Textes : Ps 85 Ésaïe 40, v. 1 à 112 Pierre 3, v. 8 à 14 Marc 1, v. 1 à 8Pasteur Mino RandriamanantenaTélécharger le document au complet
2ème dimanche de l’Avent
Mc.1, 1 Commencement de l’Évangile de Jésus Christ [fils de Dieu], 2 comme il est écrit dans le prophète Ésaïe : « Voici j’envoie mon messager devant ta face, qui arrangera ton chemin. 3 Voix de celui qui crie dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses entiers”. »4 Jean [le baptisant] survint, baptisant dans le désert et prêchant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. 5 Toute la région de Judée et tous les habitants de Jérusalem venaient vers lui. Et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés. 6 Et Jean était vêtu de poils de chameau et d’une ceinture de cuir autour des reins, mangeant des sauterelles et du miel sauvage.7 Et il prêchait disant : « Il vient après moi celui qui est plus grand que moi, dont je ne suis pas digne, en me baissant, de délier la courroie de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera dans l’Esprit saint. »
La plupart des exégètes admettent aujourd’hui que l’écrit de Marc, de genre “évangile”, est daté entre la première persécution des chrétiens par Néron, en 64, et avant ou un peu après la destruction du Temple de Jérusalem, en 70. Certains passages laissent supposer que Marc s’adresse à des lecteurs d’origine païenne. Certains pensent que ce livre servait de texte liturgique, notamment lors de la nuit de Pâques comme préparation au baptême des nouveaux convertis. Mais l’auteur semble aller plus loin en appelant au retour à l’essentiel qui est le Christ crucifié adressé à une communauté en mal d’identité. Le livre a pu aussi servir à l’évangélisation des païens en marge des communautés chrétiennes.Notre péricope semble vouloir marquer le commencement de la mise par écrit de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ (v.1). Mais on peut aussi comprendre qu’elle introduit la personne et l’œuvre de Jésus par le ministère de Jean le baptiste.Je propose de suivre Marc à travers notre passage en trois étapes :- La promesse (v.1-3),- La venue de Jean le baptiste (v.4-6),- Le message de Jean le baptiste (v.7-8).-
Commencement de l’Évangile de Jésus Christ. Cette expression marque une rupture par rapport à ce qui précède. Désormais, un temps nouveau commence, le temps de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Certains manuscrits mentionnent, après le mot “christ”, l’expression “fils de Dieu” que j’ai mise entre crochets. Cette expression trouvera une interprétation particulière dans la suite du récit, et notamment quand le Centurion découvre l’identité ultime du crucifié sur la croix (Mc.15,39).Comme il est écrit dans le prophète Ésaïe… Cette nouveauté du temps de Dieu s’inscrit pourtant dans sa parole promise depuis longtemps. Ici, c’est le prophète Ésaïe qui est invoqué, mais la première partie de la citation (v.2) ne vient pourtant pas de lui mais de Malachie (Mal.3,1 mélangé à Ex.23,20).J’envoie un messager devant ta face, qui arrangera ton chemin. Le mot grec kataskeuazo peut se traduire par « préparer », « tenir prêt », « équiper », « organiser », « construire », « imaginer ». C’est comme si le lecteur était invité à s’inscrire dans une précédence : il est précédé par le texte, lui-même précédé par la personne et l’œuvre de Jésus, lui-même précédé par Jean le baptiste, lui-même précédé par la promesse d’Ésaïe, qui reçoit une parole venant de Dieu lui-même. On retrouve cette précédence à la fin du récit, en Mc.16,7 (Jésus promet de précéder les disciples en Galilée).Voix de celui qui crie dans le désert : “Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers”. La citation vient d’Es.40,3 : « Une voix proclame dans le désert “Préparez un chemin pour le Seigneur, nivelez dans la steppe un sentier pour notre Dieu” », mais auquel Marc rajoute un possessif (ses sentiers), tout comme au v.2 (ton chemin), pour recentrer les promesses de l’Ancien Testament sur la personne et l’œuvre de Jésus.
Dans le désert. Jean accomplit la promesse en prêchant dans le désert. Le déplacement du cri vers la prédication est intéressant. Le texte peut se lire « crie dans le désert : “Préparez…” » ou bien « crie : “Dans le désert préparez…” ». Je propose ici la première option, car le désert est le lieu où le peuple d’Israël, en sortant de la servitude en Égypte, a rendez-vous avec Dieu pour la conversion. Le pardon proclamé dans le désert dit l’amour et la grâce première de Dieu qui donne à l’humain le courage de reconnaître sa condition pécheresse séparée de Dieu, et d’accueillir sa nouvelle et véritable identité d’humain réconcilié avec Dieu. Le baptême de Jean est sans doute à rapprocher des rituels pratiqués dans certains milieux du judaïsme du 1er siècle, notamment les esséniens qui ont aussi choisi de se retirer dans le désert. Ces derniers mangeaient des sauterelles, tout comme Jean le baptiste (v.6).Le v.6 fait penser aux habits des prophètes de l’Ancien Testament (les poils : cf. Za.13,4) et notamment Élie (la ceinture : cf. Élie en 2Rs.1,8), qui est en même temps une figure qui précède l’avènement du Messie dans les textes apocalyptiques connus des lecteurs de l’évangile de Marc (cf. Mc.9,11-13).
Il vient après moi celui qui est plus grand que moi. Sitôt que Jean le baptiste prend la parole pour prêcher, il s’efface devant celui qui vient après lui. Comme si la conversion qu’il est sensé prêcher ne peut se traduire autrement que par cet effacement !L’humain ne l’est qu’à s’effacer devant l’humain véritable que Dieu propose en Christ. Voilà la mission du témoin Jean le baptiste. Accepter d’être précédé par la Parole de Dieu signifie s’effacer devant le Christ ou plutôt le laisser effacer le vieil humain en nous.Lui vous baptisera dans l’Esprit saint. Le baptême de Jean est provisoire, tandis que le baptême de Jésus est décisif, car renvoie au Royaume de Dieu. L’humain actuel ne peut proposer qu’un mieux provisoire. Jésus, quant à lui, propose d’assumer la condition humaine et d’espérer de manière active et créative au cœur même de la déchéance.
Beaucoup pensent que l’idée d’un monde parfait est une utopie. Quelle est la Bonne Nouvelle de Jésus Christ face à une telle affirmation ? La première réponse consisterait à dire que, grâce au Christ, l’humain peut atteindre la perfection nécessaire pour établir une société idéale sur terre. Mais beaucoup aujourd’hui n’y croient plus. La deuxième réponse consiste à dire que l’humain peut assumer les imperfections inhérentes à la condition humaine vivant dans la fragilité de ce monde, et peut oser la folie d’espérer au cœur même de la peur et du désespoir ambiant, et ceci parce que le Christ vient l’y rejoindre et lui proposer un changement qualitatif de sens dans sa vie.
- 2. Quel témoignage pour aujourd’hui ?
Quand nous témoignons, nous acceptons d’être décentré de nous-mêmes pour tout centrer autour de l’événement auquel nous rendons témoignage : la Parole de Dieu. Le témoin prend le risque d’être déplacé et bousculé ainsi (c’est ce que fait Jean le baptiste). Il s’agit d’une situation de fragilité, car il ne maîtrise pas l’objet de son témoignage, ayant peu de certitude voire aucune, mais plein de confiance car témoin d’un Maître qui l’aime. Le témoignage s’exprime dans le langage de tous les jours. Il est marqué par une certaine diversité, selon la pesanteur de l’histoire personnelle de chaque témoin : c’est sa force, car le témoignage le plus insignifiant a beaucoup d’importance au bénéfice de l’événement à raconter.
La crédibilité est une question d’interlocution : elle implique plusieurs interlocuteurs. Et elle consiste en ce que l’autre partage mon sentiment et mon jugement. La difficulté vient du fait que je ne peux pas lui imposer mes points de vue. De plus, il existe inévitablement un décalage entre son histoire personnelle et la mienne. Mon amitié fraternelle pour lui m’interdit toute tentative de le manipuler. Difficile donc de chercher à convaincre l’autre par une démonstration logique irréfutable et “pleine” de certitude ou de lui montrer les désastres que pourrait causer son éventuel refus. Je ne peux que lui suggérer des occasions pour qu’il découvre à son tour l’événement auquel je rends témoignage. Libre à lui d’accepter ou non l’illumination intérieure de l’Esprit qui l’aidera à en faire une expérience fondatrice.
« Préparez le chemin du Seigneur » (Mc.1,3) Idée de cantique : Alléluia 45-01 « Ta volonté Seigneur mon Dieu »( AEC 608, NCTC 284) Texte : « Je fais un rêve », discours de Martin Luther King le 28 août 1963 En parcourant le livre Utopie de Thomas More, le lecteur découvrira qu’en Utopie, sur cette île lointaine et imaginaire, le monde parfait rêvé par l’auteur peut finalement conduire au totalitarisme. Pourtant, l’auteur créait, en plus du mot lui-même, l’image d’une société idéale avec la meilleure forme de gouvernement et d’organisation communautaire. Si l’utopie vire ainsi au cauchemar, faut-il donc s’interdire de rêver, renonçant à toute espérance ? L’humain se laisse alors crouler sous le poids de la désillusion vis-à-vis des grandes promesses d’antan. On finit par ne plus oser y croire, comme le dit si bien une chanson d’Axel Red, elle qui aurait tant voulu un monde qui évolue. Quand beaucoup pensent qu’ils vivent dans une société de peur et de crise, où trouver le courage d’espérer au-delà du désespoir apparent ? En écoutant le récit du début de l’évangile de Marc, une des réponses qui viennent à l’esprit consisterait à dire qu’avec Jésus, une ère nouvelle commence où l’humain arrivera désormais à construire un monde parfait. La Bonne Nouvelle de Jésus le Christ reviendrait alors à dire que l’humain, à l’exemple de Jean le baptiste, devient plus qu’humain capable d’atteindre la perfection pour bâtir la société idéale. Mais qui oserait encore y croire aujourd’hui ? L’Histoire joue le rôle d’un miroir qui révèle à l’humanité ses limites et la fragilité de son monde. Au fil du temps, les grandes promesses ont révélé leurs défaillances propres, les unes après les autres. Petit à petit, les groupes et les communautés ont renoncé à tout but à atteindre, tout projet économique, politique ou social à réaliser. Le sociologue Michel Maffesoli parle d’une société qui préfère entrer dans le plaisir d’être ensemble, dans l’intensité du moment, dans la jouissance de ce monde tel qu’il est. L’humain peut s’entêter à vouloir vivre de manière plus qu’humaine malgré les limites inhérentes à sa nature. Et Jésus apporterait la solution qui permet de jouir au maximum du temps présent. Mais quand on écoute bien l’évangile de Marc, depuis le message du baptiste dans le prologue jusqu’à l’aboutissement final à la croix, l’auditeur attentif arrive à discerner un autre message. En effet, l’évangéliste montre clairement que Jésus n’est pas venu faire disparaître les imperfections liées à la condition humaine. Jésus au contraire choisit de venir après Jean le baptiste. Sur la croix, il s’efface et vient rejoindre tout humain en assumant, acceptant et portant comme tout le monde le poids de la dure réalité humaine, vivant dans un monde fragile et imparfait. Il vient montrer que rien ne sert d’être plus qu’humain puisque l’humain véritable est possible dans la condition actuelle. Dieu accepte et aime chaque humain quelle que soit sa condition, malgré tous ses déserts, même vêtus de poils de chameau et mangeant des sauterelles comme Jean le baptiste. Dieu l’appelle à la conversion, c’est-à-dire à renoncer à vouloir être plus qu’humain et à accepter d’être simplement et véritablement humain ; à être son enfant. La déchéance et le désespoir apparents n’ont pas le dernier mot sur cet humain véritable. Il devient alors possible de s’accepter soi-même, d’accepter d’être témoin comme Jean le baptiste et de trouver le courage d’être avec d’autres. Le théologien résistant allemand Dietrich Bonhoeffer pense que l’autre veut être aimé comme il est, c’est-à-dire comme celui pour lequel le Christ est devenu homme, est mort et ressuscité et pour qui il a obtenu le pardon des péchés et préparé une vie éternelle. Pour Bonhoeffer, c’est ce qui permet de distinguer entre l’idéal humain et la réalité de Dieu. Le lien qui vient de Dieu crée la liberté de l’autre, et ceci parfois aux dépens de ma propre sécurité. Le changement que propose Jean le baptiste revient donc à renoncer à vouloir bâtir par soi-même son monde idéal, et à recevoir gratuitement de Dieu seul le Royaume tel que Dieu le rêve. Ainsi libéré de cette préoccupation, assuré du don de Dieu, Jean peut préparer avec lucidité, inventivité et inspiration le chemin du Seigneur, pour lui-même et pour la création entière. Amen.