Textes : Matthieu 18, v. 21 à 35 Ps 23 1 Samuel 16, v. 1 à 13 Éphésiens 5, v. 8 à 14 Jean 9, v. 1 à 41Pasteur Éric GeorgesTélécharger le document au complet
Le récit d’une transitionLe récit de l’onction de David se construit pleinement comme une transition entre Saül et David. On retrouve Samuel dans le deuil de Saül après la désastreuse victoire de celui-ci contre les Amalécites et son rejet par Dieu. Si l’élection de David est à lire en parallèle avec celle de Saül (I Samuel IX), la crainte exprimée par Samuel au verset 2 annonce déjà la guerre de succession qui se déroulera entre Saül et David. David, choisi comme roi dans des conditions analogues à Saül lui succèdera, mais Saül sera un obstacle à cette succession.La personnalité du prophèteSamuel est prophète, porte parole de Dieu, c’est tout à fait visible aux versets 8, 9 et 10, où la volonté de Dieu s’exprime directement par la bouche du prophète. Mais on voit aussi le prophète en discussion avec Dieu. En effet, celui-ci secoue Samuel alors que celui-ci est figé dans le deuil de Saül (v1), il conteste son choix devant Eliav (v6). La parole de Dieu n’étouffe pas la personnalité, les choix, les points de vue de son prophètePar ce procédé narratif, on voit très nettement la différence entre les voies humaines et les voies de Dieu.Le petit dernierLes contes et récits qui mettent en scène un cadet surpassant en astuce et en intelligence ses frères aînés sont légions, et à première vue, le récit de l’élection de David pourrait s’inscrire dans cette tradition (en soulignant l’ancienneté de ce thème). Pourtant, il se distingue de cette tradition. En effet, habituellement c’est par ses compétences que le cadet prend le pas sur ses aînés, mais ici, aucune qualité intrinsèque de David n’est mise en avant le choix de Dieu.Il est d’ailleurs assez remarquable que David, qui sera présenté juste après comme un grand musicien et un bon combattant (I Samuel XVI, 18), ne soit ici que le dernier fils méconnu et oublié. Sans doute, différentes traditions s’enchevêtrent-elles ici, mais surtout ce récit nous renvoie au libre choix de Dieu, un choix souvent incompréhensible à vue humaine.Tout au plus, peut-on souligner la mention de la beauté de David (v12), une mention qui vient en point de contradiction avec le verset 7. Peut-être, est-il impossible à l’homme de renoncer à prêter des qualités propre à celui que Dieu à choisi. Peut-être sommes nous incapable de laisser à Dieu une liberté totale de son choix…
1 Samuel 16, v. 1 à 13 ; Éphésiens 5, v. 8 à 14 ; Jean 9, v. 1 à 41 Samuel portait le deuil de Saül. Pourtant il reste à Saül de nombreuses années à vivre. Samuel va oindre David comme roi, pourtant, il reste de nombreuses années à régner à Saül. C’est à un nouveau rapport au temps que ce texte nous entraîne en nous confrontant à l’impatience de Dieu, à sa patience aussi. Et, avant même de bousculer notre rapport au temps, ce texte change notre compréhension de la mort et de la vie. En effet, Samuel porte le deuil de Saül et Dieu ne lui dit pas « Saul n’est pas mort » mais au contraire « passe à autre chose ». Ainsi, nous affirme le texte, il est des humains qui sont morts tout en continuant de respirer, de marcher, de parler. Il est des humains qui sont au fond du gouffre alors même qu’ils sont au sommet de leur gloire. Bien sûr, cette affirmation n’est pas une invitation à nous lancer à la chasse aux vampires. Mais plutôt de nous interroger : qu’est ce que c’est que vivre ? Nous croyons souvent que la religion vient répondre à la question y a-t-il une vie après la mort ? Mais la question qui nous est posée ici, c’est y a-t-il une vie avant la mort ? D’ailleurs, il n’est pas besoin de croire, pour poser cette question, nous sommes instinctivement conscients que vivre n’est pas seulement un état biologique. Mais, les réponses de la Bible ne sont pas forcément celles que nous aurions. Regardons ce mort qu’est Saül, il est roi, il vient de remporter une grande victoire sur les Amalécites. Dans cette victoire, il s’est montré magnanime, épargnant son ennemi, il s’est montré économe en ne ravageant pas entièrement le pays vaincu, il s’est montré pieux en réservant le meilleur du butin pour l’offrir en sacrifice à Dieu. Bref, il a une situation enviable et il fait bien son travail, l’exemple type d’une réussite. Mais Samuel porte son deuil. Être vivant, c’est être avec Dieu. Qu’est ce que signifie vivre avec Dieu ? La Bible nous l’indique assez clairement : c’est vivre d’amour et de confiance. Ce n’est pas forcément être parfait, David lui-même tombera à plusieurs reprises, mais c’est justement avoir confiance non pas en nous-mêmes, en notre force, en notre piété, en notre intelligence mais dans l’amour seul de Dieu. En effet, la bonté, la justice et la vérité ne sont pas source de la lumière mais fruits de la lumière nous dit Paul (Éphésiens V, 9). Pour bien vivre, n’allons pas puiser en nous même mais bien plutôt à la source. Pourtant, cette vie avec Dieu n’est pas un long fleuve tranquille. Si Saül est mort, Samuel, lui, est bien vivant, n’est-il pas prophète, c’est-à-dire porte-parole de Dieu ? Et pourtant, il va être malmené par l’impatience de Dieu et bousculé par la patience de Dieu. « Vas-tu longtemps porter le deuil de Saül ?». Samuel sait que, en dépit des apparences, Saül n’est plus roi en Israël, il n’est plus celui que Dieu a choisi pour conduire son peuple. Il connaît la véritable nouvelle situation, mais savoir ne signifie pas forcément accepter… Samuel ne s’arc-boute pas à maintenir Saül sur le trône, mais il se paralyse, il se bloque. Il n’est pas dans le déni, il est dans le deuil, dans le souvenir et la mémoire. Ce temps est sans doute nécessaire, mais il doit être un temps de transition. Il est vrai que, comme Samuel, nous avons du mal à accepter les changements de situations, que l’inconnu nous fait peur. Nous passons souvent plus de temps à pleurer sur un temps qui n’est plus qu’à accepter la nouvelle situation. Nous sommes heureux d’entendre que nous sommes aimés gratuitement, que notre vie ne dépend pas de ce que nous avons ni de ce que nous faisons, mais nous peinons à vivre pleinement de cette grâce, nous nous sentons obligés de garder de nombreux gilets de sauvetage (au cas où), nous appréhendons de poser sur nos frères et nos sœurs un regard d’amour (ne vont-il pas en profiter, aimer dans cette jungle, n’est ce pas s’exposer à être dévoré ?) Alors, nous devrions entendre l’appel que Dieu nous adresse : « ne pleurez pas sur les ténèbres quand vous êtes dans la lumière, n’ayez pas peur de l’inconnu ! Vivez maintenant des possibilités nouvelles qui vous sont données ! Ayez confiance dans le projet de Dieu pour vous » Mais si l’impatience de Dieu sort Samuel de sa prostration et le met en marche, le prophète va aussi découvrir la patience de Dieu. Samuel aperçu Eliav et se dit « Certainement, le messie du Seigneur est là, devant lui ».I Samuel XVI, 6. Une fois sorti de l’immobilisme du deuil, voilà que le prophète veut aller plus vite que la musique, il construit l’avenir à grand coup de projets, il fait ses calculs à vue humaine : Eliav est grand et beau, à coup sûr, il fera un bon roi. Et puis, c’est le premier que l’on voit, et puisque Saül n’est plus roi, il est urgent de le remplacer. Et voilà que c’est Dieu qui fait traîner les choses, ce ne sera pas Eliav. Pas Avinadav, non plus. Shamma, toujours pas ; ni aucun des autres. L’élu est absent, il n’est pas un de ceux qui ont été pressenti, il faudra aller le chercher le petit dernier aux champs… Voilà que Dieu prend tout son temps, qu’il se rit de nos bienséances, de nos stratégies, de nos bonnes raisons. Dieu ne construit pas à notre rythme, selon nos vues, mais à son rythme, sans tenir compte de nos considérations. David sera choisi en dépit du bon sens et son règne proclamé dès son élection, mettra bien du temps à être pleinement établi. Vraiment, pendant ce temps de transition entre deux rois, nous sommes, avec Samuel, placé dans le rythme de Dieu. Frères et sœurs, nous avons parlé ce matin de l’impatience de Dieu, puis de sa patience, mais sans doute faudrait-il nous dire que ce n’est pas Dieu qui est impatient ou patient mais nous, qui sommes toujours à contretemps. C’est notre manque de confiance qui nous pousse à pleurer le passé et c’est le même manque de confiance qui nous conduit à vouloir construire l’avenir en cherchant des garanties. La confiance se vit d’abord au présent. Dieu ne nous laisse pas nous enfermer dans le passé que nous ressassons sans cesse, il ne nous invite pas non plus à construire l’avenir, il nous invite à vivre pleinement le présent qu’il nous donne. Ce présent, c’est vous qui, autrefois, étiez ténèbres, « vous êtes lumière dans le Seigneur. Vivez en enfants de lumière ! » (Éphésiens V, 8) Amen