Textes : Genèse 49, v. 29 à 50, v.14 Psaume 95Ézéchiel 33, v. 7 à 9 Romains 13, v. 8 à 10 Matthieu 18, v. 15 à 20 Pasteur Dina Rajhons (Reprise)Télécharger tout le document

Notes bibliques

Nous suggérons de lire à partir du v.1 Remarques sur le texte : – Au v.7, il est important de traduire « Toi, fils d’homme » אדם בן (TOB) et pas uniquement « Toi, humain » (NBS) ou « Toi l’homme » (Français courant). – Garder l’insistance sur la mort annoncée comme sentence au v. 8 Méchant, tu mourras certainement (TOB) et non Méchant tu mourras (NBS) ou Ce méchant mourra (Français courant). Littéralement, c’est : De mort tu mourras תמות מות – Au même verset, le terme traduit par voie ou chemin (דרך) peut aussi s’entendre comme la conduite (bonne ou mauvaise), la manière ou l’habitude et du coup la vie ou ce que l’homme entreprend (cf. Jos 1, 8 et Jb 8, 19) Le prophète Ézéchiel a vécu et œuvré en exil babylonien (la première déportation était en 597 av. JC et la seconde en 587 av. JC). C’est probablement là-bas qu’il a entendu les nouvelles de la destruction de la ville de Jérusalem : Joïaqim, roi de Juda, profite des difficultés passagères des babyloniens et se révolte. Mais il provoque par là, à terme, la ruine de son État. Son fils, Joïakin, règne 3 mois puis la ville est assiégée et il est à son tour emmené en captivité à Babylone avec l’élite du pays. Le trésor du palais ainsi que ses ustensiles en or sont confisqués (2R 24, 12). Le pays est ruiné politiquement et économiquement. Cela ne va pas sans un questionnement d’ordre religieux : pourquoi le Seigneur a-t-il permis une telle désolation et humiliation en Israël qui est pourtant « le nombril de la terre » (Ez 38, 12) et le siège de la gloire de YHWH [1]? Les vv. 7- 9 interprètent et veulent traduire de façon existentielle la parabole racontée aux vv. 1-6. Plusieurs motifs sont à explorer dans cette péricope : l’expression fils d’homme, le guetteur ou la sentinelle, l’avertissement et la sentence qui en résulte, la maison d’Israël (v. 7) ou le méchant (v.8) auxquels l’avertissement s’adresse, les « objets » utilisés notamment l’épée et le cor. Fils d’homme Cette expression revient 93 fois dans le livre d’Ézéchiel. Elle remplace souvent le nom propre du prophète et ne sert donc pas seulement à attirer l’attention de celui-ci, mais elle lui dit aussi qui il est. On peut en tirer des conclusions dépréciatives : qu’est ce qu’un « petit d’homme » face à YHWH et sa gloire ? N’est-il pas lui aussi de la maison d’Israël, solidaire de l’iniquité de son peuple ? Le jeune déporté ne le savait que trop : il n’était pas un dieu, mais un homme sans moyens, sans pouvoirs, livré à la merci des dominateurs de son peuple. Mais justement : pour Dieu, un homme, quel qu’il soit et dans quelle condition qu’il se trouve, c’est toujours cet être qu’il a créé à son image pour l’associer à son règne. Cette particularité de la tradition biblique présente une possibilité extrêmement intéressante : quand les relations entre Israël et YHWH connaissent une crise grave et surtout quand on a tout lieu de penser, comme ce fut le cas au temps d’Ézéchiel, qu’elles pourraient être définitivement rompues, il reste encore au croyant un espoir de retrouver son Dieu : rejeté comme israélite, ne pourrait-il pas être agrée comme homme ? Le guetteur Il est tout d’abord celui qui écoute la parole qui sort de la bouche de YHWH et qui avertit (v.8). Dans la métaphore guerrière des vv. 1- 6, sa fonction première est évidemment de surprendre même si cette idée est moins développée ici ou de donner l’alerte pour ne pas être surpris. C’est celui qui du haut de son beffroi prévenait les populations de l’imminence de dangers. L’avenir du guetteur est étroitement lié à celui de son peuple. Il mourra s’il n’avertit pas (v.8). Il doit alors sonner du cor qui signale l’arrivée de l’ennemi. Cependant, rappelons-nous qu’en Israël, le son du cor servait aussi à convoquer l’assemblée autour du culte. Et plus fécond encore peut être pour notre propos : on sonnait du cor au moment du jubilé (7×7 = 49ans + 1) pour annoncer le repos de la terre et la libération des esclaves. A travers le son du cor, Dieu appelle au changement (v.8 et 9) mais il commence aussi à annoncer la fin de l’exil (34, 17-31 ; 36 ; 37 qui parle de la vision des ossements desséchés etc.) qui est précédée par le jugement des nations (Ez 35 ; 38 ; 39…) L’apôtre Paul et le livre de l’Apocalypse utilisent l’image de la trompette, mais l’idée est la même, et ils y ajoutent un sens eschatologique : l’annonce de la fin des temps et le signal de jugement. La trompette est ainsi dotée d’une double fonction : elle peut célébrer des actions ou alors les déplorer. L’épée (v.2, 3, 4, 6) symbolise d’abord le pouvoir militaire et sa vertu (la bravoure) ainsi que sa fonction (la puissance). Celle-ci possède un double aspect : destructeur –mais la destruction peut s’appliquer à l’injustice, à la malfaisance, à l’ignorance- et de ce fait peut devenir positive, constructrice, elle établit et maintient la paix et la justice. YHWH contrôle la situation dans toute sa totalité : il provoque la crise (l’épée), il nomme un guetteur (Ézéchiel), il identifie l’ennemi (soit la maison d’Israël soit…lui-même !), il prononce la sentence (la mort) et à tous, il demandera des comptes. On est en pleine guerre : le prophète est la sentinelle (3, 17 ; 33, 7). Ce n’est plus le moment de donner des conseils (3, 26) : il faudra même au prophète devenir muet (3, 26) et même immobile (4, 4-8) puis lancer des avertissements (33, 7 à 9). Sa personne ne fera qu’un avec son message. Le prophète/guetteur devient présage pour Israël Notre péricope parle de jugement. Certains passages des livres prophétiques ont d’ailleurs des tonalités apocalyptiques. Cette remarque à propos de l’apocalypse de Jean nous paraît ici pertinente : « Cette image du Dieu-juge peut devenir aujourd’hui une source d’espérance. En mettant entre la main de Dieu le sort de la création, Jean décharge l’homme d’un formidable pouvoir de destruction. L’homme est certes responsable de ses actes devant Dieu et devant les hommes, mais il est privé du pouvoir ultime : ce n’est pas lui qui a le pouvoir de juger »[2] Pistes pour la prédication

  1. Ézéchiel signifie « Dieu fortifiera ». Le nom est beaucoup plus qu’un signe conventionnel, un simple moyen de désignation ou d’appel. Pour le réalisme antique, il fait un avec celui qui le porte, il le manifeste et le rend présent.

A travers notre texte, qui pourtant avertit et menace, de quelle manière Dieu fortifie t-il son peuple ?

  1. L’appellation fils de l’homme dans la bouche de Jésus désigne soit le juge de la fin des temps envoyé par Dieu (Mt 10, 23 ; 24, 27 ; Mc 13, 26.29 ; Luc 21, 27), soit Jésus lui-même, l’envoyé de Dieu chargé d’anticiper le jugement dernier en pardonnant les péchés et en accordant le salut à ceux qui croient en lui (Mt 8, 20 ; 9, 6 ; 12, 8…). On notera combien il était paradoxal dans une perspective juive que le Fils de l’homme eschatologique doive connaître la mort. → L’espoir d’un renouveau se trouve t-il donc dans la tension entre jugement et salut ?
  2. De prêtre qu’il est, Ézéchiel devient prophète puis guetteur. Mais tous ces titres ne peuvent-ils pas être synthétisés en un seul, celui de fils d’homme ? En effet, chaque fils d’homme peut faire œuvre de prêtrise (se tenir devant Dieu), œuvre de prophète (avertir), œuvre de guetteur (veiller).

LiturgieLouange : Psaume 8Cantique : Psaume 47

Prédication

C’est donc une histoire de bouche à oreilles. Ou plutôt, une histoire d’oreilles à bouche. Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part v.7 Seulement voilà, les affaires qui marchent grâce aux bouches à oreilles sont en général de bonnes affaires. D’excellentes affaires. Vite ! On se passe le mot afin que chacun puisse en profiter. Or, cette parole « entendue » et qu’il faut répéter, c’est Méchant, tu mourras de mort certaine ! Apostropher quelqu’un en le traitant de méchant c’est déjà une chose. Quant à lui dire qu’il mourra de mort certaine… Tout d’un coup, le silence s’impose. Qui ? Qui oserait encore proclamer une telle parole aujourd’hui ? Dans notre société la retenue est de rigueur, la nuance est reine, celui qui a des opinions fortes se fait traiter d’intolérant et tous sont à la recherche d’un consensus (…souvent mou car c’est le propre du consensus). Il est même délicat pour un prédicateur de choisir un tel passage de la Bible. Nous préférerions entendre les aimez-vous les uns les autres ; Dieu nous a aimé en premier… Une parole d’avertissement donc. Une parole pour l’autre, pour qu’il revienne de sa voie et qu’il vive. Dieu lui-même s’exclame, quelques versets plus loin Ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il revienne de sa voie mauvaise et qu’il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises ! Pourquoi devriez-vous mourir, maison d’Israël ? Mais les paroles pour la vie, les paroles qui font vivre ne sont pas forcément agréables à entendre. Loin de là. Aussi, de tout temps, on fait taire les prophètes car ils dérangent. Nul n’a envie de se faire traiter de méchant et encore moins de s’entendre dire que sa voie conduira à la mort. Cela nécessiterait trop de remise en question. Le prophète Ézéchiel est prévenu, il va s’adresser à la maison d’Israël, au front endurci et au cœur inflexible, incapable d’écouter (3, 5-7). Or, on le voit dans le texte, la vie du prophète est intimement liée à celle de son peuple. S’il n’avertit pas, le méchant mourra dans sa voie mais le prophète devra alors rendre compte de son silence. Solidaire de la situation de son peuple, il est responsable du sort de celui-ci. Et c’est peut-être là le mot qui fait défaut dans nos vies : être responsable. Pas uniquement de soi (ce qui serait déjà pas mal) mais responsable aussi des autres. Celui qui est responsable répond de ses actes et on le voit bien dans notre société actuelle : en l’absence de responsable, on cherche à tout prix un coupable. Avertir ses contemporains donc. Pourquoi ? Pour vivre ! Les avertissements que les prophètes nous adressent ne sont pas là pour nous indiquer le bien et le mal : ce qui serait de l’ordre de la morale. Ces avertissements nous montrent ce qui est porteur de vie et ce qui est porteur de mort : c’est de l’ordre de l’Évangile. Nos choix peuvent être porteurs de mort et souvent nous nous mettons à l’écoute de paroles qui sonnent bien à nos oreilles, des paroles mielleuses et démagogiques qui ne risquent pas de nous déplacer. A bas les prophètes qui osent dire des paroles fortes ! Il n’y a rien de nouveau sous le soleil car déjà le serpent des origines flattait l’homme en lui disant : Mangez, vous serez comme des dieux Le serpent n’aime pas l’homme, il le jalouse même, c’est pourquoi il le flatte. Il lui dit ce qu’il a envie d’entendre. Dieu aime l’homme, c’est pourquoi il lui impose des limites, faute de quoi il tomberait dans des délires de toute puissance. Mais ce qui est sûr c’est que nous préférons entendre le 1er discours au second. Est-ce que les appels des prophètes sont dépassés ? Prenons un exemple : les Jeux Olympiques de Pékin. Je cite ici largement un article paru dans Réforme au mois de mai[3] intitulé : « La retenue, monnaie courante ». L’article dénonce en effet cette retenue qui nous caractérise tous, dont l’Élysée, qui a appelé la Chine à faire preuve de « retenue » au Tibet car d’un côté, ce ne sont pas quelques moines, vite réprimés, qui vont briser la belle vitrine offerte au monde entier, et de l’autre, il faut faire attention à un retour de flamme si préjudiciable aux contrats commerciaux. « Parole retenue, contrat maintenu […] décidément, Mao ou Mammon, l’idéologie ou l’idole sont bien des mots de la même famille » « Faire preuve de retenue, tel est également le message du Comité olympique français aux athlètes, leur interdisant de porter un badge où était écrit Pour un monde meilleur. Un slogan qui n’est pourtant pas d’une agressivité provocante. C’était déjà trop. Citus, altius, fortius…mais motus ! » Telle est devenue la devise olympique. « Devoir de silence plutôt que d’ingérence […] Plus vite, plus haut, plus fort…mais pas meilleur ». Il y a des paroles qui dérangent. Et du coup, il faut se poser la question : que valent nos vies devant des enjeux économiques ? Qui veut encore dire des paroles prophétiques qui dénoncent ? Toi, fils d’homme, je te nomme guetteur (…) Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part Idolâtrie, injustice, violence, manque de cohésion sociale, famine, iniquité du commerce international, arrogance des grandes puissances, dérèglement sexuel, désordre économique : autant de maux, combattus par le livre d’Ézéchiel et qui n’ont, hélas, rien perdu de leur actualité. La vision des ossements desséchés atteste la radicalité de la transformation nécessaire. La grandeur d’Israël est d’avoir reconnu dans ce livre une parole de Dieu et d’en avoir fait du même coup une parole pour d’autres temps. Fils d’homme, je te nomme guetteur Qu’est-ce qu’être homme et qu’est-ce qu’être homme devant Dieu ? Qu’est-ce qu’un guetteur ? Être homme tout d’abord. De tout temps, l’homme cherche à refuser sa condition. Il refuse les limites et bien que conscient de sa faiblesse (ou par ce que conscient de sa faiblesse justement), il veut s’en échapper. Cette expression « fils d’homme » peut donc s’entendre de façon négative. Elle nous dit notre fragilité. Mais être un homme devant Dieu, n’est-ce pas la plus élevée des créatures, celle qui lui ressemble, c’est être l’objet d’un grand projet et d’une grande espérance. En appelant Ézéchiel fils d’homme, Dieu ouvre devant lui une existence d’homme telle qu’il la conçoit. L’expression s’alourdit de tout le poids de l’autorité divine, mais en changeant de signe : expression d’un dépouillement, d’une déchéance, d’un désespoir (expression toute négative donc), elle se charge de positivité car Dieu a choisi l’homme pour collaborer avec lui. Dieu interpelle un homme, un simple homme, comme toi, comme moi, pour participer à ce qu’il veut accomplir au milieu et en faveur de ses créatures révoltées. Cet homme est un guetteur qui annonce la venue du péril ennemi, mais pas seulement. Il participe aux travaux de défense dont il a même mission d’assurer la vérité. Il ne peut ignorer les brèches, les points faibles de la communauté, il doit au contraire les observer de près, les signaler à l’attention de tous, faire en sorte que le travail de restauration ne soit pas superficiel mais atteigne le fond des choses : le cœur d’un peuple que menace moins la ruine de ses murailles que l’effondrement de sa conscience. Le guetteur scrute avec passion l’obscurité environnante, afin d’y déceler les silhouettes fugitives d’un éventuel ennemi dissimulé et redoutable, afin d’entrevoir aussi les rayons furtifs de l’aube naissante, indice du salut imminent. S’appliquant à repérer les « signes du temps », le guetteur est l’interprète de l’histoire, chargé de préparer ses ouailles à l’accueil judicieux du temps qui vient et du jour qui se lève. Toi, fils d’homme, je te nomme guetteur (…) Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part. Amen. [1] La racine kbd que l’on traduit par gloire évoque, au sens concret, l’idée de poids, donc ce qui donne de l’importance à quelqu’un. Dieu, en « laissant » Israël, serait-il donc en contradiction avec lui-même, puisque Israël est justement ce qui lui donne son poids ? [2] Elian CUVILLIER, Les apocalypses du Nouveau Testament, (CahEv 110), Paris : Cerf, 2000. [3] Réforme n°3271 du 8 au 14 mai.

Textes : Genèse 49, v. 29 à 50, v.14 Psaume 95Ézéchiel 33, v. 7 à 9 Romains 13, v. 8 à 10 Matthieu 18, v. 15 à 20 Pasteur Dina Rajhons (Reprise)Télécharger tout le document

Notes bibliques

Nous suggérons de lire à partir du v.1Remarques sur le texte :- Au v.7, il est important de traduire « Toi, fils d’homme » אדם בן (TOB) et pas uniquement « Toi, humain » (NBS) ou « Toi l’homme » (Français courant).- Garder l’insistance sur la mort annoncée comme sentence au v. 8 Méchant, tu mourras certainement (TOB) et non Méchant tu mourras (NBS) ou Ce méchant mourra (Français courant). Littéralement, c’est : De mort tu mourras תמות מות– Au même verset, le terme traduit par voie ou chemin (דרך) peut aussi s’entendre comme la conduite (bonne ou mauvaise), la manière ou l’habitude et du coup la vie ou ce que l’homme entreprend (cf. Jos 1, 8 et Jb 8, 19)Le prophète Ézéchiel a vécu et œuvré en exil babylonien (la première déportation était en 597 av. JC et la seconde en 587 av. JC).C’est probablement là-bas qu’il a entendu les nouvelles de la destruction de la ville de Jérusalem : Joïaqim, roi de Juda, profite des difficultés passagères des babyloniens et se révolte. Mais il provoque par là, à terme, la ruine de son État. Son fils, Joïakin, règne 3 mois puis la ville est assiégée et il est à son tour emmené en captivité à Babylone avec l’élite du pays.Le trésor du palais ainsi que ses ustensiles en or sont confisqués (2R 24, 12). Le pays est ruiné politiquement et économiquement. Cela ne va pas sans un questionnement d’ordre religieux : pourquoi le Seigneur a-t-il permis une telle désolation et humiliation en Israël qui est pourtant « le nombril de la terre » (Ez 38, 12) et le siège de la gloire de YHWH [1]? Les vv. 7- 9 interprètent et veulent traduire de façon existentielle la parabole racontée aux vv. 1-6.Plusieurs motifs sont à explorer dans cette péricope : l’expression fils d’homme, le guetteur ou la sentinelle, l’avertissement et la sentence qui en résulte, la maison d’Israël (v. 7) ou le méchant (v.8) auxquels l’avertissement s’adresse, les « objets » utilisés notamment l’épée et le cor. Fils d’hommeCette expression revient 93 fois dans le livre d’Ézéchiel. Elle remplace souvent le nom propre du prophète et ne sert donc pas seulement à attirer l’attention de celui-ci, mais elle lui dit aussi qui il est. On peut en tirer des conclusions dépréciatives : qu’est ce qu’un « petit d’homme » face à YHWH et sa gloire ? N’est-il pas lui aussi de la maison d’Israël, solidaire de l’iniquité de son peuple ? Le jeune déporté ne le savait que trop : il n’était pas un dieu, mais un homme sans moyens, sans pouvoirs, livré à la merci des dominateurs de son peuple. Mais justement : pour Dieu, un homme, quel qu’il soit et dans quelle condition qu’il se trouve, c’est toujours cet être qu’il a créé à son image pour l’associer à son règne.Cette particularité de la tradition biblique présente une possibilité extrêmement intéressante : quand les relations entre Israël et YHWH connaissent une crise grave et surtout quand on a tout lieu de penser, comme ce fut le cas au temps d’Ézéchiel, qu’elles pourraient être définitivement rompues, il reste encore au croyant un espoir de retrouver son Dieu : rejeté comme israélite, ne pourrait-il pas être agrée comme homme ?Le guetteurIl est tout d’abord celui qui écoute la parole qui sort de la bouche de YHWH et qui avertit (v.8). Dans la métaphore guerrière des vv. 1- 6, sa fonction première est évidemment de surprendre même si cette idée est moins développée ici ou de donner l’alerte pour ne pas être surpris. C’est celui qui du haut de son beffroi prévenait les populations de l’imminence de dangers.L’avenir du guetteur est étroitement lié à celui de son peuple. Il mourra s’il n’avertit pas (v.8). Il doit alors sonner du cor qui signale l’arrivée de l’ennemi.Cependant, rappelons-nous qu’en Israël, le son du cor servait aussi à convoquer l’assemblée autour du culte. Et plus fécond encore peut être pour notre propos : on sonnait du cor au moment du jubilé (7×7 = 49ans + 1) pour annoncer le repos de la terre et la libération des esclaves.A travers le son du cor, Dieu appelle au changement (v.8 et 9) mais il commence aussi à annoncer la fin de l’exil (34, 17-31 ; 36 ; 37 qui parle de la vision des ossements desséchés etc.) qui est précédée par le jugement des nations (Ez 35 ; 38 ; 39…)L’apôtre Paul et le livre de l’Apocalypse utilisent l’image de la trompette, mais l’idée est la même, et ils y ajoutent un sens eschatologique : l’annonce de la fin des temps et le signal de jugement. La trompette est ainsi dotée d’une double fonction : elle peut célébrer des actions ou alors les déplorer.L’épée (v.2, 3, 4, 6) symbolise d’abord le pouvoir militaire et sa vertu (la bravoure) ainsi que sa fonction (la puissance). Celle-ci possède un double aspect : destructeur –mais la destruction peut s’appliquer à l’injustice, à la malfaisance, à l’ignorance- et de ce fait peut devenir positive, constructrice, elle établit et maintient la paix et la justice.YHWH contrôle la situation dans toute sa totalité : il provoque la crise (l’épée), il nomme un guetteur (Ézéchiel), il identifie l’ennemi (soit la maison d’Israël soit…lui-même !), il prononce la sentence (la mort) et à tous, il demandera des comptes.On est en pleine guerre : le prophète est la sentinelle (3, 17 ; 33, 7). Ce n’est plus le moment de donner des conseils (3, 26) : il faudra même au prophète devenir muet (3, 26) et même immobile (4, 4-8) puis lancer des avertissements (33, 7 à 9). Sa personne ne fera qu’un avec son message. Le prophète/guetteur devient présage pour IsraëlNotre péricope parle de jugement. Certains passages des livres prophétiques ont d’ailleurs des tonalités apocalyptiques.Cette remarque à propos de l’apocalypse de Jean nous paraît ici pertinente : « Cette image du Dieu-juge peut devenir aujourd’hui une source d’espérance. En mettant entre la main de Dieu le sort de la création, Jean décharge l’homme d’un formidable pouvoir de destruction. L’homme est certes responsable de ses actes devant Dieu et devant les hommes, mais il est privé du pouvoir ultime : ce n’est pas lui qui a le pouvoir de juger »[2]Pistes pour la prédication

  1. Ézéchiel signifie « Dieu fortifiera ». Le nom est beaucoup plus qu’un signe conventionnel, un simple moyen de désignation ou d’appel. Pour le réalisme antique, il fait un avec celui qui le porte, il le manifeste et le rend présent.

A travers notre texte, qui pourtant avertit et menace, de quelle manière Dieu fortifie t-il son peuple ?

  1. L’appellation fils de l’homme dans la bouche de Jésus désigne soit le juge de la fin des temps envoyé par Dieu (Mt 10, 23 ; 24, 27 ; Mc 13, 26.29 ; Luc 21, 27), soit Jésus lui-même, l’envoyé de Dieu chargé d’anticiper le jugement dernier en pardonnant les péchés et en accordant le salut à ceux qui croient en lui (Mt 8, 20 ; 9, 6 ; 12, 8…). On notera combien il était paradoxal dans une perspective juive que le Fils de l’homme eschatologique doive connaître la mort. → L’espoir d’un renouveau se trouve t-il donc dans la tension entre jugement et salut ?
  2. De prêtre qu’il est, Ézéchiel devient prophète puis guetteur. Mais tous ces titres ne peuvent-ils pas être synthétisés en un seul, celui de fils d’homme ? En effet, chaque fils d’homme peut faire œuvre de prêtrise (se tenir devant Dieu), œuvre de prophète (avertir), œuvre de guetteur (veiller).

LiturgieLouange : Psaume 8Cantique : Psaume 47

 

 

Prédication

C’est donc une histoire de bouche à oreilles.Ou plutôt, une histoire d’oreilles à bouche.Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part v.7Seulement voilà, les affaires qui marchent grâce aux bouches à oreilles sont en général de bonnes affaires.D’excellentes affaires.Vite ! On se passe le mot afin que chacun puisse en profiter.Or, cette parole « entendue » et qu’il faut répéter, c’est Méchant, tu mourras de mort certaine ! Apostropher quelqu’un en le traitant de méchant c’est déjà une chose. Quant à lui dire qu’il mourra de mort certaine…Tout d’un coup, le silence s’impose.Qui ?Qui oserait encore proclamer une telle parole aujourd’hui ?Dans notre société la retenue est de rigueur, la nuance est reine, celui qui a des opinions fortes se fait traiter d’intolérant et tous sont à la recherche d’un consensus (…souvent mou car c’est le propre du consensus).Il est même délicat pour un prédicateur de choisir un tel passage de la Bible. Nous préférerions entendre les aimez-vous les uns les autres ; Dieu nous a aimé en premier…Une parole d’avertissement donc.Une parole pour l’autre, pour qu’il revienne de sa voie et qu’il vive.Dieu lui-même s’exclame, quelques versets plus loin Ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il revienne de sa voie mauvaise et qu’il vive ! Revenez, revenez de vos voies mauvaises ! Pourquoi devriez-vous mourir, maison d’Israël ?Mais les paroles pour la vie, les paroles qui font vivre ne sont pas forcément agréables à entendre. Loin de là.Aussi, de tout temps, on fait taire les prophètes car ils dérangent.Nul n’a envie de se faire traiter de méchant et encore moins de s’entendre dire que sa voie conduira à la mort. Cela nécessiterait trop de remise en question.Le prophète Ézéchiel est prévenu, il va s’adresser à la maison d’Israël, au front endurci et au cœur inflexible, incapable d’écouter (3, 5-7).Or, on le voit dans le texte, la vie du prophète est intimement liée à celle de son peuple. S’il n’avertit pas, le méchant mourra dans sa voie mais le prophète devra alors rendre compte de son silence.Solidaire de la situation de son peuple, il est responsable du sort de celui-ci.Et c’est peut-être là le mot qui fait défaut dans nos vies : être responsable. Pas uniquement de soi (ce qui serait déjà pas mal) mais responsable aussi des autres.Celui qui est responsable répond de ses actes et on le voit bien dans notre société actuelle : en l’absence de responsable, on cherche à tout prix un coupable.Avertir ses contemporains donc.Pourquoi ?Pour vivre ! Les avertissements que les prophètes nous adressent ne sont pas là pour nous indiquer le bien et le mal : ce qui serait de l’ordre de la morale. Ces avertissements nous montrent ce qui est porteur de vie et ce qui est porteur de mort : c’est de l’ordre de l’Évangile. Nos choix peuvent être porteurs de mort et souvent nous nous mettons à l’écoute de paroles qui sonnent bien à nos oreilles, des paroles mielleuses et démagogiques qui ne risquent pas de nous déplacer.A bas les prophètes qui osent dire des paroles fortes !Il n’y a rien de nouveau sous le soleil car déjà le serpent des origines flattait l’homme en lui disant : Mangez, vous serez comme des dieuxLe serpent n’aime pas l’homme, il le jalouse même, c’est pourquoi il le flatte. Il lui dit ce qu’il a envie d’entendre.Dieu aime l’homme, c’est pourquoi il lui impose des limites, faute de quoi il tomberait dans des délires de toute puissance.Mais ce qui est sûr c’est que nous préférons entendre le 1er discours au second.Est-ce que les appels des prophètes sont dépassés ?Prenons un exemple : les Jeux Olympiques de Pékin. Je cite ici largement un article paru dans Réforme au mois de mai[3] intitulé : « La retenue, monnaie courante ».L’article dénonce en effet cette retenue qui nous caractérise tous, dont l’Élysée, qui a appelé la Chine à faire preuve de « retenue » au Tibet car d’un côté, ce ne sont pas quelques moines, vite réprimés, qui vont briser la belle vitrine offerte au monde entier, et de l’autre, il faut faire attention à un retour de flamme si préjudiciable aux contrats commerciaux.« Parole retenue, contrat maintenu […] décidément, Mao ou Mammon, l’idéologie ou l’idole sont bien des mots de la même famille »« Faire preuve de retenue, tel est également le message du Comité olympique français aux athlètes, leur interdisant de porter un badge où était écrit Pour un monde meilleur. Un slogan qui n’est pourtant pas d’une agressivité provocante. C’était déjà trop. Citus, altius, fortius…mais motus ! » Telle est devenue la devise olympique.« Devoir de silence plutôt que d’ingérence […] Plus vite, plus haut, plus fort…mais pas meilleur ».Il y a des paroles qui dérangent.Et du coup, il faut se poser la question : que valent nos vies devant des enjeux économiques ?Qui veut encore dire des paroles prophétiques qui dénoncent ? Toi, fils d’homme, je te nomme guetteur (…) Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma partIdolâtrie, injustice, violence, manque de cohésion sociale, famine, iniquité du commerce international, arrogance des grandes puissances, dérèglement sexuel, désordre économique : autant de maux, combattus par le livre d’Ézéchiel et qui n’ont, hélas, rien perdu de leur actualité.La vision des ossements desséchés atteste la radicalité de la transformation nécessaire.La grandeur d’Israël est d’avoir reconnu dans ce livre une parole de Dieu et d’en avoir fait du même coup une parole pour d’autres temps.Fils d’homme, je te nomme guetteurQu’est-ce qu’être homme et qu’est-ce qu’être homme devant Dieu ? Qu’est-ce qu’un guetteur ?Être homme tout d’abord.De tout temps, l’homme cherche à refuser sa condition. Il refuse les limites et bien que conscient de sa faiblesse (ou par ce que conscient de sa faiblesse justement), il veut s’en échapper.Cette expression « fils d’homme » peut donc s’entendre de façon négative. Elle nous dit notre fragilité.Mais être un homme devant Dieu, n’est-ce pas la plus élevée des créatures, celle qui lui ressemble, c’est être l’objet d’un grand projet et d’une grande espérance.En appelant Ézéchiel fils d’homme, Dieu ouvre devant lui une existence d’homme telle qu’il la conçoit. L’expression s’alourdit de tout le poids de l’autorité divine, mais en changeant de signe : expression d’un dépouillement, d’une déchéance, d’un désespoir (expression toute négative donc), elle se charge de positivité car Dieu a choisi l’homme pour collaborer avec lui.Dieu interpelle un homme, un simple homme, comme toi, comme moi, pour participer à ce qu’il veut accomplir au milieu et en faveur de ses créatures révoltées.Cet homme est un guetteur qui annonce la venue du péril ennemi, mais pas seulement. Il participe aux travaux de défense dont il a même mission d’assurer la vérité.Il ne peut ignorer les brèches, les points faibles de la communauté, il doit au contraire les observer de près, les signaler à l’attention de tous, faire en sorte que le travail de restauration ne soit pas superficiel mais atteigne le fond des choses : le cœur d’un peuple que menace moins la ruine de ses murailles que l’effondrement de sa conscience.Le guetteur scrute avec passion l’obscurité environnante, afin d’y déceler les silhouettes fugitives d’un éventuel ennemi dissimulé et redoutable, afin d’entrevoir aussi les rayons furtifs de l’aube naissante, indice du salut imminent.S’appliquant à repérer les « signes du temps », le guetteur est l’interprète de l’histoire, chargé de préparer ses ouailles à l’accueil judicieux du temps qui vient et du jour qui se lève.Toi, fils d’homme, je te nomme guetteur (…) Tu écouteras la parole de ma bouche et tu les avertiras de ma part. Amen.[1] La racine kbd que l’on traduit par gloire évoque, au sens concret, l’idée de poids, donc ce qui donne de l’importance à quelqu’un. Dieu, en « laissant » Israël, serait-il donc en contradiction avec lui-même, puisque Israël est justement ce qui lui donne son poids ? [2] Elian CUVILLIER, Les apocalypses du Nouveau Testament, (CahEv 110), Paris : Cerf, 2000.[3] Réforme n°3271 du 8 au 14 mai.