3e dimanche de carêmeTextes : Psaume 28 Psaume 95Exode 17, v. 3 à 7 Romains 5, v. 1 à 8 Jean 4, v. 5 à 42Équipe de prédicateurs de l’EPUdF De Vannes Morbihan-Est :Henry Bellamy-Brown, Bernard Dorey, Pierre-François Farigoule (Pasteur), Alain LeJoncour,André Le Mellionnec, Philippe Maurice.Télécharger tout le document
Exode 17, 1-7Délimitation du texte : Il semble cohérent de commencer la lecture non pas au v. 3 mais au v. 1. Le v.1 indique un changement de lieu ; le v. 7 est une glose conclusive du récit. Le v. 8 introduit un autre épisode où entrera en scène le roi Amalec venant faire la guerre à Israël.Contexte : Le texte est introduit par une formule semblable à 16, 1 qui introduit le récit précèdent qui est le don de la manne et des cailles. Ce parallèle établit un lien entre ces deux épisodes. La question du manger (chapitre 16) et du boire (chapitre 17) est donc posée au tout début de la traversée du désert qui commence effectivement en 15, 22 après le cantique de Moïse. Suivra la confrontation avec les ennemis (17, 8ss.). C’est une nouvelle étape pour le peuple libéré d’Égypte : Le Seigneur a sauvé son peuple de l’esclavage, mais comment celui-ci va t-il vivre sans maitre pour le nourrir lui, ses enfants et ses troupeaux ?Ces questions se posent dès le franchissement de la mer rouge selon un schéma narratif récurent : le peuple maugrée contre Moïse ; Moïse crie vers le Seigneur ; le Seigneur répond concrètement aux besoins premiers du peuple (nourriture et protection) ; le peuple est exhorté à reconnaître le Seigneur et à mettre sa confiance en lui. C’était le programme annoncé en Ex 15, 26 : « 26Il (Moïse) dit : Si vraiment tu écoutes le SEIGNEUR, ton Dieu, si tu fais ce qui lui convient, si tu prêtes l’oreille à ses commandements et si tu observes toutes ses prescriptions, je ne t’infligerai aucune des maladies que j’ai infligées à l’Égypte : c’est moi, le SEIGNEUR (YHWH), qui te guéris ». Analyse narrative :L’intrigue : 1. Situation initiale : v. 1.Les fils d’Israël, dans le désert, ont soif.2. Nouement : v. 2-3.Le peuple querelle Moïse et Aaron.« Donnez-nous de l’eau à boire » ; le pluriel associe Moïse et Aaron.Le peuple exprime son regret d’avoir quitté le confort de l’esclavage en Égypte.3. L’action transformatrice : v. 4-5.Moïse crie au SEIGNEUR et lui demande son aide ; LE SEIGNEUR lui donne la marche à suivre.4. Le dénouement : v. 6.« Tu frapperas le rocher avec le bâton et il en sortira de l’eau et le peuple boira ».C’est bien le pendant du nouement : le « donne nous à boire » reçoit sa réponse : « le peuple put boire ».5. La situation finale : v. 7a et 7b.v. 7a : Le lieu reçoit un nom qui garde la mémoire de ce qui s’est passé : la demande du peuple, le rôle de Moïse, la réponse du Seigneur.V7b : Glose de l’auteur qui révèle l’enjeu pour Israël de ce qui s’est passé. Ce récit est une intrigue de résolution ; c’est à dire que la situation de départ où le peuple à soif est résolue puisque le peuple a pu boire. Mais aussi une intrigue de révélation car derrière la réponse concrète à la demande du peuple pour sa survie, se révèle bien plus : le Seigneur est au milieu de son peuple pour le conduire vers le pays où coule le lait et le miel. La glose finale déplace la préoccupation du lecteur : à une question de survie, l’auteur répond par une affirmation théologique. Derrière la demande d’eau se cachait le désir profond du peuple d’une présence divine tout aussi essentielle. Les personnages 1. Personnages principaux :1. Le peuple qui a soif, qui murmure, qui querelle et qui finit par boire.2. Moïse qui a pour mission de conduire le peuple d’Israël au milieu des épreuves.3. Le Seigneur qui soutient Moïse et le dirige pour apporter la solution au peuple.2. Personnages secondaires : 1. Le bâton de Moïse : il en est question au début du livre de l’exode (4, 1ss.). Au buisson ardent, le Seigneur transforme le bâton de Moïse en serpent et en faisant confiance au Seigneur, Moïse prend le serpent par la queue qui redevient bâton. Ce bâton, signe la puissance du Seigneur remise entre les mains de Moïse et par laquelle il fera des signes : plaies d’Égypte, franchissement de la mer rouge, etc.2. Les anciens qui sont témoins du dénouement. Dans l’Orient ancien, les « anciens » étaient les chefs de famille et de clan, possédant l’autorité, et représentatifs du peuple. Moïse passe devant eux en prend quelques-uns avec lui comme témoins. Ils jouent un rôle ici d’intermédiaires entre les demandes du peuple et la satisfaction de ces demandes. Leur rôle étant exclusivement de témoins renforce la place de Moïse comme porte parole du Seigneur et l’action exclusive du Seigneur par l’intermédiaire du bâton de Moïse.3. Figurants :1. les enfants et les troupeaux que Moïse laisserait mourir de soif selon le peuple et qui seront abreuvés.Piste de prédication en faisant le lien avec l’évangile (Jésus et la samaritaine) : à travers nos demandes, le Seigneur fait émerger le désir profond de sa présence.Suggestions de chants : Ps 65 Vers toi, SeigneurAEC 155, Alléluia 12-10 : Avec des cris de JoieAEC 181, Alléluia 14-09 : Cherchez d’abordAEC 406, Alléluia 61-17 : Du fond de ma détresseAEC 626, Alléluia 45-10 : J’ai soif de ta présenceAEC 623, Alléluia 46-08 : Toi qui gardes le silencePRÉDICATIONExode 17, v. 3 à 7 – Jean 4, v. 5 à 42Parmi les textes qui nous sont proposés pour ce jour et que nous avons lus, deux parlent de soif, d’eau, de sources. Le premier dans le livre de l’Exode et le second dans l’évangile de Jean. Ces deux textes, à priori, n’ont rien de commun car ils racontent deux histoires différentes, à deux époques différentes avec des interlocuteurs totalement différents. Et pourtant ils s’inscrivent dans la même histoire. Alors pourraient-ils avoir quelque chose en commun et si oui quoi ?Regardons d’abord le texte de l’Exode qui rappelle un épisode de la vie du peuple d’Israël au désert au cours duquel ce dernier murmure contre Dieu et se révolte car il a soif et demande de l’eau. C’est la suite des deux chapitres précédents dans lesquels par deux fois le peuple a déjà montré sa mauvaise humeur, la première fois à cause de l’eau de Mara, amère, et la seconde fois car il avait faim. Le peuple d’Israël, délivré de l’esclavage en Égypte, est en route. Libre, mais libre dans un environnement hostile : le désert. Le désert est dans la Bible un lieu de danger, de mort, mais aussi lieu privilégié de rencontre avec Dieu. Dans le désert, le peuple d’Israël a perdu tous ses repères. Il marche en suivant un guide, Moïse, seul intermédiaire entre lui et ce Dieu qu’il ne voit pas et n’entend pas. Le salut du peuple repose uniquement sur cette confiance donnée à Moïse, détenteur d’une procuration d’un Dieu invisible et muet. Le peuple se demande où il va. Cette confiance, cette foi en Dieu, le peuple ne l’a pas et ce n’est pas cela qui le préoccupe. L’attente du peuple est pourrait-on dire « bassement » matérielle : du pain et de l’eau à tel point que les questions et les commentaires fusent :Pourquoi être délivrés si c’est pour mourir de faim ou de soif ? Qu’avons-nous gagné ? Il était préférable de mourir en Égypte plutôt que d’être assoiffés. Et on va atteindre le doute ultime quand cette question va être posée : « Le Seigneur (YHWH) est-il parmi nous ou non ? ».Pour les Israélites, le passé est oublié et ils n’attendent rien de l’avenir. Ce qui les intéresse c’est le présent et uniquement la satisfaction de leurs besoins matériels.L’attente de Dieu, elle, est complètement différente. Au début du livre de l’Exode, il est rappelé que Dieu veut sauver son peuple parce qu’il se souvient de la promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob. Il veut recréer une nouvelle relation avec son peuple. Les Israélites seront son peuple, Il sera leur Dieu et ils sauront qu’Il est le Seigneur (YHWH).Cette nouvelle alliance, qui sera proposée par Dieu au chapitre 19 du livre de l’exode et concrétisée par les dix commandements, n’est pas encore possible. La relation que Dieu veut créer avec son peuple est impossible pour l’instant car le hiatus est trop fort entre l’attente de Dieu et celle du peuple d’Israël. Ce n’est que lorsque les besoins primaires du peuple seront satisfaits que ce dernier pourra rentrer dans cette relation.Et là, nous arrivons à un point que j’aborde avec beaucoup de questions et de prudence. Par l’absence d’eau et de pain, le Seigneur (YHWH) met son peuple à l’épreuve. On pourrait dire que le Seigneur (YHWH) provoque son peuple. J’ai énormément de mal à écrire ces deux dernières phrases. La connotation négative de ces deux affirmations m’est insupportable. Cette épreuve serait-elle bonne pour le peuple ? Nous sommes confrontés ici à une alternative théologique. D’une part une théologie de l’utilité de l’épreuve ou de la tentation illustrée, par exemple, par cet article de Réforme dans lequel il est écrit : « Il est tout à fait clair dans la tête de Jésus que c’est bien Dieu qui nous conduit vers l’obstacle. D’abord parce que l’obstacle nous apprend à vivre, il nous fortifie et fait grandir… Dieu nous rend service en nous conduisant vers l’obstacle ». D’autre part une théologie, à laquelle j’adhère, de la non compromission de Dieu dans le mal ou l’épreuve exprimée par Dietrich Bonhoeffer quand il écrit : « Si donc il n’est pas possible d’attribuer au diable la faute de la tentation, il y a blasphème à en rendre Dieu responsable. Cela peut avoir l’apparence de la piété, mais de fait cela revient à affirmer que d’une manière ou de l’autre, Dieu est accessible au mal. Dans ce cas il y aurait en Dieu une dualité qui rendrait sa Parole douteuse et équivoque. » Il y a peut-être une autre interprétation qui pourrait faire l’unanimité. Si nous considérons que « l’épreuve n’est pas tentation mais invitation à une vie plus intense et à une relation plus profonde » (Xavier Léon-Dufour), on peut accepter qu’en agissant ainsi, Dieu a pu manifester sa puissance par des signes donnés au peuple qui doutait. En faisant jaillir l’eau du rocher d’Horeb, il a fait jaillir à nouveau la continuité de son amour et sa fidélité par rapport à son peuple.Pas une fois, au cours de ces trois épisodes (l’eau de Mara, la manne, le rocher d’Horeb) Dieu ne se met en colère. Il entend les réclamations du peuple et donne des signes. Ce n’est qu’après la remise des tables de la loi, qu’à cause du veau d’or que Dieu envisagera d’exterminer son peuple.Ce Dieu du rocher d’Horeb s’engage, se compromet pourrait-on dire, en satisfaisant les besoins matériels immédiats de son peuple mais dans l’unique but que l’attente du peuple soit en phase avec son attente, c’est-à-dire que soit rétablie cette relation d’amour et de confiance entre lui et le peuple qu’il a choisi.En montrant sa puissance, par l’intermédiaire de Moïse qu’il fait « passer devant le peuple » comme le souligne le texte, Dieu redonne confiance à Israël en le libérant de ses peurs et de ses doutes. Dieu est amour et ne peut vivre qu’en relation avec son peuple, car il n’y a pas d’amour entre 2 entités sans relation. Cette attente de Dieu, nous la retrouvons dans le deuxième texte qui nous était proposé pour ce jour : le récit de Jésus avec la femme samaritaine. Il est là aussi question de soif et d’eau. Jésus traverse la Samarie pour se rendre de Judée en Galilée. Il est environ midi. Il s’arrête au bord d’un puits car il a soif. Le Fils de Dieu n’est pas un surhomme. Il est assis et une femme s’approche pour puiser de l’eau. Il va se passer quelque chose de bizarre dès le début de ce texte. En bon juif Jésus aurait du se taire. Il est en Samarie, région de Palestine dont les habitants sont considérés par les juifs comme hérétiques et impurs. De plus, il parle à une femme et à une femme qui vient chercher de l’eau à midi en plein cagnard quand il n’y a personne au puits (elle doit avoir certainement quelque chose à cacher !). Et lui le Rabbi, le Maître, lui demande de l’eau ! La femme samaritaine lui fait remarquer le caractère incongru et provocateur de sa demande : « Comment toi, qui es juif, peux-tu me demander à boire, à moi, qui suis une samaritaine ? ». Jésus n’a rien pour boire, il a besoin d’aide pour étancher sa soif, mais comme dans Exode 17 cette soif physiologique n’est pour Jésus qu’un prétexte qui lui permettra de guider cette femme vers cette révélation qu’il veut qu’elle s’approprie.Le point de départ de ce dialogue est bien sûr la demande de l’eau physique, de l’eau naturelle, mais Jésus, en brisant tous les codes de l’époque, lance un défi à la femme. Un double défi : d’abord reconnaître qui est celui qui lui parle et ensuite demander cette eau du ciel qui donne la vie éternelle.Jésus, fils du Dieu de l’Exode, part, comme au rocher d’Horeb, du niveau terre à terre pour emmener son interlocutrice vers cette relation de foi, de confiance et d’amour, vers ce Messie qu’on appelle Christ et dont elle sait qu’il doit venir.Ce qui a fait basculer le peuple au désert c’est le geste de Moïse qui frappe le rocher ; Ce qui fait basculer la femme samaritaine c’est la question que lui pose Jésus au sujet de ses cinq maris. Le peuple au désert voit l’eau jaillir, la femme samaritaine voit jaillir la vérité en ce qui concerne sa vie. Le peuple et la femme samaritaine se rendent compte qu’ils ont en face d’eux une présence qui les dépasse et qui ne leur veut pas de mal, bien au contraire. Et à ce moment précis se rejoignent simultanément les attentes des différents interlocuteurs de ces deux récits :Ä Attente des êtres humains (le peuple ou la femme) qui découvrent ou redécouvrent que Dieu est présent et agit.Ä Attente de Dieu qui ne peut pas vivre sans relation avec sa création.Car c’est là, à mon avis, la bonne nouvelle de ce jour et le point commun entre ces deux récits. Il y a une relation à recréer perpétuellement entre Dieu et le monde.Dieu a besoin de nous, Dieu nous attend. Trop souvent nous attendons tout de Dieu, nous sommes demandeurs sans nous rendre compte qu’en agissant ainsi nous renforçons l’image de ce Dieu despote, tout puissant, sourd et silencieux qui n’est pas le Dieu de l’Évangile. Car le Dieu de l’Évangile, c’est ce Jésus qui s’approche d’une femme samaritaine, hérétique, méprisée et qui lui donne toute la nourriture spirituelle dont elle a besoin. C’est ce Jésus qui va au-delà de l’alliance conclue avec Israël pour en faire bénéficier toutes les nations.Le Dieu de l’Évangile c’est ce Dieu qui fait des pas vers nous et qui attend que nous fassions des pas vers Lui. Le Dieu de l’Évangile c’est ce Dieu qui est amour, qui n’est qu’amour. « Dieu n’est pas quelqu’un qui se regarde et tourne autour de soi, qui se gargarise de lui-même, mais au contraire quelqu’un qui se donne. » (Maurice Zundel). Mais ce Dieu d’amour total, ne peut-être véritablement lui-même que dans une relation bilatérale avec l’humanité. S’il n’y a pas ou plus de destinataire, l’amour n’a plus de raison d’être.Ce Dieu qui ne peut exister que dans la relation avec nous-mêmes, il est fragile comme l’amour. Et c’est à nous de le protéger. De le protéger de qui ? De nous-mêmes. C’est notre responsabilité et notre grandeur. « Dieu est tellement fragile en nous que, si nous ne Lui offrons pas notre fidélité en ce moment même, Il risque d’être en nous comme inexistant. » (Maurice Zundel). Nous et personne d’autre, car si nous sommes infidèles, Lui est toujours fidèle.Amen