1er dimanche de Carême

Notes bibliques

Deut 26.4-10
L’offrande des premiers fruits de la récolte était une cérémonie essentielle dans le rituel du temple d’Israël. Comme avec la plupart des festivals antiques, la pratique de consacrer la première liasse de grain à Yahweh avait des origines anciennes.
Une conception antique se cache derrière ce rite, enraciné dans le concept de droits de propriété divins. Tous les êtres créés, de n’importe quelle sorte, appartiennent à la déité et sont donc considérés comme saint. Ps.24:1 donne l’expression explicite de ce concept. Avant la consommation par des humains, il fallait les « racheter » pour l’utilisation profane. Sinon la justice divine exigerait un châtiment.
La seule façon de résoudre ce problème était de rendre à la déité la première partie de l’objet, annulant ainsi les droits de propriété antérieurs de la déité. Ainsi des Israélites ont consacré les premiers fruits des récoltes, les premiers nés des animaux et même les premiers-nés des fils avaient une position spéciale.
La célébration liturgique de ce festival a probablement été développée beaucoup plus tard. Dans ce passage Moïse introduit le rituel comme un commandement de Dieu. Ce passage fait partie d’une section majeure du Deutéronome (chapitres.12-26) écrit comme si Moïse a livré la loi sur presque tous les aspects de la vie nationale comme révélé par Yahweh sur le Sinaï.
Pour nous, le passage soulève le concept fondamental d’intendance :
Offre à Dieu les premiers retours de notre travail, maintenant nous l’interprétons par notre habitude de donner en termes monétaires, comme un acte d’adoration et reconnaissance et comme un symbole de notre engagement de nous-mêmes et de tous nos biens à Dieu.

Rom 10.8-13
Ce texte de Paul se trouve au milieu d’un passage majeur dans sa lettre – chapitres.9-11 – dans lequel il lutte pour expliquer comment des Juifs et des Gentils peuvent avoir une relation juste avec Dieu par la foi seule. Son public était composé d’une communauté principalement juive à Rome. Dans son commentaire du Nouveau Testament C.H. Dodd suggère que cette section puisse même avoir été écrite seul, peut-être comme une prédication, que Paul a incorporé dans sa lettre. Il condamne ses frères Juifs pour leur vision bornée. Ils avaient choisi une bonne chose – la relation avec Dieu – mais l’avaient poursuivie par les mauvais moyens. Il continue à revendiquer qu’une vraie relation avec Dieu peut seulement être atteinte par la foi en Jésus Christ. Rien d’autre ne suffira pour des Juifs ou pour des Gentils.
Jusqu’à la fin de sa Lettre aux Romains, Paul cite abondamment la version grecque des Écritures saintes juives. Il ne se préoccupe pas du contexte des passages qu’il cite. Versets 6-8 se réfère au Deutéronome 30:11-14, mais il essaye simplement de dire que le salut en Christ est disponible pour tous et ne peut pas être réalisé par l’effort humain. Dans v.1, il cite Esaïe 28:16; et dans v.13 Joël 2:32. Son but est d’établir que Jésus est Seigneur et de rassurer son public, que la souveraineté de Christ est efficace pour des Juifs et des Gentils de la même façon, et que ceci est préfiguré dans les Écritures saintes juives.

Luc 4.1-13
Luc nous revoie au commencement du ministère public de Jésus. mais c’est aussi un passage qui indique le déroulement de son ministère dans sa totalité. Plusieurs fois pendant sa vie, Jésus a été tenté et Luc nous dit que face à ses tentations aucun pouvoir miraculeux ne lui vient en aide.
Aussitôt après son baptême, l’Esprit conduit Jésus dans le désert pour un temps de prière et de jeûne. Les tentations arrivent comme le fruit d’une réflexion intérieure à son expérience du baptême et la suite à donner à sa vie. Tous les Évangiles s’accordent pour nous dire que c’est l’Esprit qui prend l’initiât afin de le pousser dans le désert, et non pas le Diable.
Face à ces tentations Jésus (et l’Église qui est son corps maintenant dans le monde) aurait pu suivre les autres voies pour proclamer le message de Dieu et satisfaire ses propres désirs de reconnaissance et de pouvoir. Jésus rejette les trois options. Malheureusement son corps (l’Eglise) n’a pas toujours su choisir la bonne voie pendant son existence.

Prédication

Un jeune cadre était posté en Espagne par son entreprise pour une période de six mois pour gagner de l’expérience et prouver sa valeur à ses employeurs. Il laissait sa petite-amie dernière lui et avec l’argent qu’il allait cumuler ils ont décidé d’acheter leur maison à son retour. Mais la fille devenait inquiète, après tout en Espagne il y a beaucoup de jeunes femmes séduisantes. Son fiancé, peut-il résister à la tentation ? Mail après mail traduisaient son inquiétude. À chaque question le jeune homme répondait que tout allait bien, bien sûr qu’il y avait des jolies jeunes femmes, mais son cœur était totalement à elle !
Après quelques semaines le jeune homme recevait un petit paquet et dedans, un harmonica. Le mot disait qu’il pouvait apprendre à jouer de l’harmonica le soir et ainsi il penserait à sa promise. Il répondait qu’il avançait bien avec l’harmonica et que chaque fois qu’il en jouait il pensait à elle.
À la fin des six mois le jeune homme arrive à l’aéroport et il voit sa petite-amie dans la foule. Il laisse tomber son sac par terre et court vers elle qui se précipite vers lui. Juste avant de s’embrasser la jeune femme dit « D’abord je veux entendre comment tu joues de l’harmonica ! »

Chaque année le Carême commence par le récit de la tentation de Jésus. C’est une histoire qui ne se connecte pas facilement avec notre façon de vivre. Nous n’imaginons pas le diable en train de se balader dans un désert, nous amener à droite et à gauche, nous parler comme si nous étions des connaissances. Il y a un décalage entre la mise en scène ici et ce que nous éprouvons dans nos vies. Car nous savons qu’en nous les choses ne sont pas aussi claires.
Nous sommes traversés par des désirs et des impulsions que nous refoulons en nous. Nous pensons que nous sommes des gens honnêtes, gentils (autant que nous pouvons l’être), disposés à écouter nos voisins, les bons citoyens et parents. Mais nous savons aussi qu’en nous se tapissent des sentiments de colère, de jalousie, de rancœur…
Chez les uns c’est le désir de posséder, chez les autres le besoin de tout savoir ou de tout contrôler ou encore d’utiliser les autres à nos fins.
Le fait que ces tentations existent et qu’elles peuvent se trouver en moi me dérange. Pour certains plus la tentation est « réelle », plus elle nous dérange. Au point d’être totalement consumé par ces tentations, de ne plus penser à autre chose qu’à elles. Et cela est d’autant plus dérangeant quand nous pensons que nous devons être au-dessus de tout cela. Après tout, nous avons la foi, nous connaissons la puissance de Dieu dans nos vies. Nous avons donné notre vie à Jésus justement pour qu’il nous aide dans notre vie intérieure. La force de l’Évangile de ce matin est de nous dire, non ! Ce n’est pas comme ça que ça marche !
La tentation est un aspect intégral de notre condition humaine. La tentation est si importante que le Fils de Dieu a été tenté lui-même. La tentation est plus puissante quand nous sommes au plus proche de Dieu.

Luc nous dit qu’en Jésus-Emmanuel (Dieu avec nous), nous contemplons le Fils de Dieu. Nous avons devant nous Dieu comme nous. Si près, si semblable que nous ne pouvons faire la différence. Dieu est en lui à tel point que Dieu ressent tout ce que nous ressentons dans notre chair et dans notre esprit.
Luc ouvre la vie adulte de Jésus avec ce récit du baptême et de la tentation. Le diable est avec lui, le diable l’accompagne, Jésus marche avec lui, se laisse amener par lui. Et à la fin de ce récit Luc nous dit que le diable le quitte jusqu’à un autre moment.
Si Luc nous raconte cet épisode dans la vie de Jésus, ce n’est surement pas pour nous dire que Jésus est plus fort que nous, que Jésus est bien meilleur que nous. Non c’est pour nous dire que nous pouvons comprendre ce qui se passe en lui, car nous-mêmes nous éprouvons les mêmes choses.

Nous ne sommes pas « spirituellement inférieurs » parce que nous sommes tentés. Nous n’avons pas moins de foi parce que nous avons en nous des désirs de faire du mal à nous-mêmes et aux autres. Nous ne sommes pas moins croyants parce que nous envisageons de tricher par-ci ou par-là. En effet le contraire est plus proche de la vérité. Nous sommes tentés parce que nous avons la conviction de vivre dans la présence de Dieu.
Les trois tentations de Jésus sont schématisées, certains commentaires voient dans ces trois, les trois formes de tentations devant nous tous. La tentation « physique » – le désir de combler les besoins immédiats, nourriture, argent,… La tentation « émotionnelle » – de faire de son égo le centre du monde, de chercher toujours l’acclamation des autres. La tentation « spirituelle » – d’usurper la place de Dieu.
Je ne suis pas convaincu par cette approche, même si je sais que nous sommes tous tentés de manières différentes. Je ne suis pas convaincu parce que je pense que la tentation est toujours « spirituelle ». Quand nous sommes tentés ce n’est jamais en termes de « noir ou blanc ». Il y a toujours beaucoup de « gris ». La tentation est une manière de nous prendre par des sentiments. D’essayer de nous persuader que nous pouvons faire du bien, d’avancer les choses, pour les autres et oui, pourquoi pas, pour nous-mêmes.
La tentation est naturelle, totalement humaine. Tenté de manger quand nous avons faim, boire quand nous avons soif, avoir des relations sexuelles quand nous nous sentons seuls, jouir de notre pouvoir quand nous sommes dans une situation d’autorité, nous montrer condescendants envers ceux qui ne comprennent pas, agir avec vengeance contre ceux qui nous font mal – tout cela est naturel et ordinaire et nous savons que nous agissons comme ça facilement. Si tu as faim Jésus, mange ! Si tu veux changer le monde, fais-le ! Si tu veux sauver ta vie, dis-le !
Si la tentation est aussi naturelle, aussi intégrée en nous, que faire ? Connectons-nous à ce qui ce trouve aussi en nous.
Si la tentation est en nous, la force de Dieu y est aussi. Si Luc dit bien, en Jésus nous avons Dieu avec nous. Il n’est pas un exemple, un guide ou un mentor à suivre. Jésus n’est pas un exemple à copier. Il ne nous est d’aucune aide si nous pensons que nous pouvons devenir comme lui. Il est en nous, il vit en nous autant que les tentations qui sont en nous.
Que faire ? Oui, un peu comme lui – plonge en nous-mêmes pour trouver ce que Dieu place en chacun de nous : son amour, son pardon et sa force.

Quand nous touchons le Christ en nous, quand nous nous lions avec l’esprit que Dieu place en nous, nous trouvons la force de résister, et de vivre. Dieu ne nous demande pas l’impossible, Dieu ne nous demande pas si nous n’avons rien fait de mal dans notre vie, Dieu ne nous demande pas si nous étions tentés ou non. Dieu attend de nous écouter jouer des airs d’amour sur l’harmonica qu’il nous a donné.

Car si, dans nos déserts, nous trébuchons et nous tombons, si nous nous égarons et perdons le chemin, Dieu est toujours là pour nous relever, nous soigner, nous remettre debout et pour continuer avec nous.