Le mouvement de reconnaissance envers Jésus se manifeste donc en premier, interrompant la marche vers la reconnaissance sociale.Littéralement, le texte dit qu’il se retourne et c’est un retour vers Dieu à qui il rend gloire. Cela passe avant toute autre considération. Qu’en est-il des neuf autres ? Jésus interpelle celles et ceux qui l’entourent. Et il souligne que c’est le doublement exclu qui revient, celui qui ne pouvait être inclut dans la foi d’Israël, c’est lui qui montre le chemin de la reconnaissance. Dans un contexte où tout est sclérosé par une loi devenue carcan très strict, Jésus fait exploser ici les conceptions religieuses figées. C’est celui que tout éloignait de la foi, qui en manifeste le plus et qui ira jusqu’au bout. Si tous ont eu leur corps purifié, le texte ne montre que ce dernier pour aller au bout de sa confiance et il en recevra la guérison de tout son être, pas seulement de son corps.
La confiance a mis en route les 10, un seul est allé au bout en passant par la reconnaissance de son sauveur. Quelqu’un écrit : « les neuf autres montrent par leur absence, que, malgré leur obéissance immédiate et leur confiance, ils n’ont pas réellement reconnu le Sauveur. Ce n’est en effet que dans la reconnaissance, que le regard de l’homme s’élève du don au donateur »[2]. Il a reçu, il donne, il donne ce qu’il a : sa reconnaissance.J
ésus est en route vers Jérusalem, où il accomplira sa mission en plénitude, tenant bon dans l’adversité jusqu’à la croix face à ceux qui dans ce contexte, se croyaient le peuple élu entre tous. En désignant le samaritain comme sauvé, Jésus révèle ici, comme il l’a fait déjà à d’autres occasions, que le salut est offert à tous, quels qu’ils soient, juifs ou non juifs, malades ou bien-portants. Le seul critère n’est pas la loi, mais la foi offerte à tous sans distinction.
C’est dans la foi, la confiance au Christ que l’on peut vivre en sauvé, c’est à dire debout. Jésus interpelle ici celles et ceux qui tout en ayant reçu, se refuse à reconnaître en lui le sauveur. C’est pourtant cette reconnaissance qui mènera cet homme à la guérison complète, et le mettra debout : lève-toi ! Guérison complète qui le mettra en marche : «lève-toi et marche » ! Marche avec cette assurance : « ta foi t’a sauvé ». Cette foi, cette confiance en celui qui l’accompagnera désormais sur la route et qui fera que sa vie ne sera plus jamais la même. C’est bien le terme du salut qui est employé ici, il y a quelque chose de beaucoup plus fort qu’une guérison physique. Cet homme s’est retourné et sa vie en a été bouleversée. Ce qui nous est raconté ici en quelques versets doit nous interpeller aussi sur notre propre rencontre avec le Christ.
Cette rencontre s’est peut-être produite au fil du temps pour certains, rien de spectaculaire, mais une conviction qui petit à petit s’est muée en confiance. Pour d’autres, c’est une conversion plus soudaine. Quelle que soit la manière dont cette rencontre a eu lieu, elle ne doit pas rester ponctuelle et statique. C’est au quotidien que la confiance doit être vécue dans la reconnaissance. Les 10 ont connu la guérison de leur corps, un seul, s’est retourné. Ce qui a été évènement ponctuel pour les uns, s’est mué en mise en marche pour ce dernier. Être en marche, debout devant Dieu, en confiance, n’est-ce pas cela le salut ?
Que ce texte nous encourage à marcher et à poursuivre la marche. Si nous sommes en marche, alors nous pouvons croire dans la foi, que des choses peut-être inattendues peuvent survenir.
Le texte commence littéralement par ces petits mots que l’on retrouve régulièrement dans cet évangile « et il arriva ». Oui, il arrive des choses quand on se met en route. Ces petits mots sont suivis deux fois[3] dans le texte d’une mise en route. Alors mettons-nous en route dans la foi, avec confiance, prêts à réorienter ce qui est nécessaire pour donner la juste priorité, comme cet homme qui s’est retourné sur le chemin, et … soyons attentifs à ce qui arrivera !
[1] Suzanne de Dietrich, « C’était l’heure de l’offrande » notes en marge de l’Évangile, éd. du semeur 1935
[2] Luc, la joie de Dieu » Helmut Gottwitzer, Delachaux et Niestlé 1979, p. 182[3] vs 11 et 13
Thématique ; Guérison/Foi/Reconnaissance/Salut