Textes : Ps 116 Exode 24, v. 3 à 8Hébreux 9, v. 11 à 15 Marc 14, v. 12 à 26Pasteur Fabienne Ambs-SzafarczykTélécharger le document au complet
Ce passage peut se découper en trois parties, l’institution de la Cène étant en sandwich entre l’annonce du reniement de Judas et de l’abandon des disciplesOn peut en faire le plan suivant :Introduction et préparatif du repas Marc 14, 12 à 16A v. 17 à 21 au cours du repas annonce de la trahison de JudasB v. 22 à 25 au cours du repas institution de la CèneA v. 26 à 31 après le repas annonce de l’abandon et du reniementLe dernier repas de Jésus avec ses disciples a lieu le soir qui précède la fête de la Pâque. Dans le judaïsme, c’est le repas rituel du « seder ». Ce repas se prend en famille.Jésus le prend avec ses disciples, ce sont ceux qui écoutent sa parole qui sont sa famille. (Mc, 3, 33-35)Ce repas vécu comme une liturgie permet aux participants non seulement de commémorer un fait passé, mais aussi de le vivre, de devenir participants de la sortie d’Égypte avec tout le peuple d’Israël à la suite de Moïse.V 12 à 16 La reconnaissance du lieu où se passera le repas n’est pas sans rappeler le récit de l’Ancien Testament où Samuel retrouve les ânesses du roi Saül (1 S. 10, 3 à 5)Cette préparation se fait de manière comparable à celle de l’entrée de Jésus à Jérusalem (Mc 11, 1 à 6), la concordance des formules dans le texte grec est étonnante. Toutes ces précisions soulignent l’importance de ce qui va suivre, et comment Jésus lui-même l’organise, rien n’est fait au hasard. On peut aussi noter que le lieu où se passera le repas est appelé « kataluma » en grec ce qui peut se traduire littéralement par : le lieu où l’on délie ses bagages ou sa monture, où l’on se relâche. Et c’est une chambre à l’étage : une « anagaion » qui servait habituellement aux hôtes. C’est la chambre haute. V ; 17 à 21 l’annonce de la trahison se fait au début du repas chez Marc. Nous remarquons aussi que dans l’évangile de Marc, Jésus se garde bien de nommer celui qui va le trahir, il est dit que c’est l’un des douze, ce qui provoque le trouble chez les disciples. Pourtant chacun partagera ce repas avec Jésus, son appel est bien inconditionnel et même injustifié. Ce sont ces disciples-là qui seront au bénéfice de ce repas. Chacun peut se sentir concerné et trouver sa place autour de la table, sachant que la trahison est au cœur du groupe, chacun s’interroge : « serait-ce moi ? »Jésus replace la responsabilité de celui qui va le livrer dans un cadre plus large d’une issue inévitable. « Judas n’est pas coupable d’être le jouet d’une volonté souveraine de Dieu, il est sous le coup d’une malédiction, ( littéralement, une mauvaise parole) : il n’a pas pu se libérer de cette opposition à la révélation ; il a accepté la place que les grands prêtres lui ont assignée (14, 10 à 11 )… enfermé dans un rôle dont aucune parole ne le libérera. » (Elian Cuvillier)V.22 à 25 C’est le récit de l’institution de la Cène. Ce texte était déjà utilisé par les communautés primitives pour les célébrations cultuelles, Paul le mentionne en 1 Co. 11, 23 à 26 Ce repas est tout orienté vers la mort de Jésus et le but de ses paroles est de préciser le sens de cette mort. Jésus se donne à connaître d’une autre manière, sa présence se fait d’une façon nouvelle à travers le pain et le vin partagés. La coupe ajoute à la notion de partage celle d’alliance. Ainsi les disciples participant à cette coupe sont intégrés dans cette alliance, dans l’attente du banquet céleste.V. 26 à 31 Jésus annonce l’abandon collectif de ses disciples et pour cela il cite les Écritures ( Zacharie 13, 7). Certains reçoivent ces annonces comme s’il s’agissait d’une prédiction, d’un déterminisme voulu par Dieu. Alors que c’est bien parce que les disciples ont fermé le chemin que leur ouvrait leur maître qu’ils n’ont plus de liberté, c’est l’incrédulité qui ne laisse plus la possibilité de se déterminer et le texte biblique sert de miroir révélant le plus profond de la nature humaine. Les disciples seront scandalisés et chuteront car ils ne peuvent pas accepter l’humilité et la mort de celui qui est considéré comme le Messie, or c’est dans cette faiblesse et cette mort que s’accomplit la volonté de Dieu pour son Messie. Jésus termine pourtant ces terribles constatations par une promesse, celle de la résurrection, le ressuscité attendra ses disciples en Galilée. « C’est d’une certaine manière pour eux que Jésus ressuscite pour qu’ils ne restent pas au désespoir du remords » ( Elian Cuvillier )« Ce récit se donne comme un faire mémoire de celui qui est désormais absent du milieu des siens mais toujours présent dans sa parole comme il l’est dans le pain et le vin par lesquels il signe toujours à nouveau sa présence » ( Elian Cuvillier )
Est-ce moi ? Les disciples en ce soir du repas de la Pâque s’interrogent. Est-ce moi le traître, celui qui va livrer le maître ? Terrible doute qui les saisit tous, eux dont la foi chancelle. D’ailleurs qui de nous pourrait assurer ne jamais trahir, et certifier qu’il aura toujours cette foi ferme permettant de surmonter toutes les épreuves, tous les doutes, toutes les angoisses ? Vous l’avez entendu dans ce récit du dernier repas de Jésus à la veille de sa mort, Jésus ne nomme jamais celui qui va le livrer, au contraire l’évangéliste Marc laisse planer le doute, c’est l’un des douze, celui qui mange avec son maître, un parmi les autres, comme s’il voulait se garder de trop vite désigner le coupable pour innocenter tous les autres, comme si au fond chacun de nous pouvait être à cette place, et même plus était à cette place. « Est-ce moi ! » D’ailleurs si un seul Judas trahira son maître, tous les autres l’abandonneront et Pierre le reniera. Aucun disciple ne peut se présenter comme fidèle et parfait. De la même manière chaque lecteur de l’évangile reçoit en plein cœur cette question « Est-ce moi ? » Il ne peut que constater que Oui, en effet, il fait bien partie du lot de ceux qui trahissent, abandonnent, oublient, renient le Christ. Oui, notre foi est peu affermie et l’adversité la fait flancher, l’habitude et l’indifférence la rongent. C’est un amer constat que nous sommes amenés à faire en ce dimanche matin à l’écoute de cette parole. Devenons-nous comme Judas tenaillé par le remord, désespérant de nous-mêmes, nous en allant loin du Christ ? Où est la bonne nouvelle, l’Évangile pour nos vies ? Oui, comment accueillir à travers ces paroles le message d’amour du Christ ? Je ferai plusieurs remarques : Ce sont ces hommes tels qu’ils sont, dont Jésus connaît le cœur tourmenté, qui partagent ce dernier repas de Jésus, ce repas qui deviendra celui de la Cène, celui qui signe la présence de Jésus au milieu des siens jusqu’à la fin des temps. Jésus tel que le présente Marc est tout à fait conscient de ce qui se passe, il connaît ses disciples, il ne se fait pas d’illusion sur eux, ce n’est pas par ignorance qu’il partage ce repas avec eux. Il sait et pourtant il vit et partage avec eux tous ces instants. Ce ne sont pas des hommes parfaits qui sont invités à communier avec le Christ, mais bien ces compagnons-là qui reçoivent le pain, corps du Christ, la coupe de vin, signe de la nouvelle alliance scellée dans le sang du Christ. Jésus ne trie pas ses invités, il ne pose pas de condition de pureté ou de fidélité pour communier à son corps et à son sang. Il a appelé, il a invité et les disciples ont répondu présents, tels qu’ils sont avec leurs incompréhensions, leurs infidélités, ils sont là et reçoivent ce don merveilleux. Aujourd’hui encore quand nous célébrons la Cène, n’oublions pas, ce n’est pas parce que nous serions des chrétiens fidèles que nous sommes invités, mais uniquement parce que le Christ nous a choisis, nous a appelés à être avec lui tels que nous sommes, que nous pouvons partager le pain et le vin. Oui, ce repas est bien pour les douteurs, les faibles, bref les pécheurs que nous sommes. Il est cette nourriture qui nous permet d’accueillir la présence du Christ au cœur de nos infidélités. Aussi la participation à la Cène n’est pas une question de dignité, dans le sens où seul celui qui n’aurait rien à se reprocher pourrait communier, mais bien dans la reconnaissance de notre indignité et de la grâce immense qui nous est faite. C’est accepter d’être accueilli totalement, tel que nous sommes. Accepter cette invitation, accueillir ce pardon pour pouvoir toujours à nouveau se mettre en route à la suite du Christ. Oui, par ce repas traditionnel qui se célébrait en famille, Jésus nous accueille comme des frères et des sœurs, nous sommes sa famille et nous devenons frères et sœurs les uns des autres. Ce repas n’est pas magique ! Le pain et le vin partagés, la communion au corps et au sang de Jésus n’a pas empêché les disciples de trahir, ni de renier ou d’abandonner. Ce n’est pas une potion magique qui permettrait d’échapper à ses propres choix, à son humanité, au mystère du mal. Rien ne sera changé, Jésus prendra le chemin du Golgotha, l’un trahira, l’autre reniera, tous abandonneront, mais pourtant une porte est ouverte dans le cercle du malheur, une main est tendue pour revenir et recommencer, Pierre a pu la saisir, Judas a estimé qu’il devait se punir lui-même. C’est l’attestation que la mort, la peur, le reniement n’ont pas le dernier mot, que la présence du Christ est pour toujours offerte à ceux qui se savent faibles et pécheurs mais toujours au bénéfice de l’amour de Dieu, toujours au bénéfice du pardon qui fait toutes choses nouvelles. Aussi lorsque nous entendons son invitation n’endurcissons pas notre cœur, acceptons de venir même mal préparé et indigne, car c’est à ce moment-là plus qu’à tout autre que nous avons besoin de cette présence qui nous sauve de nous-mêmes et de toute condamnation. à travers les âges l’Église, en tout lieu et en toute circonstance, a célébré ce repas pour que nous puissions aujourd’hui encore prendre notre place avec le Christ ressuscité, entrer dans sa famille et attendre son retour dans l’espérance. Amen