Textes : Ps 25 Jonas 3, v. 1 à 101 Corinthiens 7, v. 29 à 31 Marc 1, v. 14 à 20Pasteur Christian GinouvierTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Dans l’introduction à son commentaire de Jonas (Delachaux et Niestlé 1977), Alphonse Maillot écrit : Il faut devenir Jonas. Mais le devenir en devenant soi-même…le Jonas que je lis et que je vis… n’est certes pas le seul Jonas possible, mais… il en vaut bien d’autres et est au moins aussi fidèle que ces autres à l’intention de leur auteur. Il est difficile de classer ce petit livre -merveilleusement- écrit dans la période post-exilique (après 500 av. JC). Sans doute renvoie-t-il à un personnage historique (2 Rois 14/25), mais il ressemble moins aux livres prophétiques qu’à une parabole de l’universalité du salut. En effet, s’il se fait ponctuellement et contre son gré (à tout le moins de façon paradoxale !) l’écho de la parole de Dieu (l’oracle adressé aux Ninivites), il met surtout en scène des personnages et des situations. Cependant, le scribe ou les compilateurs, qui l’ont rangé parmi les livres prophétiques plutôt que parmi d’autres écrits avec lesquels d’ailleurs il n’aurait pas eu plus d’affinité, ont été bien inspirés, car, quoi qu’il en soit de son genre, de son style, il s’agit bien d’une prophétie, d’une adresse de Dieu à notre monde, à notre temps. v. 1 = La parole du Seigneur parvint à Jonas (une deuxième fois). Voir chapitre 1, verset 1, ce sont les mêmes mots. Le Seigneur recommence de la même façon, avec la même détermination, avec la même fidélité. Avec Lui tout est toujours ouvert, tout est toujours possible ; en tous les cas Il ne cesse de vouloir créer et recréer (il s’agit toujours de la Création mais en continu) les conditions nécessaires à de vrais et fructueux commencements. Le commencement ou le recommencement d’un dialogue, d’un vis-à-vis, d’un partenariat effectif avec les êtres humains, avec l’humanité ; c’est d’ailleurs pour cela qu’Il commence ou recommence toujours en parlant (quand même cela prendrait la forme d’un ordre comme ici) : Voir aussi Genèse 1/1 ou Jean 1/1-2. v. 2 = Lève-toi, va à Ninive, et annonce-lui ce que Je te dicterai. Jonas ne peut plus biaiser, ni même dire les choses à sa manière… il devra proclamer tel quel l’oracle du Seigneur. Un point c’est tout. Dieu a confiance en son prophète, mais jusqu’à un certain point. v. 3 = Mais Ninive était une très grande ville, même au regard de Dieu. Comparaison superlative typiquement hébraïque : c’était une ville sacrément grande ! v. 4 = Jonas commença par faire une journée de marche… Allusion à Genèse 1/5. On pourrait traduire : Ce fut le premier jour (de Jonas prêchant à Ninive.) Et de fait, comme en Genèse 1, la Parole de Dieu, crée, recrée. v. 4 = Encore quarante jours et Ninive sera détruite. Dans la culture hébraïque (et moyen-orientale) les nombres ont une signification, une portée symbolique ; c’est à partir des nombres que l’école de la Kabbale, entre autres, bâtira tout un système. Quarante (Voir le Déluge, l’errance du peuple au Sinaï, la tentation de Jésus) désigne le temps nécessaire et suffisant pour se préparer à…, pour être formé à…, pour comprendre que…, et pourquoi pas pour se convertir. v. 5 = Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent d’un sac. Dans la culture hébraïque (et moyen-orientale) jeûne, sacs et cendres (voir au verset 6 le roi de Ninive qui s’assied sur de la cendre) participent aux rites de pénitence et de deuil. v. 6 = La nouvelle (soit : la parole de Dieu proclamée par Jonas) parvint au roi de Ninive qui se défit de ses vêtements et se revêtit d’un sac… Il y a sans doute ici un jeu de mot entre ‘adderét qui en hébreu désigne des habits de grands prix, de grand luxe et Addir qui est le nom d’une divinité (Voir 2 Rois 17/31 : Adramélek, soit : Adram est roi). Ainsi le roi de Ninive changerait de Dieu comme il vient de changer de vêtements ! v. 7 = Il fit proclamer… Il faudrait lire : Il fit crier… (il fit passer le « crieur public »)… son ordre : que les humains et les bêtes… ne goûtent plus à rien. Il y a sans doute ici un autre jeu de mot entre le mot ordre qui, en hébreu, est le même que celui qui désigne le goût : il est du goût du roi de ne plus rien goûter et que personne, pas même les bêtes (qui en ces contrées et à cette époque sont souvent associées aux rituels humains) ne goûtent à rien. v. 8 = Que chacun revienne de la violence de ses mains Il est donc question d’une conversion radicale, pas seulement religieuse, mais aussi morale, politique, il s’agit de changer concrètement et personnellement (de ses mains) de vie. v. 9 = Qui sait si Dieu ne reviendra pas (ou ne renoncera pas) sur sa menace. Le roi de Ninive a ici deviné le sens profond de la Parole de Dieu proclamée par Jonas. Cette péricope est savamment construite, il y a non seulement une mise en scène des personnages et des situations, mais également un mouvement du texte, une véritable chorégraphie comme le montre sa structure en symétrie où les versets se correspondent un à un, le premier avec le dernier, le deuxième avec l’avant-dernier et ainsi de suite, comme j’essaie de le montrer ci-dessous : v. 1 = La parole du Seigneur parvint à Jonas (une deuxième fois). v. 2 = Lève-toi, va à Ninive, et annonce-lui ce que Je te dicterai. v. 3 = Mais Ninive était une très grande ville, même au regard de Dieu. v. 4 = Jonas commença par faire une journée de marche, v. 4 = proclamant : Encore quarante jours et Ninive sera détruite. (v. 5 = Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent d’un sac.) v. 6 = La nouvelle (la parole de Dieu) parvint au roi de Ninive… C’est le verset central ou verset pivot autour duquel se joue et se dénoue le drame. v. 7 = Le roi fit proclamer… v. 8 = Que chacun revienne de la violence de ses mains v. 9 = Qui sait si Dieu ne reviendra pas sur sa menace. Sous-entendu = Qui sait si Dieu ne reviendra pas habiter notre grande ville. v. 10 = Dieu vit qu’ils revenaient de leurs mauvaises pensées et il renonça au mal qu’il avait parlé de leur faire.

Pistes homilétiques
  • Une première piste, la plus classique peut-être mais pas la moins intéressante, consisterait à mettre en évidence l’universalité du salut de Dieu. Tout le livre de Jonas, mais ce chapitre en particulier en sont une saisissante démonstration, un exemple frappant… et indiscutable !
  • Une deuxième piste, plus originale peut-être mais néanmoins pertinente, consisterait à faire le parallèle entre ce chapitre 3 et les récits de commencement (ou de Création) tel : Genèse 1 ou le prologue de Jean.
  • Une troisième piste, qui se rapprocherait un peu d’une étude biblique, consisterait à s’arrêter sur chaque verset et à relever les plus intrigants ou les plus significatifs, comme les versets 9 et 10 par exemple qui nous parlent d’un Dieu qui revient de sa colère !
  • Une quatrième piste, qui correspondrait bien au ton de l’ensemble du livre, consisterait à dégager tout l’humour (ou toute l’ironie) qui irrigue ce chapitre 3.

Prédication

Chers frères et sœurs, Jonas est amené à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire ! Vous me direz qu’il n’y a là rien d’extraordinaire et qu’il en va souvent ainsi dans nos vies. Dans notre famille, dans notre travail, dans notre cité, pour notre pays. Nous sommes amenés à faire des choses par devoir, par nécessité, par habitude quelquefois, ou tout simplement parce que l’on ne peut pas faire autrement. Il en va souvent ainsi dans l’Église, également. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que l’on hésite quelquefois à s’engager : en effet, selon l’adage, si l’on y met le bout du doigt, on risque bien d’y engager toute la main et bientôt le bras en entier ! Pourtant, l’on y va quand même. Et je dois dire que je suis toujours à la fois étonné et reconnaissant de voir combien de gens, de frères et de sœurs, continuent ainsi à donner beaucoup de leur temps, de leur énergie, de leur bonne volonté, de leur argent aussi : quel beau témoignage ils donnent là de la grâce ! Jonas, lui, y va vraiment contre son gré. Nul doute là-dessus. Et s’il y va contre son gré, c’est parce qu’il est amené à dire quelque chose qu’il ne veut pas dire ! À moi aussi, il m’arrive d’avoir à dire des choses que je ne suis pas toujours convaincu de devoir dire : ce n’est pas le moment d’en parler ; ou bien c’est parler dans le désert ; ou encore ce n’est là que de l’idéalisme et, de toute évidence, cela ne servira pas à grand chose. Par exemple lorsque je suis appelé à parler d’amour du prochain et en particulier d’amour des ennemis, alors que celle ou celui à qui je suis amené à en parler, suscitent en moi plutôt de la colère, du ressentiment, ou, à tout le moins, un profond désaccord. Jonas est dans cette situation-là, justement. Depuis le début, en fait depuis le moment où Dieu l’a appelé et lui a demandé de partir pour Ninive, il s’est retrouvé complètement coincé, en complète contradiction entre la mission que Dieu lui confiait et ses convictions profondes. Parce depuis le début, Jonas a fort bien compris ce que Dieu avait derrière la tête : le salut des Ninivites. Certes, ce qu’il doit dire est lourd de menaces : Ninive sera détruite ! Mais Jonas sait que ce ne sont pas ces menaces qui sont l’essentiel du message qu’il a à proclamer ; et Jonas sait donc que Dieu ne veut pas mettre ses menaces à exécution. Puisque l’essentiel du message qu’il a à proclamer est dans les tous premiers mots : Encore quarante jours… et qu’en bon Hébreu, Jonas sait bien ce que cela veut dire le nombre quarante, que cela veut dire que Ninive a tout le temps qu’il faut pour comprendre ce qui se passe, pour réfléchir à l’attitude qu’elle doit adopter, pour mûrir et pour changer de disposition, tout le temps qu’il faut ! Alors, c’est vrai, et il n’est d’ailleurs pas impossible que Jonas y ait pensé, peut-être que Dieu veut sauver les Ninivites seulement pour les calmer et, du coup, les retenir de se porter contre les Hébreux, le peuple de Jonas. Mais, même pour ce motif-là, qui est pourtant favorable aux Hébreux, serait-ce de façon indirecte, Jonas refuse le salut des Ninivites. Pour lui, les Ninivites ne sont que des fauteurs de troubles, et, à ce titre, ils ne méritent que punition et mort. Au minimum l’indifférence ! D’ailleurs, on imagine que Jonas a bien envie de poser cette question à Dieu : n’a-t-il donc pas suffisamment à faire avec les Hébreux eux-mêmes ? Ne devrait-il pas directement s’occuper des Hébreux ? Ne sont-ce pas les Hébreux qu’il lui faudrait d’abord chercher à sauver ? Si Dieu l’avait envoyé parler en son nom aux Hébreux, et au demeurant c’est cela le boulot d’un vrai prophète, sans doute y aurait-il été, serait-ce dans des endroits reculés, des endroits éloignés, des endroits dangereux. En tous les cas, il n’aurait pas commencé par s’enfuir de l’autre côté, vers Tarsis… S’il finit par aller à Ninive annoncer ce que Dieu lui commande d’annoncer, c’est simplement parce qu’il ne peut pas faire autrement : quand il s’est échappé, Dieu l’a rattrapé, quand il allait se noyer, Dieu lui a envoyé une super bouée de sauvetage sous la forme d’un gros poisson plein de bonhomie ; et maintenant, Dieu lui donne en quelque sorte l’ordre d’aller au plus vite à Ninive et d’y faire exactement l’annonce qu’il lui a dictée ! Là-dessus, Jonas se moque bien de savoir s’il est ou non un bon prophète, un prédicateur à succès, un bateleur hors norme : il peut bien convertir des foules entières comme, sans doute, personne ne l’avait fait jusque là et personne ne le fera jamais plus, hormis évidemment dans les milieux intégristes les plus fanatiques, mais cela n’a rien à voir… De toutes les façons, Jonas le sait, ce succès n’a rien à faire avec lui ; en tous les cas espère-t-il n’y être pour rien ! Non ! Jonas connaît bien son Dieu, et ne sait que trop de quoi Il est capable quand Il fait parler son cœur, son amour pour les autres, quand Il pardonne et qu’Il sauve ! Il ne sait que trop qu’Il peut alors faire des miracles. Ce faisant, on a vraiment l’impression que Jonas demeure attaché à la religion d’autrefois, aux vieux principes, aux anciennes croyances, en particulier à l’idée alors largement répandue que chaque peuple a son dieu ou ses dieux et qu’il y a un dieu ou des dieux par peuple ; sans doute le Dieu d’Israël est-il l’unique et seul Dieu, mais au regard d’Israël et pour Israël ! On a vraiment l’impression qu’il a du mal à penser un Dieu pour tous, universel, comme il a du mal à accepter un Dieu qui pardonne et qui sauve aussi facilement. Pourtant de ce conservateur plutôt retors Dieu va faire le prédicateur du perpétuel renouvellement que suscite la grâce ! Et de ce perpétuel renouvellement que suscite la grâce, les témoins vont être, non de bons et pieux croyants, mais ce roi et ce peuple de Ninive à la méchante réputation, qui ont tout de suite compris de quoi il retournait avec ce Dieu qui vous donne encore quarante jours, et qui ont tout de suite cru en ce Dieu qui revient sur sa menace ! Chers frères et sœurs, nul doute que nous pourrions tirer de nombreuses leçons de cet étonnant épisode des aventures de Jonas. Je retiendrai celle-ci, tout en paradoxe : La grâce ressort d’autant plus, je dirais est d’autant plus éclatante, et même d’autant plus évidente, lorsqu’on a vraiment besoin d’elle, et que sans elle rien ne changerait ni ne se passerait… Là où le péché abonde, dira Paul, la grâce surabonde ! On pourrait dire les choses comme cela : pour s’exprimer, pour se manifester, pour démontrer sa validité, la grâce a besoin d’hommes et de femmes qui ont justement besoin de la grâce… Non pas des saints, des parfaits, ni même de gens particulièrement religieux ; mais des hommes et des femmes, qui finissent par céder, je veux dire qui acceptent d’en faire un petit peu plus que ce qu’ils avaient prévu, qui après avoir dit non disent quand même oui, et qui sont prêts à tendre la main quand ils auraient plutôt lancé leur poing… Si Jonas me plaît autant, et pareillement Paul qui disait de lui qu’il n’était qu’un avorton, c’est parce que ce sont des rebelles, des pas commodes, de drôles de paroissiens, mais qui du coup deviennent les témoins de tout ce que la grâce peut faire en nous, de tout ce que la grâce peut nous faire faire ! Amen. Cantiques possibles : Psaume 25 : à toi, mon Dieu ARC 416 : O Seigneur, ta voix m’appelle ARC 528, NCTC 243 : O Jésus, tu nous appelles ARC 616, NCTC 279, Alléluia 47-04 : Confie à Dieu ta route ARC 621, Alléluia 47-22 : J’ai tout remis entre tes mains