Le thème pour ce dernier dimanche de Carême anticipe sur l’entrée dans la semaine sainte et la célébration de Pâques. En effet, la lectionnaire, depuis le 3ème dimanche de Carême, nous propose successivement trois textes importants de l’Évangile de Jean : la rencontre de Jésus avec la femme Samaritaine, puis les deux derniers des sept « signes » de Jésus. Ces trois textes se trouvent dans la première partie de l’Évangile (1,19 à 12,50), que l’on appelle, d’ailleurs, le livre des signes. La deuxième partie, le livre de la gloire (13,1 à 20,31), raconte la passion et la résurrection de Jésus, lorsque son heure est venue, L’heure de la crucifixion, bien sûr, mais surtout l’heure de laglorification de Jésus où il se révèle pleinement comme le Sauveur du monde (3,14-17, 4,42). Un prologue (1,1-18) et un épilogue (21,1-25) complètent l’Évangile. Pour mémoire, voici les sept signes :
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- eau changée en vin à Cana (2,1-11)
- guérison du fils de l’officier royal à Cana (4,46-54)
- guérison du paralytique à la piscine de Béthesda (5,1-15)
- miracle des pains en Galilée (6,1-15)
- marche sur la mer de Galilée (6,16-21)
- guérison de l’aveugle à Jérusalem (ch. 9)
- résurrection de Lazare (ch. 11)
Le dernier des sept signes anticipe sur la résurrection de Jésus lui-même. Manifestement les deux autres textes pour ce dimanche ont été choisis pour renforcer ce thème de la résurrection.
Le texte d’Ézéchiel suit la vision des ossements desséchés (Éz. 37,1-11) et insiste sur la puissance du souffle (= l’Esprit) du Seigneur, capable de faire revivre un peuple brisé par le malheur de la destruction du Jérusalem et de l’exil.
L’extrait de l’épître aux Romains, évoque également la puissance de l’Esprit donné à chaque croyant, qui l’arrache à l’emprise de la chair (= la nature humaine qui refuse la transcendance de Dieu). C’est ce même Esprit qui a réveillé Jésus d’entre les morts. Selon le spécialiste Raymond Brown 1 , les chapitres 11-12 ont vraisemblablement été ajoutés à une dernière stade de la rédaction de l’Évangile.
En effet, les versets 10,40-42 qui font allusion aux signes et rappelle le témoignage de Jean-Baptiste au début de l’Évangile aurait pu servir de conclusion au ministère public de Jésus. Les trois évangiles synoptiques ne mentionnent pas et ne semblent pas connaître Lazare, ni sa résurrection, tandis que pour Jean, ce dernier signe de Jésus provoque une réunion du sanhédrin qui décide de mettre Jésus à mort (11,46-53) ! C’est vrai que les synoptiques affirment que Jésus a ressuscité des morts (Mc 5,22-43, Mt 11,5) et certains voient un parallèle entre la parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare (Lc 16,19-31) et le récit de Jean, mais ceci est difficile à établir.Le nom Lazare est une version courte du nom hébreu Éléazar qui signifie Dieu porte secours. Le village de Béthanie près de Jérusalem est mentionné également comme un lieu de séjour de Jésus dans les évangiles synoptiques (Mc 11,11 ; 14,3 et //). Luc est le seul, à part Jean, à faire mention de Marthe et Marie (Lc 10,38-42). La séquence où Luc place cet épisode dans la progression de Jésus vers Jérusalem (à partir de Lc 9,51) peut donner l’impression que les deux sœurs habitaient plutôt en Galilée ou Samarie (le nom du village n’est pas précisé). Il est intéressant néanmoins de savoir que l’on a trouvé ces trois noms sur des ossuaires dans la région de Jérusalem datant du 1ère siècle et au moins une tombe où les trois noms se trouvent ensemble. Marie est bien identifiée comme celle qui a répandu du parfum sur les pieds de Jésus (vs. 2, voir Jn 12,1-8), tandis que dans les évangiles synoptiques, la femme n’est pas identifiée. Marc et Matthieu situent la scène comme Jean, juste avant la passion et à Béthanie, mais dans la maison de Simon le lépreux (Mc 14,3-9//Mt 26,6-13), tandis que Luc la place avant la « montée » de Jésus à Jérusalem, dans la maison d’un pharisien, apparemment en Galilée (Lc 7,36-50). L’évangéliste insiste sur l’amitié et l’affection qui liaient Jésus à Lazare et ses sœurs (vs. 3, 5, 11, 33, 35, 37).
Jésus appelle Lazare son ami (en grec philos), terme qui se réfère dans une des lettres johanniques à tous les chrétiens (3Jn15). Cette famille bien-aimée symbolise ainsi la grande famille chrétienne pour qui Jean écrit son évangile à la fin du 1ère siècle. D’autant plus que la question posée par ce récit est la même que celle qui est posée par les chrétiens thessaloniciens à qui Paul écrit vers 50 de notre ère. C’est la question épineuse de la mort des croyants, alors que l’on attendait de façon imminente la fin de l’histoire et la résurrection finale que provoquerait le retour du Christ ressuscité (1Th 4,13-18). Le cri du cœur de Marthe (vs. 21) qui est repris par Marie (vs. 32), exprime en effet la déception du chrétien face à la mort de ses proches, à laquelle ce récit s’efforce de répondre.En effet, c’est sciemment que Jésus retarde sa venue (vs. 6). Auparavant la maladie d’un aveugle-né a permis à Dieu de manifester ses œuvres (Jn 9,3). Jésus refuse d’attribuer la maladie au péché. Quelle que soit la cause de l’aveuglement, Jésus vient apporter la lumière de Dieu (8,12). La portée symbolique du récit est évidente : c’est surtout l’aveuglement spirituel qui est visé : le vrai péché est de refuser de voir ce que Dieu fait en Jésus (9,41 ; voir aussi 3,19 ; 12,37-43). De la même manière, la maladie de Lazare ne mène pas pour la mort, mais va permettre de glorifier Dieu et son Fils (vs. 4). Quelle que soit la maladie à laquelle on est confronté, elle ne peut pas provoquer la mort spirituelle, c’est-à-dire couper la personne malade de la source de sa vie qui est en Dieu.La maladie et surtout la résurrection de Lazare vont permettre de glorifier Jésus, non pas tellement parce que les gens vont l’admirer, mais parce qu’elles vont provoquer la mort de Jésus (11,46-53), son élévation sur la croix (3,14-15). Cette heure venue est justement celle de sa glorification (12,23-25), dans le sens où elle révèle Jésus comme celui à qui Dieu a donné le pouvoir de donner la vie éternelle (17,1). De la même manière que le signe de la guérison de l’aveugle-né illustre la parole du Christ, « Je suis la lumière du monde… » (8,12), la résurrection de Lazare illustre la parole centrale de ce récit (v. 25). : « C’est moi qui suis la résurrection et la vie .Celui qui met sa foi en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et met sa foi en moi ne mourra jamais. » Brown écrit : « Ce qui est crucial, c’est que Jésus a redonné la vie (physique) comme signe de son pouvoir de donner la vie éternelle dans cette vie (eschatologie réalisée) et comme une promesse qu’il fera relever les morts au dernier jour (eschatologie finale). »
“Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort“.. Combien de fois dans notre vie sommes-nous tentés de reprendre à notre manière cette plainte adressée à Jésus par Marthe et reprise un peu plus loin par sa sœur Marie ?
Cette parole exprime la tristesse des deux femmes qui croient profondément en Jésus. Mais on peut entendre également dans cette parole un petit brin de reproche, voire carrément de la révolte devant la mort de son frère. C’est vrai que lorsque la mort frappe nos proches, surtout lorsque c’est “avant l’heure”, ce questionnement est plus que légitime, c’est très humain.
On voit bien que le récit veut appuyer sur ce sentiment d’injustice, car un peu plus loin, dans la suite du texte, les gens qui accompagnent Marie au tombeau disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas : Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d’empêcher Lazare de mourir. Oui, en dépit de notre foi en Jésus-Christ, ou peut-être encore plus vivement à cause d’elle, nous pouvons vivre des événements tragiques tels que la maladie et la mort comme une défaite et être tenté de reprocher au Seigneur son manque d’empressement de venir à notre secours. De tels événements malheureux ne contredisent-ils pas la foi ?
Devant de tels cas, nous avons souvent besoin d’exprimer notre tristesse, voire notre révolte. Peut-être justement, ce récit de la résurrection de Lazare dans l’Évangile de Jean a été écrit pour répondre aux doutes, voire même à la révolte des chrétiens de la 1ère génération qui voyaient leurs frères mourir, alors qu’ils attendaient le retour imminent du Seigneur : Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort..
En voyant Marie et ceux qui l’accompagnent pleurer et se lamenter, Jésus frémit en son esprit et fut troublé. Le verbe en grec employé ici peut même avoir un sens plus fort. Jésus est “révolté” par la mort de son ami et la tristesse qu’elle engendre. Et, nous dit l’Évangile de Jean : Jésus fondit en larmes.
Jésus partage notre tristesse et notre révolte devant la maladie et la mort. Comme il a partagé aussi notre mort. N’oublions la menace qui pèse sur la vie de Jésus lui-même à ce moment précis de l’Évangile. Au moment où Jésus va rappeler Lazare à la vie, il est lui-même sur le chemin qui mène à Jérusalem et à la croix. Mais la tristesse et la révolte de Jésus ne le font pas sombrer dans le désespoir. Au contraire, elles le poussent à réagir, à agir contre la mort.
La résurrection de Lazare est présentée comme le septième et plus important signe posé par Jésus au cours de son ministère. La résurrection de Lazare se dresse comme un symbole de vie, de cette vie offerte à tous ceux qui croient en lui. Cette vie offerte est omniprésente dans l’Évangile de Jean. Déjà dans le chapitre 6, au moment du discours après le miracle du pain partagé parmi une multitude, Jésus proclame : “.quiconque voit le Fils et met sa foi en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le relèverai au dernier jour“. On voit profiler déjà dans cette parole de Jésus au chapitre six une distinction reprise ici dans le dialogue entre Marthe et Jésus. Jésus dit à Marthe que son frère se relèvera. Marthe répond qu’elle sait qu’il se relèvera à la résurrection, au dernier jour. C’est la croyance que les premiers chrétiens partageaient avec un certain nombre de juifs à l’époque de Jésus. Mais Jésus veut l’amener plus loin. Il veut amener chacun de nous à reconnaître que la force de vie qui est en Dieu n’est pas réservée seulement pour la fin de notre histoire. Cette force de vie est déjà présente et vivifiante pour ceux et celles qui ont les yeux pour la voir, pour ceux et celles qui mettent leur confiance en celui qui est le Christ.
Jésus dit à Marthe :“ C’est moi qui suis la résurrection et la vie. Celui qui met sa foi en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et met sa foi en moi ne mourra jamais“. Et il ajoute : “Crois-tu cela ?“ La question est posée à chacun d’entre nous.
Devant les événements tragiques et malheureux de la vie, nous sommes souvent tentés de nous enfermer dans la tristesse ou dans la révolte. Nous pouvons toujours trouver des raisons pour ne pas croire, pour ne pas croire que la force de vie qui est en Dieu emportera sur toutes les puissances de la mort. La résurrection est devant chacun de nous comme une formidable promesse : au dernier jour où Dieu révélera pleinement le sens profond de notre vie, nous nous relèverons. Mais en même temps, la résurrection est déjà là. La vie éternelle de Dieu est à notre portée en Jésus, le Christ. Que Dieu nous donne de nous ouvrir sans cesse à cette vie : Je suis la résurrection et la vie, dit le Christ. Celui qui met sa foi en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et met sa foi en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?
Chants :
- Ps118 : Célébrez Dieu
- Ps 130 : Du fond de ma détresse
- AEC 610, NCTC 266, Alléluia 45-06 : O Jésus, mon frère (voir aussi O Jésus, ma joie, Alléluia 45-05)
- AEC 636, Alléluia 48-08 : Frères, ne pleurez pas
- AEC 471, NCTC 205, Alléluia 34-18 : À toi, la gloire.
1 The Gospel according to John (i-xii), Anchor Bible, vol. 29, Doubleday, Garden City, NY, 1966)
Thématique : Jésus, puissance de vie contre la mort, les épreuves, la souffrance. Résurrection de Lazare.