Textes : 2 Rois 9, v. 30 à 10, v. 11 Ps 90 Qohéleth 1, v. 2 & 2, v. 21 à 23 Colossiens 3, v. 1 à 1 Luc 12, v. 13 à 21Pasteur Mino RandriamanantenaTélécharger le document au complet

Notes bibliques

Le texte (traduction Nouvelle Bible Segond)

Luc 12, 13Quelqu’un de la foule lui dit : Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. 14Il lui répondit : Qui a fait de moi votre juge ou votre arbitre ? 15Puis il leur dit : Veillez à vous garder de toute avidité ; car même dans l’abondance, la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens. 16Il leur dit une parabole : La terre d’un homme riche avait beaucoup rapporté. 17Il raisonnait, se disant : Que vais-je faire ? Car je n’ai pas assez de place pour recueillir mes récoltes. 18Voici, dit-il, ce que je vais faire : je vais démolir mes granges, j’en construirai de plus grandes, j’y recueillerai tout mon blé et mes biens, 19et alors je pourrai me dire : « Tu as beaucoup de biens en réserve, pour de nombreuses années ; repose-toi, mange, bois et fais la fête. » 20Mais Dieu lui dit : Homme déraisonnable, cette nuit même ta vie te sera redemandée ! Et ce que tu as préparé, à qui cela ira-t-il ? 21Ainsi en est-il de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n’est pas riche pour Dieu.

Le contexte

Luc est sans doute d’origine grecque, converti au judaïsme puis au christianisme de la deuxième ou troisième génération. Sa conception de l’Église représente une forme particulière du christianisme, tournée vers ce qu’il pense être l’avenir à son époque, c’est-à-dire vers l’ouest. Il s’intéresse au groupe des Douze, pour la période fondatrice, mais il s’ouvre surtout aux Hellénistes car il pense trouver là la meilleure solution pour l’avenir du christianisme. Il raconte donc le fondement et la naissance du christianisme, et ensuite il focalise son récit sur la progression du christianisme vers l’ouest. Il adopte une conception optimiste de l’humain qui se détache du pessimisme caractéristique des écrits de Paul. Dans son évangile, il présente la vie de Jésus en trois périodes : la Galilée (3,14 à 9,50) ; la montée vers Jérusalem (9,51 à 19,27) ; Jérusalem (19,28 à 24,53). Notre passage fait partie de la deuxième partie où Jésus est en route vers Jérusalem. Après avoir mis un terme à la polémique contre les Pharisiens, engagée lors d’un repas (11,37-54), Luc raconte à partir de 12,1 Jésus s’adressant à la foule. Après une mise en garde contre l’hypocrisie (12,1-12), Luc place une mise en garde contre l’avidité (12,13-21).Je propose de lire notre passage en deux étapes :- La demande de l’Anonyme (v.13-15),- La parabole du Riche (v.16-21).-

v.13-15 : La demande de l’Anonyme

Quelqu’un de la foule lui dit : Maître… La question de cet Anonyme nous fait entrer dans un nouveau thème dans l’échange entre Jésus et la foule.Dis à mon frère de partager avec moi notre héritage. Habituellement, le droit hébraïque suggérait de préserver l’unité de l’héritage en invitant les héritiers à « vivre ensemble ». Mais le droit prévoyait également la possibilité du partage. Donc l’Anonyme a le droit de demander à un tiers, un rabbin par exemple, de trancher le litige entre lui et son frère.Qui a fait de moi votre juge ? Jésus refuse la demande de l’Anonyme, non pas parce qu’il ne s’occupe que du spirituel, ni parce qu’il ne veut pas suivre les Zélotes qui attendent un Messie pour inaugurer la répartition eschatologique de la Terre Sainte, mais parce qu’il est fondamentalement plus décisif à ses yeux d’être riche pour Dieu.Veillez à vous garder de toute avidité… Cette phrase est le pendant de 12,1b : « Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » Après l’hypocrisie, qui consiste à fonder sa vie dans le jugement et le regard de l’autre, Luc introduit le thème de l’avidité, qui consiste à fonder sa vie dans la richesse.

v.16-21 : La parabole du Riche

Il leur dit une parabole… Le dialogue entre Jésus et l’Anonyme introduit la parabole du Riche qui permet en retour de comprendre pourquoi Jésus refuse la demande de l’Anonyme.Homme déraisonnable, cette nuit même ta vie te sera redemandée ! Et ce que tu as préparé, à qui cela ira-t-il ? L’erreur du Riche, certainement un propriétaire agricole, ne se situe pas dans le fait d’avoir beaucoup travaillé, d’avoir récolté le fruit de son travail, dans le fait de se projeter vers l’avenir ou même dans l’idée de réinvestir ses bénéfices dans l’agrandissement de ses granges. La critique que lui adresse la parabole porte sur son autosuffisance. Il est tellement comblé de ses biens jusqu’à en être presque étouffé, qu’il pense pouvoir reposer sa vie sur ses biens en réserve. Il n’est même pas conscient de sa solitude, alors qu’il parle à lui-même, à son psyché, comme à un miroir qui lui renvoie sa propre gloire. Dans sa vie, il ne laisse aucune place pour personne d’autre que lui-même. Or, le Dieu qui se manifeste dans cette parabole est un Dieu propriétaire de la vie, qui révèle sa bonté infinie et gratuite dans la création en faisant produire généreusement la terre (12,16) ou en nourrissant celui qui ne sert à rien comme le corbeau (12,24).Ainsi en est-il de celui qui amasse des trésors pour lui-même et qui n’est pas riche pour Dieu. Celui qui accepte d’entrer dans la logique de la bonté gratuite de Dieu sera un sujet libre, car libéré de ses préoccupations inutiles, et responsable, partageant généreusement ce qu’il a reçu : il sera riche pour Dieu.

 

Pistes pour la prédication

· L’Évangile est-il encore capable de mettre en valeur nos richesses ?

Que signifie être riche pour Dieu ? Cela signifie-t-il que Dieu veut mette en valeur nos richesses afin d’en faire profiter l’humanité et le monde entier ? Est-ce encore possible aujourd’hui ? Quels en seraient les obstacles ?
  • « On n’emporte dans la tombe que ce qu’on a donné. » (proverbe hindou)

Il circulait, dans l’Antiquité, une plaisanterie à propos de l’avarice : le comble de l’avarice, disait-on, c’est quand un homme rédige son testament et, comme nom de l’héritier, fait figurer le sien ! Notre riche perdra ses biens et, faute de vivre sa vie dans la crainte de Dieu, il n’aura ni descendants, ni héritiers, un grand malheur selon la mentalité hébraïque.Job, au plus profond de son malheur, s’écrie : « Nu, je suis sorti du sein de ma mère, et nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté. Que le nom du Seigneur soit béni. » (Job 1, 21) Est-ce pour rien que nous servons Dieu ?

· Le chrétien est-il appelé à gérer les conflits de ses frères ?

L’Évangile a-t-il quelque chose à dire à propos de la justice devant les hommes ? Le chrétien doit-il se contenter d’accepter la seule justice accomplie par le Christ et qui lui est offerte ? Ou bien doit-il se mêler au combat à son tour afin de payer le prix de la grâce ? Quels sont les combats et les engagements qui attendent chaque être humain aujourd’hui ? L’Église doit-elle rester neutre ? Et les pasteurs ?

  • Les richesses : on en a besoin ! Comment résister à leur pouvoir ?

L’annonce d’une Bonne Nouvelle n’implique-t-elle pas d’abord une écoute, de notre prochain… et de Dieu ? Par quelle voie le pouvoir des richesses arrive-t-il à séduire l’humain aujourd’hui ? Sommes-nous égaux face à leur force de séduction ? Quelles sont les valeurs de notre société ? Que signifie « réussir sa vie » pour nos contemporains ? Quelles sont leurs préoccupations ultimes ? Quels sont leurs faux dieux ?

· Heureux les pauvres !

L’évangile de Luc nous invite-t-il à renoncer à toute richesse ? La pauvreté est-elle une « valeur » chrétienne, contre les « richesses » du monde ? Comment interpréter l’autosuffisance du Riche dans notre contexte ? Qu’est-ce qui peut nous aveugler ou nous étouffer aujourd’hui au point de nous empêcher de désirer la richesse en Dieu ?

Proposition de prédication

Des économistes définissent l’humain comme étant un être d’intérêt et de profit. Luc, l’évangéliste, propose une définition moins restrictive. Il ne rejette pas le fait que l’humain aspire au bien-être et aux biens tout courts. Il y a cependant deux manières différentes d’engranger, d’amasser, de thésauriser, d’après notre texte. L’une connotée négativement, l’autre positivement La première manière est intéressée ; elle accumule pour soi, quels que soient les biens. Luc songe, en premier lieu, à l’argent amassé et à tout ce qu’il symbolise. La richesse devient une finalité en soi, un objectif ultime. Le symptôme classique consiste alors à faire passer l’humain après l’intérêt et le profit personnel. La deuxième manière d’engranger est désintéressée. Elle accumule aussi, si l’on ose dire, mais littéralement « vers Dieu ». Elle est la conséquence de l’entrée dans la logique du Royaume de Dieu, fondée sur la gratuité de la bonté illimitée de Dieu. Luc pense ici, en premier lieu, à l’argent distribué et à tout l’amour qu’il représente. En étudiant l’évangile de Luc, il me semble qu’accumuler vers Dieu implique au moins quelques choix concrets. J’en relève deux. Ça implique d’abord de relativiser les biens matériels. J’entends dans ce genre de conviction le désir d’être libéré vis-à-vis des concepts spatiaux, c’est-à-dire les choses telles que la terre, le sang, la race, la nation, etc. La valeur de la bonté de Dieu devient tellement incalculable pour nous que ces choses n’accaparent plus nos préoccupations ultimes. Le psalmiste le traduit notamment à sa manière quand il dit que la terre appartient à Dieu (Ps.24, 1). Ou encore quand Paul dit que nous-mêmes, notre personne appartient au Christ (1Co.3, 23). La Réforme protestante traduit cette conviction en désacralisant toute chose, c’est-à-dire l’espace, le temps, l’institution et les personnes, et en affirmant que Dieu seul est saint. Seule reste décisive la relation à Dieu. Le reste devient secondaire. Mais secondaire ne signifie pas à négliger. Une fois que l’on entre dans la logique du Royaume et que cela nous conduit à relativiser les choses de cette terre, nous pouvons accumuler vers Dieu. Cela ne consiste pas à rejeter définitivement tout commerce avec les biens matériels. Il s’agit, au contraire, d’utiliser lucidement les biens matériels au service de Dieu et de la mission qu’il nous confie. Les richesses de ce monde ne des instruments, des outils mis à notre disposition, pour mener à bien la mission qui nous est confiée. Aujourd’hui, Luc nous invite à considérer la vie comme un don. Nous n’en sommes pas les propriétaires, mais uniquement les gérants responsables. L’héritage que Dieu nous confie n’est pas une propriété mais une mission. Il nous donne tout en Christ pour accomplir cette mission. « Va avec cette force que tu as ! », parole de Dieu.