Textes : Romains 3, v. 21 à 31 Ps 118, v. 21 à 29 Actes 2, v. 42 à 47 1 Pierre 1, v. 3 à 9 Jean 20, v. 19 à 31Pasteur Jean-Pierre SternbergerTélécharger le document au complet
Jean 20, v. 19 à 31 Proposition de traduction (sur la base de la Nouvelle Bible Segond NBS)
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1- Ici comme par la suite, les mots entre crochets n’ont pas leur équivalent en grec. 2- Ou : « des Juifs ». Il s’agit du même mot en grec. La traduction « des Judéens » souligne l’opposition entre les Galiléens que sont les disciples de Jésus et les habitants de Jérusalem. Elle pourrait rendre compte d’une situation ancienne (cf. Actes12, 13-16). La traduction « des Juifs » laisse entrevoir une situation plus tardive d’opposition entre les Juifs et des Chrétiens qui, à la fin du premier siècle (date possible de la rédaction du 4ème évangile) ne se perçoivent plus eux-mêmes comme juifs. Lue sans tenir compte de cet anachronisme, la traduction « peur des Juifs » peut laisser entendre que les disciples n’étaient pas juifs, ce qui est une aberration. 3- On peut aussi traduire par « seigneur » voire par « Seigneur ». J’ai choisi ici le mot de « maître » du fait de la mention des « disciples ». 4- Ou : « l’Esprit » 5- Ou : « ils seront pardonnés » voire « ils ont été pardonnés » ! selon les manuscrits
6- D’autres manuscrits lisent : l’emplacement. 7- Littéralement : « ne deviens pas (selon certains manuscrits : « ne sois pas ») incroyant mais croyant ». 8- Certains manuscrits lisent : « les disciples ». 9- Certains manuscrits précisent : « la vie éternelle ».Commentaire Ce récit présente plusieurs étapes : – Jésus apparaît aux disciples. Il parle et souffle sur eux. – Thomas, qui n’était pas là quand Jésus est apparu, revient et déclare qu’il ne croira que s’il voit et touche le corps de Jésus. – Jésus apparaît et propose à Thomas de voir et de toucher son corps. – Sans qu’il ne soit dit que Thomas touche le corps de Jésus, Thomas confesse que Jésus est “ mon Maître et mon dieu”. À l’issue du récit un dernier paragraphe rapporte que le livre ne contient qu’une partie des signes donnés par Jésus qui y sont relatés pour que le lecteur absent au moment des faits puisse lui aussi devenir croyant. Ainsi Thomas peut aussi être considéré comme une figure de ce lecteur stupéfait par la nouvelle de la résurrection mais déclaré par Jésus bienheureux si, sans avoir vu, il croit lui aussi. D’un point de vue rédactionnel, la première partie de ce récit est relativement proche de Lc 24,36-49. Il pourrait soit reprendre ce texte, soit relever d’une ancienne source de Luc dont la première attestation pourrait se trouver en 1 Corinthiens 15,5. Par contre, la partie consacrée à Thomas est spécifique et ne se trouve que dans le 4ème évangile. Il est intéressant de lire comment les éléments également présents dans le texte de Luc/Actes sont interprétés ici : Jésus se fait reconnaître comme le crucifié. Il montre ses plaies que les disciples (Luc 24,39) ou Thomas (Jean 20,27) sont invités à toucher. Luc cite les mains et les pieds. Jean les mains et le côté (cf. 7,38 et 19,33-34). Nulle part, il n’est dit qu’un disciple touche le corps du ressuscité. L’envoi des disciples est transmis en Jean 20,21. Il faudra attendre Actes 1,8 pour trouver ce motif dans l’œuvre de Luc. On pourrait supposer que Luc-Actes comme Jean dépendent ici d’un texte unique qui comportait des éléments repris en Lc 24 pour certains et en Ac 1 pour d’autres. Dans Jn le motif de l’envoi est lu en lien avec la mission de Jésus, fils unique envoyé par le Père. Mais il faut aussi entendre dans cet envoi non seulement la continuité de la mission du Christ par celle des apôtres (« autrefois, le Père m’a envoyé, aujourd’hui je vous envoie ») mais l’imitation du Christ par les apôtres (« vous devrez agir en tant qu’envoyés comme je l’ai fait » cf. le “comme” de « aimez vous les uns les autres “comme” je vous ai aimés »). Le don du souffle tient lieu dans la tradition johannique du don de l’Esprit à la Pentecôte (cf. Actes 2,2). Mais il évoque aussi une nouvelle Genèse (Gn 2,7). Le ressuscité (re)donne vie à ses disciples pris dans les filets de la peur. Sous cette forme, le motif du pardon des péchés est propre à Jean mais on connaît Mt 16,19; 18, 18. Il est aussi attesté en Luc 24,47 sous une forme impersonnelle : “la repentance et le pardon des péchés seront prêchés en son nom à toutes les Nations, à commencer par Jérusalem”. Cette promesse concerne tous les disciples témoins du ressuscité et non seulement à Pierre. Il faut donc la rattacher plutôt à la tradition de Mt 18,18 qu’à celle de Mt 16,19. On peut imaginer le scénario rédactionnel suivant : L’auteur de Jn connaît et reprend soit le texte de Luc soit une tradition dont Luc s’est également servi. S’adressant à des chrétiens de la deuxième voire de la troisième génération qui n’ont connu ni Jésus ni les apôtres, il met aussi en scène Thomas comme la figure du disciple qui n’a pas vu le ressuscité. Il peut être considéré comme le porte-parole de cette génération qui, n’ayant pas vu le ressuscité, pense ne pas pouvoir croire. Mais voici qu’à lui aussi le ressuscité apparaît, ce qui l’amène à confesser ce que les autres n’ont pas osé dire. Il s’exclame en parlant de/à Jésus : « mon dieu ». Ces mots qui pouvaient être parmi les derniers de l’évangile dans une édition ancienne (avant l’adjonction du ch. 21) font inclusion avec les premiers versets du même évangile : ”la parole était Dieu”. Bibliographie Je ne saurai trop recommander le commentaire de Jean Zumstein paru chez Labor et Fides (seule la deuxième partie de l’évangile est parue, l’autre ne saurait tarder) et, si vous lisez l’anglais, le commentaire de Thomas L. Brodie, The Gospel according to John, paru chez Oxford University Press en 1993 (disponible aux alentours de 21 € sur Internet) Deux mots d’explication J’ai choisi de privilégier la première partie du récit en présupposant connue la deuxième partie (qui sera lue de toute manière avant la prédication). Voilà les trois raisons qui ont présidé à ce choix : – il me semble que nous touchons là à une strate plus ancienne du récit; – c’est une histoire peu commentée du fait de l’importance du personnage de Thomas souvent montré du doigt comme étant « celui qui ne croit que ce qu’il voit »; – il ya dans la scène des disciples enfermés et apeurés une description d’une forte actualité (j’écris ces lignes au début du mois d’avril 2011 mais crains fort qu’elles soient toujours d’actualité dans un mois … voire dans les années à venir). d’où la proposition de prédication suivante : Cette histoire aurait pu tout aussi bien se passer dans une cave de Bengazy, à l’est de la Lybie, ou dans un immeuble d’Abidjan [le prédicateur peut ici prendre d’autres exemples en fonction de l’actualité] , bref, dans un de ces lieux où on se cache, où on se terre par peur de l’orage artificielle que déchainent les armes des hommes. Cette histoire pourrait prendre place dans n’importe quel abri en n’importe quel lieu où règne la peur … Cette histoire est donc aussi pour le monde et pour nous. Thomas n’est pas rentré. Les autres l’avaient pourtant prévenu : “ne va pas dehors, c’est dangereux. On pourrait se faire repérer. Dehors, on va t’arrêter comme on a arrêté Jésus. On sait que tu étais avec lui. On sait que tu n’es pas de Jérusalem. On va te reconnaître. Tu n’es pas habillé comme eux. Tu as un accent. Tu as un nom étranger …” Mais Thomas n’a pas écouté. Leur peur lui était insupportable. Il a juste laissé en partant : “On ne peut pas rester enfermé. J’ai besoin d’air. On respire mal ici. Ça fait trois jours qu’on est enfermé. Je vais faire un tour. On n’a plus rien à manger. Il faut bien que l’un d’entre nous aille chercher du pain, des piles pour la radio, un journal, des cigarettes …” Où donc Thomas est-il allé chercher ses cigarettes ? Les autres sont restés. Ils étaient 13, il y a trois jours. Juda est parti le premier. Personne ne sait ce qu’il est devenu. Jésus a été arrêté, jugé, exécuté. Et maintenant Thomas a quitté le groupe. Qui sera le prochain ? Qui sera le dernier ? Que faut-il faire ? Ils ont toujours peur mais maintenant, ils sont inquiets. Ils ont peur pour Thomas. Ils ont peur pour eux-mêmes. Que se passera-t-il si Thomas est arrêté ? … Et si, comme Jésus, on le traîne devant ce qu’ils appellent un tribunal … Thomas n’a jamais rien fait de mal. Jésus non plus. Alors ils attendent Thomas ou la police. Si c’est Thomas qui revient, ce sera un bon signe, le signe que l’orage est passé, qu’ils peuvent à leur tour sortir, qu’ils ne risquent pas grand chose. Si c’est la police, ce sera la fin, le chacun pour soit, on n’ose plus dire : “ … et Dieu pour tous.” Certains ont fini par s’endormir. Les autres épient le moindre bruit venant de l’extérieur. Les heures passent et Thomas manque toujours à l’appel. Et voici : pendant qu’ils sont à épier par la fenêtre, alors que d’autres, à deux pas des dormeurs, reprennent à voix basse le récit des événements de ces derniers jours, quelque chose a bougé dans la maison. Quelque chose a bougé à un endroit où il n’y a personne. Quelque chose, quelqu’un a bougé. C’est là de l’autre côté, loin de la porte, à l’opposé de la fenêtre. Là se tient un homme ! Un homme est entré et ce n’est pas Thomas. Comme un seul homme, ils se sont tous dressés, serrés les uns contre les autres. L’un d’eux demande : “C’est toi Thomas ?” … “C’est toi Judas ?” … “Maître, est-ce toi … ? Jésus leur dit : “Paix à vous.” Jusqu’ici c’était un peu la guerre dans cette maison transformée en abri, dans cette maison plus fermée qu’une cave. C’était la guerre comme quand on écoute la radio, quand on essaie de savoir ce qui se passe dehors, de savoir si la police ou l’armée ou quelqu’un d’autre arrive, quand on tente de savoir s’il y a des bombardements et s’ils se rapprochent. C’était comme pendant la guerre quand on aimerait bien sortir et qu’on sait que c’est dangereux. Comme pendant la guerre, quand on se rappelle la paix. Jésus leur dit : “paix à vous” et la paix n’est plus d’hier seulement, elle vient. Elle entre dans leurs vies. Surpris, ils ont d’abord regardé ses mains et ses blessures. Ils ont su que c’était lui. Ils ont eu encore plus peur. Ils ont eu peur comme les femmes au tombeau, le matin même. Ils ont eu peur et raison d’avoir peur car ils ne contrôlaient plus rien. Si la maison pouvait à la rigueur les protéger et les cacher, devant le ressuscité, rien et pas même la mort ne pouvait les cacher. Et puis ils ont fini par comprendre que c’était vraiment Jésus. Ils l’ont reconnu et lui les a salués. Et parce qu’il leur annonçait la paix, alors, ils ont fini par s’apaiser. La paix leur avait été donnée. Alors Jésus leur dit ou fait trois choses : Il dit : “comme le Père m’a envoyé, je vous envoie”. Cela signifie déjà : “vous pouvez ouvrir la porte, vous pouvez sortir” c’est à dire : “non seulement vous n’aurez plus peur des autres, mais vous allez les voir, leur parler et leur parler de moi. Je fais de vous mes envoyés, mes apôtres”. Puis, il ne dit plus rien mais il souffle sur eux. Quand quelqu’un meurt, il ne respire plus, il ne souffle plus. Ici Jésus souffle. Non seulement il respire mais c’est lui qui renouvelle l’air qu’ils respirent. Il leur donne son souffle à lui, son air, son esprit. Il donne souffle à ceux qui n’en pouvaient plus de l’air confiné de la chambre haute. Puis il dit “Ceux à qui vous pardonnerez leurs péchés, ils leur seront pardonné. Ceux à qui vous ne pardonnerez pas, ils ne seront pas pardonnés”. Et ce faisant, il établit un lien entre le fait d’être enfermé et l’impossibilité de pardonner. Eux ils sont libérés pour annoncer la libération du pardon. Ces trois interventions de Jésus forment un tout centré sur le geste du souffle donné. Jésus souffle sur ses disciples. A la résurrection il souffle sur nos peurs. Il souffle sur nos peurs un peu de cet esprit qui planait sur les eaux au matin du premier jour, de ce vent qui chassa les eaux du déluge, de ce vent qui créa la brèche dans les eaux de la mer, la brèche par laquelle tout un peuple passa. Il souffle de ce souffle qui, selon le livre d’Ézéchiel, remit debout le peuple sec des enfants d’Israël dans la plaine de l’exil. Ce souffle est notre force puis notre paix. À nous qui sommes ses disciples. Cette force nous donne la clef des pardons, de la remise des dettes, de la libération du péché. C’est une histoire qui aurait pu commencer en Lybie ou en Côte d’Ivoire ou en n’importe quel autre lieu fermé par la peur ou la violence, un lieu où il faut aller se terrer, s’enterrer comme des morts. La peur est aussi chez nous et certains en font leur fond de commerce. Elle habite nos visions d’un futur hanté par des centrales nucléaires à jamais empoisonneuses, un monde où on ne sait plus ce qu’on mange ou avec quel médicament on se soigne, la peur habite nos communautés humaines y compris nos communautés croyantes. La peur, toutes sortes de peurs, justifiées ou injustifiables, la peur qui nous amène à la prudence et celle qui nous fait croire aux pires bêtises. La peur qui nous coupe des autres, qui nous mange la paix, qui nous gâche la vie. Jésus souffle sur nous il balaie toutes ces peurs … Et Thomas qui n’est toujours pas là ! Thomas a tout loupé pour une histoire de cigarettes. Tout loupé ? Je n’en suis pas si sûr … Si le Christ est au milieu de nous ce matin, pourquoi n’aurait-il pas trouvé Thomas par les rues de la ville ? Certes, Thomas est un mauvais paroissien : à l’heure du culte, il dort ou se promène ou regarde la télé. Mais est-ce que le Christ qui nous a réunis ignore son adresse et ne saurait pas le rejoindre ? Demain, quand il se sera de retour, il nous dira ses doutes et nous pourrons lui dire les-nôtres, nous partagerons nos questions mais aussi nos espérances, nous essaierons de parler de la résurrection et de la victoire sur nos peurs. Et si Thomas nous revenait, qui sait si le Christ, la semaine prochaine ne reviendra pas nous voir pour parler à Thomas … Amen Proposition de cantiques Psaume 68 : « Que Dieu se montre seulement », strophes 1.2.5. Pour l’idée que la peur change de camp. AEC 430, Alléluia 45-08 : « Tu m’as aimé, Seigneur », toutes les strophes. AEC 626, Alléluia 45-10 : « J’ai soif de ta présence », toutes les strophes. Qui reprend les thèmes de la peur et de la paix. |